Roméo et Juliette — La Commune

Les Rats Des Planches
Les Rats des Planches
5 min readJul 5, 2019

Lundi 21/04/19 : Roméo et Juliette
La Commune (Lyon 7ème)
Compagnie Thespis
Mise en scène: Lysiane Clément et Thai-Son Richardier
Création lumière et régie: Bastien Gérard
Régie son: Quentin Pallier
Costumes et scénographie : Lysiane Clément
Musiques live : Olivier Gailly
Création sonore: Thai-Son Richardier
Distribution: Manon Barthélémy, David Bescond, Loïc Bonnet, Victor Bratovic, Bruno Campelo, Lysiane Clément, Yann Ducruet, Mellie Melzassard, Nicolas Moïsy, Maud Roussel, Thai-Son Richardier et Laurent Secco.
Vidéo: Thiebault Guérin
Tarif plein: 12€ ; tarif réduit (demandeur d’emploi, étudiants et -20 ans): 8€ ; tarif spécial (bénéficiaire du RSA): 5€

On nous distribue un masque, on l’enfile et ça y est, on entre dans l’arène. La Commune, lieu de regroupement à la mode servant aussi bien de tremplin événementiel que de révélateur culinaire, a été toute investie pour l’occasion par la Compagnie Thepsis et son Roméo et Juliette… Vraiment unique. C’est la première fois qu’un des Rats des Planches met le museau dans cet endroit qui semble véritablement conçu pour l’occasion: des recoins en tout genre, de l’intérieur, de l’extérieur, de grands espaces ouverts, une petite salle recluse fermée par des rideaux rouges… Il y a même un balcon! L’expérience est vendue comme du « théâtre immersif grandeur nature ». Et c’est exactement ce que c’est, avec toute l’excitation qui va avec.

Après que le Prince ait fait un rapide monologue pour resituer le contexte de la pièce et nous inciter à aller observer par nous-mêmes ce qu’il s’y passe, on est lâchés dans le grand bain: à nous la liberté de se promener où l’on veut et de voir ce que l’on a envie quand on en a envie, tant que nous restons masqués et silencieux. Oui, le spectacle bien que plongé dans une ambiance musicale et sonore très mystérieuse est totalement dépourvu de dialogue du côté des comédiens. Chacun joue donc ses scènes, pour la plupart muette, dans son coin, et l’on choisit à notre gré de suivre un personnage plutôt qu’un autre, en fonction de nos affinités, de ce qu’on découvre d’eux… Ou du décor. Certains se promènent, d’autres sont attentifs aux détails. Pour ma part, je me demande si bien connaître la pièce est un avantage ou un inconvénient: au début en tout cas, ça me permet d’identifier assez rapidement les personnages et de savoir où j’ai envie de me placer. En l’occurrence, du côté de Tybalt et de Mercutio.

Les scènes de groupe, à commencer par celle du banquet, sont bien évidemment génératrices de bruits et donc de remue-ménage de la part du public: on se rue pour savoir ce qu’il s’y passe, on a tendance à s’attrouper et à ne pas vouloir manquer un élément essentiel que les autres auraient repéré. Celle-ci est en particulier bien réussi et a fait un certain effet: tous les personnages y sont présents, la mère Capulet chante debout sur la grande table, accompagnée en live par un violoncelle, tandis que s’entame une grande orgie collective à laquelle tous participent… Et où se rencontrent Roméo et Juliette, les deux amants qui jusque-là ne s’étaient pas vraiment montré ou du moins, étaient difficiles à identifier. Le jeu des comédiens est bon, malgré la difficulté que peut représenter de devoir 1) rester muets et 2) se frayer un chemin parmi une foule nombreuse (et oui, les organisateurs ont dû refuser du monde, les quatre représentations étaient complètes: le spectacle est de toute évidence un succès).

A partir de là, je commence à anticiper les déplacements de mes personnages et réalise après plusieurs ratés que ma connaissance de la pièce m’handicape quelque peu: mon corps se dirige là où il sait que quelque chose doit se passer et je ne me laisse donc pas aller à suivre le mouvement général de la pièce. Je m’égare à quelques reprises d’autant plus que le spectacle ne dure qu’une heure (au lieu d’environ 3h de pièce originale) et qu’il y a donc des personnages qui ne font plus parti de l’histoire (adieu Paris) et surtout un nombre incalculable de scènes, même connues et attendues, qui ont été coupées… Dont la scène du balcon! Balcon où j’ai donc attendu quelque temps, à la suite de la Nourrice qui y montait elle-même — pour rien. La vue en hauteur n’est jamais inutile cependant et c’est bien le point fort du lieu comme de la forme: où que l’on soit, quel que soit le moment dont nous sommes témoin, primordial ou non, nous écrivons notre propre pièce par notre regard et il n’est donc jamais totalement perdu. C’est la richesse de ce moment de théâtre immersif qui crée un véritable espace de contemplation, presque de voyeurisme parfois, de recherches et de prise de position finalement. D’angles et de points de vue.

J’assiste au mariage « secret » de Roméo et Juliette, puis à la mort de Mercutio et de Tybalt. Je vois certaines personnes partir en plein milieu de l’altercation, probablement sans savoir qu’ils se trouvent face à un évènement-clé. La façon dont elle est gérée est intéressante d’ailleurs: à mi-chemin entre un combat réel (eau rougeâtre utilisée dans l’action pour marquer la violence) et symbolique (les personnages une fois “morts” sont tout simplement les genoux au sol, le dos droit, les yeux fixes et inertes, sans être allongés, ni faire semblant d’être réalistiquement morts). Une difficulté encore une fois contournée et que je trouve bien pensée, puisqu’elle évite l’exagération dans le jeu que pourrait susciter absence de paroles… Et que pouvait laisser apparaître parfois les bruitages de sanglots répétés de la Nourrice. Il semblait aussi que ce choix de rendre la pièce muette, tout en nous incitant à rester nous-mêmes muets était avant tout pour éviter les interférences entre différentes scènes proches qui deviendraient alors incompréhensibles, aussi pour ne pas attirer trop l’attention du public et qu’une scène finisse par attirer tout le monde d’un coup et empêche une déambulation libre. Mais je crois qu’il y avait, de plus, cette volonté de ne pas tout expliciter, de laisser une part d’interprétation aux spectateurs et de flou général, pour que cette histoire si connue se renouvelle, “se dépoussière” et soit plus qu’un énième Roméo et Juliette. Ce qu’elle a réussi, je crois. La scène de fin (à savoir : la fausse mort de Juliette, la mort de Roméo, puis la mort de Juliette) bien maîtrisée, visible de tous et sans excès, est presque trop pudique dans son lot de morts respectives. A souligner : le jeu sur la vitesse, entre pauses, accélérés et ralentis qui a été particulièrement travaillé (au banquet et à la fin) plonge le spectateur dans une atmosphère presque cinématographique pas déplaisante. Le Prince revient conclure, noir, et la boucle est bouclée.

Conclusion: deux découvertes, un lieu et une compagnie dont je suis curieuse, après cette expérience très originale, de découvrir le travail plus avant. D’autant plus quand on sait qu’ils ont récemment été programmés au Théâtre des Asphodèles. Affaire à suivre donc!

RATure

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