INCEPTION

Depuis peu, je ressens cette sensation très étrange de sortir de moi-même.

julie.brun
5 min readApr 3, 2016

C’est peut-être ça que l’on appelle « la prise de recul ». Ce moment où, notre corps et notre esprit se dissocient. Où notre esprit sort de notre corps pour mieux nous regarder, nous espionner, nous questionner.

Notre esprit se pose au dessus de notre tête pour regarder ce qu’il se passe.

Prendre du recul face aux choses vis-vis desquelles on ne peut de toute façon rien faire.

Prendre du recul face aux situations qui ne sont plus supportables, voire qui deviennent insupportables. Insupportables par leur manque de sens, par leur vide.

Bizarrement (ou pas), cette sensation intervient de plus en plus souvent dans le cadre du boulot, quand je suis dans une réunion. Il va sans dire que dans ces réunions, qui sont bien souvent interminables et vides de sens (on y revient), chaque participant y va de ses considérations personnelles.

Mais alors comment trouver du sens à tout ça et comment continuer à faire semblant de s’y intéresser ?

Comment prendre part à la conversation, rester concentrée, donner un avis objectif quand on a l’impression de n’en avoir plus rien à faire ?

Quand on a l’impression de ne plus savoir quoi en faire et de ne plus être à sa place ?

Alors que passer 10 minutes à échanger ou débattre sur la couleur d’un gris, un gris trop gris, un gris trop froid, trop bleu, trop jaune, me semblait tout à fait normal et pertinent il y a encore quelques années, aujourd’hui, je ne suis plus capable de prendre ça au sérieux.

Je suis partagée entre ma conscience professionnelle et ma quête de sens.

Parfois, je me demande comment je trouve encore la force de continuer à y croire. Comment ma conscience professionnelle, celle-là même qui était tellement présente à une époque, qui ne m’a jamais fait faux bond, celle qui est portée par la bonne élève, la perfectionniste qui squatte là-haut (à côté de la professeure foldingue) peut-être toujours présente.

J’attends parfois le moment où elle va s’envoler, partir en courant, sans jamais se retourner.

La prise de recul est en train de s’installer en moi. Je suis à la recherche de sens. A force de me l’être auto-rabâché, il semblerait que l’auto-persuasion ait fini par fonctionner. La quête de sens est en marche.

Le processus est long. Il s’installe lentement, doucement. Insidieusement.

Une fois qu’il est installé, au départ, il va il vient, puis, petit à petit, il reste ancré. C’est un sentiment qui est là, présent, au dessus de notre tête, telle une épée de Damoclès.

La prise de recul peut faire peur et j’avoue que souvent et parfois, elle me fait flipper.

J’ai l’impression que ce n’est pas normal. Ce détachement vis-à-vis des choses et plus particulièrement de son travail.

J’ai l’impression que si je ne suis pas à 200%, cela ne vaut pas le coup de faire les choses.

Que si je ne suis pas passionnée, si je n’ai plus envie de tout donner, alors cela ne sert plus à rien.

Mon boulot a été pour moi l’un des éléments les plus importants dans ma vie. J’ai été sur-motivée, sur-dévouée aussi et j’avais même du mal à comprendre ces personnes qui considéraient leur boulot uniquement comme un boulot.

Pour moi, c’était c’est bien plus que ça. C’est un moyen de s’épanouir personnellement et intellectuellement, de se dépasser, de répondre à des challenges, bref c’est un élément clé dans une vie.

J’en attendais beaucoup. Beaucoup trop sans doute. J’ai cherché pendant plus de 5 ans un eldorado qui n’existe pas, et la quête de cet eldorado que je n’ai malheureusement jamais trouvé a eu raison de mon éternel optimisme.

Il faut dire que la reconnaissance n’était pas au rendez-vous et que l’intérêt n’était pas toujours présent non plus.

Ça, c’est ma première analyse. En creusant un peu plus, je me rends compte que j’ai sans aucun doute au fond de moi cette envie de toujours changer, de switcher et de slasher.

C’est ce sentiment profond au fond de moi qui me donne aujourd’hui cette sensation de manque. Un manque de sens je l’ai dit mais aussi cette impression d’être passé à côté de quelque chose.

Au final, peut-être qu’il ne s’agit là que de trouver le bon équilibre. D’arrêter de penser que son job c’est toute sa vie, mais trouver de quoi s’épanouir ailleurs.

Prendre du recul pour trouver la bonne balance entre passer sa vie au boulot et se faire une montagne de tout ce qui peut intervenir sur un projet, et être capable de se dire que ce n’est que du travail.

Mais surtout, prendre du recul vis-à-vis des choses sur lesquelles je n’ai aucun pouvoir.

Sur la politique d’une boîte, sur la hiérarchie, sur des décisions prises sans aucune objectivité, parfois de manière complètement irrationnelle mais qu’il faut malgré tout suivre.

Apprendre à sortir de son corps, de son esprit, pour se protéger. Apprendre à y revenir aussi, à remettre son costume, à rentrer à nouveau dans son rôle, pour assurer.

Assurer son job, son poste, rester professionnelle, tenter de trouver du sens dans ce qu’on peut.

Rester pro, continuer à porter les projets comme on l’a toujours fait, être le moteur, motiver les autres.

Et en même temps ne pas tirer la gueule quand un projet part en vrille, parce que j’ai enfin compris que cela ne dépend pas de moi.

D’ailleurs, un proverbe tibétain dit « Si un problème a une solution, il est inutile de s’en inquiéter ; s’il n’en a pas, s’inquiéter n’y changera rien… »

Mais alors pourquoi la prise de recul, tellement évidente sur le papier, ça me fait autant flipper ? Parce que je me rends compte que la manière dont j’ai pensé depuis presque 10 ans est en fait une énorme connerie ? Parce que j’ai peur qu’un jour mon esprit et mon corps se rejoignent pour se révolter ?

Prendre du recul : ne serait-ce pas finalement la clé pour tenir un peu plus longtemps. La clé de la réussite pour soit se protéger, soit partir, vite, sans se retourner.

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julie.brun

“Les mémoires d’une jeune femme dérangée”. Regard sur le monde, questionnements et débats intérieurs.