By SpaceX (Falcon Heavy and Dragon) [CC0 or CC0], via Wikimedia Commons

L’innovation, ce n’est pas l’agilité

Karine Sabatier
LesEclaireurs
Published in
5 min readFeb 15, 2018

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Au fil de nos interventions dans les entreprises, nous observons souvent une confusion autour des deux sujets : agilité et innovation. C’est ce qui m’a inspiré ce billet pour partager l’état de mes réflexions à ce jour.

Le fantasme agile

J’ai beaucoup ri à la lecture du Dictionnaire des idées reçues de l’innovation de Claudio Vandi. On ouvre le bal évidemment avec “Agile : Tout le monde veut l’être. Si on s’intéresse à son contraire (lent, pédant et lourd) on comprend pourquoi.”

Au delà du trait d’humour il faut reconnaître que vouloir être agile est devenu une mode, et le terme lui-même, un mot valise avec son cortège d’idées-reçues. Lorsqu’on échange avec les managers sur ce qu’est l’agilité pour eux, on voit apparaître toutes sortes de fantasmes : l’agilité c’est la créativité, l’agilité c’est faire plus, plus vite, c’est l’anti-process, et pour beaucoup agilité égale tout simplement innovation.

L’agilité c’est surtout :

  • La rigueur, la discipline individuelle et collective de l’auto-organisation et la responsabilisation de chacun dans l’équipe avec des valeurs humaines fortes (inscrites dans un manifeste)
  • l’équipe avant l’individu (donc peu de place aux experts et à leur posture de sachants) et le client au centre de l’équipe et des décisions
  • une cadence et un rythme soutenable qui confèrent une certaine maîtrise du temps avec une planification à 3 niveaux (version, itération, journée)
  • le tout porté par le concept central d’amélioration continue (notamment des décisions et des processus)

Mais dans quel but ? le but de l’agilité est de s’adapter au changement et même de transformer le changement en opportunité plutôt qu’en quelque chose de négatif que l’on subit. La posture agile c’est la rétroactivité positive (on réagit positivement a posteriori au changement — sans même chercher à l’anticiper)

L’innovation ce n’est pas l’agilité

L’innovation, c’est la pro-activité (on n’attend rien, on crée le changement).

Innover et être agile n’ont en réalité que peu de choses en commun mais sont complémentaires. Et l’un n’est pas nécessaire à l’autre. Innover c’est créer le changement. L’agilité c’est s’organiser pour s’y adapter. La posture est radicalement différente.

Le monde auquel Amazon aurait dû s’adapter (au tout début, bien avant de conquérir chaque aspect de notre vie numérique) était un monde de libraires en perdition. Le monde auquel Zara aurait dû s’adapter était un monde textile en fort déclin en Europe… Uber aurait dû s’adapter à un environnement dans lequel tout le monde disait “En France ? Avec le lobby des taxis ? Impossible !” Le monde auquel Expliseat aurait dû s’adapter est un monde aéronautique très fermé et très normé dans lequel il était compliqué d’innover rapidement. Tous ces acteurs ont fait le pari de créer leur nouvel environnement, leur futur désirable, plutôt que de s’adapter à l’existant.

Si tout le monde ne cherchait en permanence qu’à s’adapter, il n’y aurait aucune innovation. S’adapter c’est respecter le cadre (certes changeant) et innover c’est justement sortir complètement du cadre.

Pourquoi cette confusion entre agilité et innovation ?

La confusion vient d’une part de notre rapport au temps : dans l’imaginaire collectif, pour innover il faut aller vite (alors qu’il faut surtout être au bon endroit au bon moment et très résilient). L’idée reçue que l’agilité c’est de “faire plus, plus vite” (ouch !) alimente la confusion.

D’autre part, avec l’essor des méthodes comme le Lean Startup ou le Design Thinking, on associe désormais systématiquement innovation et démarches centrées client : la bonne innovation serait celle qui met le client au cœur du dispositif, point. Le fait que l’agilité donne des clés pour travailler avec le client (au point qu’il a un rôle dédié dans l’équipe agile) alimente aussi la confusion.

Attention aux dogmes !

Beaucoup d’innovations ont réussi sans être centrées client. Et sans être agiles non plus. Quant à la vitesse de développement, la plupart des technologies qui se mettent à marcher ces 10 dernières années sont en réalité cultivés depuis des décennies, pendant lesquelles elles n’ont jamais suscité l’intérêt du public / client / utilisateur (exemple : l’intelligence artificielle, les robots, etc.) Nespresso a mis 21 ans à révolutionner la manière dont on consomme le café. Et même AirBnb a mis plus de 6 ans à valider sa proposition de valeur, aidé surtout par la crise des subprimes de 2008 (le timing !).

Pour innover il s’agit donc d’être suffisamment résilient pour créer les conditions d’un futur (plus ou moins lointain) désirable, quelle que soit la méthode de production du produit (agile ou non).

Savoir alterner les postures pour tirer parti des deux

Est-il possible (et souhaitable ?) de cumuler recherche d’innovation et méthodes agiles ? Au Shift nous pensons qu’on peut combiner les 2 approches à condition de faire la part des choses et de ne pas confondre les objectifs de l’une et l’autre .

Dans une démarche d’innovation (création d’un futur inédit), travailler avec l’agilité va apporter l’intelligence collective en interne, la cadence (pour être résilient et persévérant et continuer d’apprendre par cycles courts) mais aussi des valeurs profondément humanistes.

Dans une démarche agile, les valeurs et principes des méthodes constituent déjà, pour certains, une forme si ce n’est d’innovation, de renouveau. On parlera d’innovation managériale : une innovation interne centrée sur le projet et les processus et qui va entraîner des changements dans la façon de manager les équipes (car l’agilité change durablement la manière de travailler des équipes et des clients).

Au-delà de l’intérêt pour les méthodes agiles, nous voyons de plus en plus d’entreprises qui ont compris que l’agilité est bien plus qu’une méthode de gestion de projet, mais bien un état d’esprit qui permet de mieux se comprendre, collaborer et produire. Et même si ce n’est pas l’innovation, ce sont des apports qui ne peuvent être que bénéfiques à toute organisation.

Alors c’est quoi l’innovation ?

Innover est avant tout une nouvelle posture, mélange d’audace, d’intuition, de persévérance, de résilience, d’observation (et notamment d’interprétation des signaux faibles) et de conviction… Innover c’est aussi l’art de naviguer dans l’incertitude et la complexité pour provoquer les heureux hasards. Et ce sont bien tous ces ingrédients, hautement faillibles, incontrôlables et humains, qui font que personne n’a aujourd’hui trouvé la recette miracle… à part de se lancer !

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Karine Sabatier
LesEclaireurs

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