Les Rats Des Planches
Les Rats des Planches
3 min readJul 5, 2019

--

Samedi 25/05/2019 : Ça tiregnol ! 2ème tour, Guignol de Lyon — Compagnie M.A.
Théâtre de Guignol, Lyon 5
Mise en scène : Cie M.A. Emma Utges
Marionnettistes : Gérard Gaudau, Flore Goubeau, Philippe Séclé, Emma Utges
Musicien : Sylvain Freyermuth
Lumière/son/régie : Mélanie Duret
Tarifs : 18–16€

Après 5 heures de débat sur BFM-P*****-TV où ne tarissent pas les barrissements des listes majoritaires qui capricent dès qu’on esquisse une riposte à leurs arguments factices, où on voit monter les partis qui pissent impunément sur le droit d’asile et qui se remplissent les poches dans les coulisses de l’UE, il est difficile de décrire notre état d’esprit. On est dépités, on tourne vers la dérision tout en étant profondément déprimés face à une Histoire dégénérescente.

Pas besoin de vous faire un dessin plus détaillé: on est saoulés.

Alors on a besoin d’une bande de potes sachant encore dire tout haut ce qu’on est las de penser tout bas, qui parviennent encore à nous faire rire face à ce qui n’est plus drôle, et c’est ICI que la tradition du Guignol reprend tout son sens.

Le spectacle est fini d’écrire (une deuxième fois, pour le ‘deuxième tour’!) littéralement la veille des élections, joué dans la foulée pour un seul soir, devant une salle quasi-comble pour un tour de la question des Européennes et du contexte actuel qui l’entoure. Ca Tiregnole, la création éphémère de la Compagnie M.A nous dresse des portraits des partis, nous rappelle sans mâcher ses mots, les derniers bidouillages de Macron et de l’opération “Renaissance”, les aberrations de la presse, notre mémoire collective à œillères ainsi que notre capacité d’attention réduite, passant plus de temps à critiquer les trottinettes électriques qu’ à analyser les listes électorales. Tout ça, à quoi bon, vous dites ? Eh bien, comme le dit si bien l’ami Gnafron: “C’est pas parce qu’on se fait baiser quoiqu’il arrive, qu’on a pas le droit de savoir par qui et comment”.

Photographie: Théâtre Municipal Le Guignol de Lyon

Alors on leur pardonne tout, à ces marionnettistes, ou plutôt, ça nous fait marrer, les transitions foireuses, les improvisations, les raccords un peu bancales avec la musique ou la scénographie ; ce n’est pas important ici : ce dont on a besoin ce n’est pas d’une mise en scène lisse où il est impossible de déceler le vrai du faux. On en a assez justement des tours de passe passe où après avoir fait disparaître les rouges, on nous subtilise la gauche maintenant, et on nous prend pour des bleus en peignant la droite en vert juste le temps d’une élection. Pardon je m’égare, mais m***e quoi, au moins chez Guignol : On sent qu’ils sont là, ils chantent pour nous des remaniements d’airs connus pour mieux aller avec l’actualité, et leur manipulation est conçue pour mieux nous faire rire, et pas pour nous la mettre profond comme dans une marionnette à gaine. Même l’envers du décors, comme à leur habitude, ils nous le montrent volontiers après le spectacle en ouvrant les coulisses de leur petite scène, avant d’aller prendre le mâchon tous ensemble.

Le rire est un exutoire mais pas un sédatif — c’est le contraire de la déprime (en même temps c’est assez logique). On en rit et l’humour noir, comme dans Krach (création de la même compagnie jouée en fin 2018) nous donne l’envie de lever le poing tout en applaudissant (ce qui n’est pas évident). Guignol est là pour nous rappeler qu’on a le droit de rire, et que c’est ce qu’il y a de plus puissant face aux frustrations qui nous accablent : quand, dans un coup de génie, le musicien (Sylvain Freyermuth) nous fait découvrir que le signal sonore irritant au possible des trottinettes électriques déchargées dehors est quasiment identique à la musique de la scène de la douche dans Psychose de Hitchcock. Quand Madelon se plaint de son nouveau ‘brexit’ (Emma Utges / Flore Goubeau) qu’on lui a offert, un genre d’animal de compagnie qui, en leitmotiv du spectacle annonce qu’elle sort, puis reste, resort, pour finalement s’arrêter indécise sur le pas de la porte. Surtout aussi, quand Gnafron (Philippe Séclé) rentre de la boulangerie avec des clous et des vis le lendemain de l’incident, c’est un acte bien plus résistant d’en rire que d’en pleurer.

Pour ceux qui en revoudrait dans ce style, on se retrouvera au Nid de Poule dimanche soir pour ‘Les Zéropéennes #5’ // Collectif Kinko

GraT

--

--