Face aux migrations contraintes, l’humanitaire comme substitut aux défaillances politiques?
#Convergences, mercredi 7 septembre 2016, 13h, Hôtel de Ville de Paris, Salon Bertrand.
Pour répondre à cette question, les équipes de Convergences et de la revue Alternatives Humanitaires, co-organisateurs de la conférence, ont réuni un panel à la représentativité impressionnante: un ancien ministre et pionnier de l’humanitaire, un représentant du HCR, la présidente de la première association française d’aide aux migrants, deux actrices de terrain présentes en Syrie et en Méditerranée, et un représentant des fondations françaises, à la longue trajectoire humanitaire. Leurs témoignages passionnants ont inspiré à Diane Cadiergue les réflexions qui suivent.
Une crise qui cristallise les peurs…
Le public était nombreux, manifestement concerné par une thématique qui secoue la société et déchaîne les passions. Un sujet chaud dans toutes les rédactions de France et qui va sans nul doute donner lieu à tous les affrontements et toutes les surenchères pendant la campagne présidentielle. “La question migratoire n’est pas du tout traitée rationnellement dans les discours actuels et des contre-vérités circulent en permanence” s’indigne Geneviève Jacques, Présidente de La Cimade. La solidarité sortira-t-elle victorieuse de la confrontation qui s’annonce ? Le pronostic n’est pas favorable, quand on voit par exemple que sur les 32 000 réfugiés que l’État français a promis d’accueillir il y a quelques mois, à peine 4000 seraient effectivement arrivés en France.
… et nous révèle l’état du monde
La crise migratoire n’est qu’une part d’un phénomène migratoire global, a priori durable et l’aboutissement dramatique d’une multitude de facteurs, comme le rappellent les intervenants. Au premier rang desquels les conflits qui durent, s’enlisent et s’étendent faute de résolution. Ainsi, “en 2016 ce sont 13 millions de personnes qui ont besoin d’aide humanitaire en Syrie (chiffres des Nations Unies). 70 % de la population n’a pas accès aux services sanitaires et à l’eau potable. Le nombre de déplacés internes (sans doute encore sous-estimé) atteint 6 millions”, témoigne Amal Abou El Ghayt, Responsable du plaidoyer et des relations extérieures au Secours Islamique France, une ONG présente en Syrie depuis 2011 et qui agit tout au long de la chaîne de solidarité, jusqu’à l’accueil en France.
Mais aux conflits, il faut ajouter les inégalités croissantes à travers la planète, où les aspirations croissantes des individus se heurtent à un manque de perspective d’avenir (emploi, ressources). “C’est une chose terrible que cette mondialisation de la peur. Notre prospérité européenne a entraîné des rêves de migrations, qui s’inscrivent désormais dans une tradition dans de nombreux pays africains, car ils n’ont pas vraiment le choix”, dit Bernard Kouchner, co-fondateur de MSF et ancien Ministre des Affaires Étrangères.
Le dernier facteur aggravant est bien le dérèglement climatique qui, pour sûr, va influer durablement sur les migrations de tout ce qui vit -ou survit- sur notre planète.
Ces ‘migrations contraintes’ percutent profondément les modèles de développement et d’organisation de notre monde en ce début de 21e siècle. “A l’échelle de la France, cette crise migratoire interroge : ce que nous faisons (l’histoire en marche), ce que l’histoire en retiendra (dans le futur) et aussi notre histoire passée, celle de la 2de guerre mondiale, des boat-people des années 70…” indique Boris Martin, Rédacteur en chef de la nouvelle revue Alternatives Humanitaires.
Cette crise est aussi la pointe de l’iceberg -et celui-là ne risque pas de fondre- qui pointe l’inadéquation de nos schémas de gestion et de pensée face à la réalité et aux besoins de notre époque. “Dans cette crise on constate un recul de la solidarité et un échec de l’Europe. Le refus d’une générosité élémentaire. Quel besoin d’être à 27 si c’est pour ne rien faire ?” déplore Bernard Kouchner.
Alors face à des drames humains qui exigent une réaction immédiate, et en l’absence de vraies décisions durables, l’humanitaire bien sûr sert de réponse de substitution. Comme toujours. Il est nécessaire ici, là-bas, aujourd’hui. L’action de SOS Méditerranée a ainsi été lancée par des citoyens européens, Français, mais aussi Allemands et Italiens, “pour compenser l’inaction de l’Europe, qui ne fait pas de sauvetage mais a choisi de mener une action défensive (l’opération SOPHIA depuis octobre 2015), de traque des passeurs” nous explique Fabienne Lassalle, Directrice Générale Adjointe de l’association.
L’humanitaire n’est pas une solution, c’est un pansement. Mais un pansement ne guérit pas, il sert simplement à limiter les dégâts.
Ce qui peut guérir, ce sont les traitements : des décisions politiques, des actes, et des orientations susceptibles de changer la donne: rétablir des règles qui amènent de la justice et de l’apaisement là où le chaos, la discorde et les injustices désespèrent et font fuir les hommes. On n’en fera pas l’économie. Aucune porte blindée ne protège d’un tsunami. Comme le dit Benoît Miribel, Président du Centre Français des Fonds et Fondations, et Directeur Général de la Fondation Mérieux “Il n’y a pas de sécurité sans solidarité”, et Geneviève Jacques d’ajouter que “le fondement des politiques devrait être le DROIT ! Pas la sécurité ou l’humanitaire.”
De véritables solutions, durables, sensées et humanistes, pourront être trouvées si les citoyens les réclament, partout où ils peuvent s’exprimer. C’est le sens notamment de la toute dernière campagne d’Amnesty International “J’accueille”, qui sera lancée dans quelques jours à l’occasion du sommet des Nations Unies sur les réfugiés. “Comment toucher ceux qui sont contre les réfugiés et l’accueil des migrants ? En organisant plus de lieux de rencontre, en soulignant les compétences des réfugiés, et en démontrant que l’Europe peut aussi profiter de cet apport de savoirs faire et compétences.” propose Ralf Gruenert, Représentant en France du Haut Commissariat des Nations Unies aux Réfugiés. C’est notre affaire à tous, c’est notre monde qui est malade et c’est notre avenir à chacun qui se joue dans le sort de nos voisins qui crient à l’aide.
Pour lutter contre l’exclusion des migrants, il faut donc mobiliser sans plus attendre tous les acteurs de nos sociétés : associatifs, société civile, État, collectivités, entreprises et fondations. Car les moyens à fournir sont significatifs et requièrent réellement une participation large. Il faut surtout réveiller la solidarité populaire, car c’est elle qui pourra faire la différence, en se battant pour l’application du droit, et notamment le droit d’asile. “Face à des propos de plus en plus ouvertement xénophobes, il faut tenir le discours de la tolérance, de l’humanité et toucher l’intelligence des gens” nous dit Geneviève Jacques. Un grand élan de solidarité, ne serait-ce pas ce qui pourrait arriver de mieux à notre société aujourd’hui ?