Marche “Les Passagers de la Ligne 15” organisée en juillet 2018 par Enlarge Your Paris

LA MARCHE EST LE MEILLEUR RÉVÉLATEUR DU GRAND PARIS

Retour d’expérience sur “Les Balades du Grand Paris Express” avec Enlarge Your Paris

Jean-Fabien
LES BALADES DU GRAND PARIS EXPRESS
6 min readNov 12, 2018

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Un beau matin le Grand Paris nous est tombé dessus comme le ciel sur la tête des irréductibles banlieusards que nous étions. Dans toute sa brutalité et sa verticalité, “on” avait décidé de substituer au mot banlieue un élément de langage qui se voulait aussi fort, désirable et universel qu’une marque.

À Montreuil (comme ailleurs), territoire déjà largement impacté par le phénomène de la gentrification, l’annonce de cette grande réforme territoriale fut accueillie avec autant de crispation que de peurs de se voir spolié, défait de son identité, braqué dans sa fierté, dépouillé de son héritage ou, plus simplement, nié dans son quotidien. Du côté du zinc, le Grand Paris est très vite perçu dans les conversations matinales comme une affaire de cols blancs, subi comme un acte de “terroirisme” politique, interprété comme un nouvel effet pervers de la mondialisation.

L’absence d’un grand récit fédérateur

Au diable la compétition avec New York, Shanghai et Londres. Quand on habite dans le 78 où le 93 la notion d’hyper territoire ne fait pas toujours sens. D’autant que nul ne peut attribuer de définition claire, une forme d’évidence au Grand Paris; comment en établir les contours, en saisir la logique au delà des analyses contradictoires et des gros titres de la presse écrite ? Tout juste comprenait-on que de nouvelles lignes de métro étaient en projet pour servir le bien commun.

Si on ne comprenait pas le Grand Paris, c’est aussi, nous disait-on en petit comité, parce qu’il souffrait de l’absence d’un grand récit fédérateur.

Alors pour tenter de saisir sa réalité au delà des mots, des projets et des concepts, j’ai décidé de partir à sa recherche, en marchant avec mes amis d’Enlarge Your Paris. À travers champs et le long des canaux, par les chemins et dans les rues, entre les voitures et les troupeaux.

La plage du Kilowatt, zone industrielle des Ardoines à Vitry sur Seine

Des centaines de facettes et autant de récits

L’étape d’avant le Grand Paris restait celle de la découverte élargie de la banlieue et de l’Île de France. De l’Abbaye de Cernay à la zone industrielle des Ardoines à Vitry, du parc de Sceaux aux usines Babcock à La Courneuve, des bords de Marne au palais d’Abraxas à Noisy, du canal Saint-Denis à la pièce d’eau des Suisses à Versailles, du Fort d’Aubervilliers à la Ferme du Bonheur à Nanterre : je n’ai pas découvert un seul visage mais des centaines de facettes et autant de récits singuliers. Ils sont la force de ces territoires, que j’ai photographié de façon à la fois naïve et systématique en me mettant dans la peau d’un simple passant. En partant à la rencontre de ces mondes, en abandonnant un instant Montreuil, mes repères et ma zone de confort, j’ai fini par comprendre que le Grand Paris serait “mon” Grand Paris ou ne serait pas.

Le Fort d’Aubervilliers

Le Grand Paris est une projection personnelle, c’est le résultat d’une expérience intime, fondée sur le principe de la mobilité et des usages. Le Grand Paris est une carte physique et mentale dont le périmètre et les contours sont définis par notre activité et nos pratiques. Il s’agit avant tout d’un service rendu à la personne mais aussi d’un label protecteur des identités, des récits et des patrimoines locaux. Car Le Grand Paris ne doit justement pas se substituer à la force des territoires qu’il parraine. Au contraire, il doit puiser son inspiration et sa vigueur dans la variété des paysages, des cultures et des identités qui rendent finalement la banlieue et l’Île de France si attractives et uniques au monde.

À vitesse d’homme

En traversant ces terres à vitesse d’homme, en photographiant leurs paysages dans un contexte de marche active, nous avons pris conscience de leurs atouts, de leur beauté même accidentée où en souffrance. Depuis quelques mois, la banlieue est devenue un immense chantier à ciel ouvert dont la grue est l’animal totémique. Ces immenses grues que l’on repère au loin et qui permettent d’évaluer et de suivre le tracé des futures lignes de métro qui traversent les villes.

Chantier de gare du Grand Paris Express à Arcueil-Cachan

C’est d’ailleurs cette idée qu’a retenu Vianney Delourme d’Enlarge Your Paris pour explorer la banlieue sous un angle inédit : marcher à la surface, sur les tracés des futures lignes de métro, pour en découvrir les territoires et les paysages et relier entre elles ces villes au voisinage muet. Sur l’exemple de François Maspero et d’Anaïs Frantz nous avons eu envie de devenir à notre tour “les passagers du Grand Paris Express”, en marchant sur des kilomètres, depuis Noisy-le-Sec jusqu’à Pont de Sèvres, sur la route des vingt deux gares de la future Ligne 15. L’aventure a ainsi débuté par une série de marches de repérages, afin d’en évaluer l’intérêt et de valider l’hypothèse narrative pour chacune des étapes. Dans ce processus la photographie a tenu plusieurs rôles puisqu’il s’agissait à la fois de documenter le parcours, d’en identifier les éléments remarquables, d’assembler les paysages en chapitres et de redéployer le tout sous la forme de récits afin de pouvoir partager nos carnets de route avec les marcheurs que nous avions l’intention d’inviter à revivre l’expérience de façon collégiale au cours de l’été.

Des paysages qui racontent

La difficulté de photographier tout en marchant c’est de ne pas pouvoir se poser pour illustrer une scène, d’être dans l’impossibilité de s’immerger pleinement dans le cadre. Il a donc fallu agir totalement à l’instinct, faire confiance aux bruits de la ville, aux lignes de force qui surgissent, aux stimulis de toutes natures, à la poésie brute ou à la délicatesse des paysages qui défilaient sans relâche sous nos pas. De ce point de vue la banlieue ressemble à un livre pop qui dévoile une nouvelle histoire, un paysage différent à chaque page tournée. Une ville comme Vitry sur Seine est à elle seule capable d’offrir des bords de Seine somptueux, propices aux pique-niques et aux barbecues sauvages, puis de passer à un environnement industriel avant de glisser vers une campagne encore sauvage. Le Grand Paris c’est un peu cela finalement : une infinie succession de récits, des paysages qui racontent des siècles d’Histoire à travers un patrimoine matériel et immatériel remarquable. En traversant les villes de la future Ligne 15, en jouant le rôle d’agrafe urbaine, la marche a permis de relier entre eux des territoires et des villes qui se tenaient côte à côte sans dialoguer et la photographie de fixer cette image de la banlieue d’hier et d’aujourd’hui, juste avant qu’elle ne bascule dans une autre dimension, une nouvelle histoire et un rythme accéléré.

Leclanche

Cachan, près de l’hôtel de Ville en rénovation

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Jean-Fabien
LES BALADES DU GRAND PARIS EXPRESS

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