SUR LES TERRITOIRES DE LA LIGNE 16 DU GRAND PARIS EXPRESS

Épisode 1 • De la Fontaine aux Lions à la Cité des 4000

Jean-Fabien
LES BALADES DU GRAND PARIS EXPRESS

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À cette heure du lundi, la Villette est déserte. Le ciel semble faire à moitié la gueule au dessus de la fontaine aux lions, point de départ matinal de cette première balade sur les territoires de la future Ligne 16 du Grand Paris Express. Je vois mon camarade d‘asphalte arriver au loin sur l’esplanade, vêtu d’un short et avec des chaussures de ville au cuir visiblement traumatisé d’avoir déjà autant souffert sur les chemins. Direction la frontière de Paris en passant par les quais, sur la ligne historique des anciens abattoirs.

Porte de la Villette, nous glissons comme un été en pente douce vers les bords du canal au paysage tranquille. Ceux qui avaient posé leurs tentes et leurs poches pleines d’espoir ont disparus depuis. Seul reste le souvenir des petits dômes de toile qui poussaient sous les ponts en génération spontanée, comme des champignonnières.

Au bout de 100 mètres à peine, les premières œuvres d’art urbain s’impriment sur le béton. Elles sont signées Guate Mao, sorti pour l’occasion loin de ses terres dyonisiennes. Dans le silence de ce petit matin calme, se succèdent par épisodes discrets les scènes d’un quotidien bercé d’une douce banalité. Au bout d’une laisse, un chien promène son vieux et les bicyclettes passent en faisant tinter leurs sonnettes aigrelettes aux abords des bipèdes qui se croient seuls au monde. Ils sont de plus en plus nombreux à pédaler sur cet axe facile et dégagé qui relie d’une seule traite Paris à Saint-Denis. Une mini navette fluviale au design futuriste surgit tout près du Millénaire, ce temple de la consommation à la ligne triste et moche.

Très vite, la street art avenue aligne un premier spot sur-saturé de fresques avec en ouverture une relecture nerveuse et débridée du Lotus Bleu, où Tintin et les Dupont fuient le jeune Didi avec son sabre au clair.

En face, un camion pelleteuse à la mine boudeuse creuse des trous dans son coin en nous tournant le dos pendant qu’une minuscule maison en briques, recouverte de slogans pro migrants en anglais dans le texte, attend seule et résignée de connaître le moment de son exécution. Une rue triste à la longue robe gris sale vient s’éteindre à nos pieds comme une langue lépreuse. Nous préférons traverser pour voir la vie en face où le business des chinois d’Auber s’étend comme un vaste empire sur la ville.

Marcher sur le canal, c’est comme ouvrir un livre pop up, avec un décor différent qui se dresse à chaque page.

Ici ce sont surtout les ponts qui se succèdent dans une variété de formes, de styles, de matériaux et d’époques. Ils coupent la perspective et forment un paysage, arc-en-ciel métallique à dos rond ou aux longues droites fuyantes. Leur proximité attire toutes sortes d’activités de plein air, dont le barbecue sauvage et le concours de vidage de canettes laissent quelques traces visibles du sérieux des records déjà bien établis. Bientôt, l’A86 survole nos têtes à très basse altitude. Portée par des piliers massifs comme des immeubles, la puissante autoroute pèse de sa superbe comme le plafond d’un temple postmoderne, orné de fresques animalières aux dimensions provocantes.

Voilà que nous quittons le canal et sa ligne de fuite hypnotique pour entrer au Franc Moisin, un quartier de Saint-Denis né après les sixties sur les cendres d’un bidonville exsangues. C’est paraît-il ici que le jeune Didier Morville a croisé le destin à base de popopopo du futur Joey Starr et que les bergers urbains du projet Clinamen ont lâché leurs tout premiers moutons à la conquête des villes. Nous arrivons à présent dans une sorte de zone molle, dans un moment de ville sans réalité tangible quand soudain un homme se matérialise, comme surgit de nulle part. L’épaisse muraille de nature barbelée qu’il vient de traverser cache la réalité d’un lieu époustouflant et totalement secret. Là sous nos yeux, dérobé à la ville, sur des hectares entiers, le spectacle d’une nature luxuriante nous fait face. Au milieu de cette jungle européenne quelques traces de jardins ouvriers évoquent aussi l’hypothétique présence d’un quelconque Robinson que l’on finit par croiser sous le masque fermé d’un vieux bonhomme bougon à l’accent portugais. De retour sur l’asphalte nous traversons de petits quartiers repliés dans le silence de la rue. Bientôt le tissu urbain aura la densité d’une ville qui semble avoir pris corps par à-coups successifs sans beaucoup se soucier du visage qu’elle aura. Dans sa ligne d’horizon, les 4000 forment une chaîne comme un Everest de béton qui culmine au dessus de toute cette vie grouillante, traversée de flux incessants. Plantée comme un totem, une immense tour aux allures de bunker tout en verticalité à été évidée. Tel un zombie urbain totalement décharné, l’immeuble hante l’entrée du vaste Leaderprice de son ombre spectrale. C’est là que le chantier du Grand Paris Express signale La Courneuve et notre point d’arrivée à la proximité du Moulin de Fayron, un lieu étrange et sourd, étouffé sous les lierres et qui semble avoir été oublié là, aux pieds des grandes cités.

Texte et photographies Jean-Fabien Leclanche pour Enlarge Your Paris
Photographies réalisées dans les conditions de la marche active à l’iPhone et à l’aide d’un boitier Fujifilm X100F.

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