SUR LES TERRITOIRES DE LA LIGNE 16 DU GRAND PARIS EXPRESS

Épisode 2 • Du Bourget à La Villette

Jean-Fabien
LES BALADES DU GRAND PARIS EXPRESS

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J’arrive au Bourget avec des souvenirs de gamin et des images de JT plein la tête mais le glamour du salon s’évanouit sur le quai de la petite gare cernée par les travaux. Prêt à en découdre avec le bitume, Vianney m’attend déjà. “Nous sommes sur la Route de Flandre !” s’exclame-t-il d’un ton enjoué. C’est un axe commercial important qui, depuis le moyen âge, relie la Belgique à Paris via La Villette et Le Bourget. Voilà l’histoire que raconte cette nouvelle balade sur les territoires de la Ligne 16 et dont nous allons vérifier le trajet en partant, une fois n’est pas coutume, de son point d’arrivée.

Une double voie à débit rapide, venue de La Courneuve, nous coupe la route sans amabilité, portée par un pont autoroutier qui domine une vaste zone d’activité et de chemins de fer. Il s’agit de la RN2, la fameuse Route de Flandre, dans sa version Mad Max que nous décidons de traverser avec la plus grande prudence. Un escalier nous dépose quelques mètres plus bas, sur une petite langue d’asphalte compressée entre un tsunami de palissades grises et de vieux murs aux briques rongées d’herpès. Un chantier du Grand Paris Express creuse sa bosse près des voies ferrées. À l’entrée du quartier ce graf rageur revendique de n’être “Jamais dans la Tendance”, ce qui colle plutôt bien à l’esprit de ce purgatoire urbain. Nous laissons les lieux à leur lente agonie pour rejoindre à nouveau la fameuse RN2 en direction de La Courneuve. Le flux incessant de la circulation coupe la ville en deux rives éloignées et distinctes. Isolés, de chaque côté de la quatre voies, les immeubles se taisent, les commerces se font rares et les passants aussi. J’ai l’impression que la ville se dérobe à notre compréhension, qu’elle masque son visage quand soudain le frontispice d’une petite maison explose dans la rue comme un feu d’artifice de couleurs vives. Nous apprenons qu’il s’agit l’entrée du temple Sivan, dédié à Shiva, dieu du yoga. Mon camarade engage la conversation avec un monsieur d’âge mûr à propos des charmes uniques de la vieille ville de Pondichéry que tous deux semblent bien connaître.

Nous nous enfonçons à présent dans les petites rues qui irriguent les quartiers pavillonnaires parallèles à la RN2, marqués par la forte présence de ces communautés et notamment des Tamouls du Sri-Lanka. La Courneuve est une destination prisée pour qui veut découvrir l’Inde à Paris.

Nous poursuivons notre chemin dans des rues sans histoires, jusqu’à l’entrée des Courtillières que nous allons traverser à pas feutrés. À cette heure de la matinée le quartier vit sa vie paisible. Les jardins ouvriers d’Aubervilliers sont de l’autre côté du trottoir, déjà débordants de vie. Aubervilliers est une ville de contrastes, un territoire au caractère rugueux mais ouvert sur le monde. Installé ici depuis 30 ans, Bartabas, dont nous longeons les installations du théâtre Zingaro sur l’avenue Jean-Jaurès, ne dirait pas le contraire. Encore quelques pas et nous voici à l’entrée sécurisée du Fort d’Aubervilliers. C’est un lieu extraordinaire et toujours largement méconnu qui fut d’ailleurs construit pour contrôler le passage de la Route de Flandre dont nous suivons le fil. Le Fort a eu mille vies et donc autant d’histoires à raconter. Propriété de l’armée jusqu’en 1973, terrain de jeu du Raid, casse automobile, berceau de la culture hip hop et graffiti, il continue toujours d’accueillir artistes et activistes dans un décor de western urbain. Avec ses casses automobiles sauvages sur les trottoirs l’avenue Jean-Jaurès est un peu l’extension de ce décor de polar noir. Nous prenons plutôt les rues parallèles pour découvrir ce qu’il reste de charmant dans ces bouts de banlieue oubliés ça et là. Tranquillement installée au fond d’une petite rue éponyme, la Halle Papin nous accueille avec un bouquet de rires et de couleurs. Le site est engagé dans sa dernière ligne droite. Bientôt le collectif Souk Machines qui lui a donné vie s’engagera ailleurs, sur de nouveaux projets créatifs et festifs. Ainsi va la vie des friches : live fast, die young. Nous sommes à Pantin, le long de la rue Cartier-Bresson où Artof Popof à mis au goût du jour son célèbre “Être Ange”, une œuvre d’art urbain qui fût longtemps associée à l’identité de Montreuil avant d’être vandalisée par des graffeurs agressifs et jaloux. De l’autre côté du trottoir, légèrement en retrait, la devanture d’un bâtiment anonyme cache les 25.000 mètres carrés des anciens entrepôts de la société Tati que le CNAP (Centre national des arts plastiques) a décidé d’investir comme siège principal de ses activités futures. La Galerie Thaddaeus Ropac et le CND, avec son immeuble en souffrance et son grand néon rouge vif, sont également sur la route de cette balade très urbaine qui s’achève au cœur du parc de La Villette que traverse le canal de l’Ourcq.

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