Edwin Land a changé nos vies avec le Polaroid.

L’innovation ce n’est pas la créativité

Karine Sabatier
LesEclaireurs
Published in
5 min readOct 25, 2018

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Après avoir exploré les liens entre innovation et agilité, j’aimerais questionner les liens entre innovation et créativité. Ce questionnement part, comme toujours, de notre vécu au Shift. Combien d’entreprises, en juin et en octobre, souhaitent organiser un séminaire d’idéation / de créativité pour trouver des idées de projets innovants ? Se rassembler, jouer la carte de l’intelligence collective pour débusquer ensemble de nouvelles idées ? Petits points de départ de nouveaux grands projets… qu’elles n’auront probablement ni le temps ni les moyens de porter.

Comme disait Edwin Land, le génial créateur du Polaroid

“It’s not that we need new ideas, but we need to stop having old ideas.”

La confusion entre invention (créer quelque chose de nouveau) et innovation (amener l’invention à trouver son marché et à changer la vie des gens) est en train de lentement se dissiper. Celle entre innovation et créativité (la capacité à produire quelque chose de nouveau en connectant des concepts, des idées qui n’avaient pas encore été connectés auparavant) est plus tenace.

Tout d’abord questionner le besoin de créativité

Souvent on envisage la créativité comme quelque chose de ponctuel. On serait créatifs pendant quelques séances de créa pour faire face au mal qui nous ronge : la routine. Un peu comme on utiliserait le massage pour soigner une sciatique. Alors que c’est notre posture toute entière qu’il faut changer dans les deux cas.

Le besoin de créativité est parfois révélateur de structures en souffrance qui utilisent la créativité pour donner une bulle d’oxygène à des salariés sous pression. On est dans le mythe de la créativité salvatrice pour échapper aux 3 H (histoire, habitudes, héritage). Le soufflet retombe vite car si la créativité sert à “sortir du cadre”, tôt ou tard l’entreprise revient imposer “le cadre”.

Dans les organisations, les collaborateurs sont déjà tous (très) créatifs. C’est le cadre qu’il faut changer pour le rendre moins inhibant. Les ateliers de créativité ne font qu’augmenter la frustration si ce cadre n’évolue pas et si on n’a pas l’autonomie de mettre en oeuvre ensuite. Or peu d’entreprises arrivent à créer une culture de la créativité, parce que c’est difficile, que cela requiert un certain lâcher prise, une attention et une discipline de tous les instants. Et pourtant je suis persuadée que c’est là qu’il faut mettre les efforts.

Mais alors comment arrivent les innovations ?

Comment naissent les innovations et quelle est la place de la créativité dans l’innovation ? D’abord on voit bien qu’il peut y avoir un point de convergence entre les deux, ce point commun c’est la nouveauté. Et puis pour inventer quelque chose de nouveau ne faut-il pas être créatif ? Souvent mais pas toujours en fait.

Les inventions sont soit issues du hasard, soit le fruit d’un long et patient travail de recherche, de tâtonnement, de développement, d’éducation, d’évangélisation… et, il faut bien l’avouer, de chance aussi.
Distinguons, pour faire simple, 2 types d’innovation

1. L’innovation incrémentale

Elle ne remplace pas la technologie dominante, et n’a d’ailleurs généralement pas été conçue pour cela. Elle apporte une amélioration graduelle. Elle ne crée pas de nouveaux marchés, mais crée une concurrence entre les acteurs existants qui se battent pour améliorer leur produit.

On voit beaucoup d’innovations incrémentales dans le secteur de l’automobile par exemple : ajout de composants innovants qui améliorent l’expérience de conduite, comme les radars de recul ou les moteurs hybrides.

Cette innovation graduelle est surtout basée sur l’observation et l’amélioration continue, les ingrédients principaux de cette recette sont l’immersion et l’empathie. En terme de méthodologie, c’est le Design Thinking qui a le vent en poupe aujourd’hui et qui permet d’adopter une approche holistique et empathique d’une problématique (ex: “améliorer l’expérience du conducteur lorsqu’il se gare”). La créativité sert alors à se projeter et à imaginer de nouvelles solutions. Les idées de départ sont sourcées et observées “sur le terrain” et elles sont donc avérées, cruciales et pertinentes.

2. L’innovation radicale ou disruptive

Elle finit par remplacer une technologie dominante sur un marché (la création destructrice) ou par créer de nouveaux marchés, même si au début elle semble peu prometteuse (appareil photo numérique, téléphone, télévision). Elle se reconnait souvent par la levée de boucliers qu’elle suscite et par l’accueil réfractaire des experts. Elle se produit souvent par de longues recherches (mais pas toujours).

Les travaux sur l’Intelligence Artificielle, qui apparaît aujourd’hui comme disruptive, ont démarré depuis plus de 60 ans. Les ingrédients principaux de cette recette sont le temps, la résilience et l’expérimentation. Là encore la créativité intervient dans des processus long terme pour trouver de nouvelles solutions, moins coûteuses, plus accessibles, ou pour faire des ponts entre des disciplines qui n’étaient pas reliées jusque là.

La créativité pour trouver des idées géniales et innovantes ?

Si la créativité a une part importante pour certaines inventions délibérées, la page Wikipedia dédiée aux découvertes dues au hasard nous montre que la sérendipité a aussi sa place dans la naissance des grandes innovations. L’ingrédient principal dans cette recette de l’inattendu, est le hasard et notre capacité à nous en saisir ou à retourner un échec en succès. Dans ce contexte la créativité peut entrer en jeu pour trouver de nouveaux usages à ce qui vient d’être découvert.

Il faudrait donc que les organisations développent une culture de la sérendipité, de la diversité et de l’essai / erreur ? On voit parfaitement pourquoi c’est difficilement envisageable. L’entreprise installée exécute son “business model” et a tout intérêt à contraindre son environnement, à créer des process pour optimiser ses performances, plutôt qu’à se baser sur la chance et l’incertitude pour innover !

Enfin, circule encore énormément l’idée reçue selon laquelle il faudrait que « l’idée», géniale et créative, soit le point de départ d’un projet d’innovation. Or l’effectuation nous a montré depuis longtemps qu’il n’est nul besoin d’avoir une idée originale pour innover et conquérir un marché.

La créativité pour changer de logiciel

En résumé l’innovation est un processus long et complexe qui demande une grande ouverture d’esprit et beaucoup de persévérance et de résilience. Le processus créatif y a sa place non pas sur l’idéation de projets, mais pour trouver des solutions nouvelles avec les contraintes existantes (la contrainte rend créatif), qu’elles soient matérielles, financières ou humaines. Il faut donc d’abord faire un état des lieux des problèmes à résoudre, des forces et ressources en présence et ENSUITE faire preuve de créativité sur le long terme pour trouver des solutions innovantes et contourner les obstacles qui ne manqueront pas de se présenter.

Revenons à monsieur Land : “It’s not that we need new ideas, but we need to stop having old ideas.”

Il ne s’agit pas d’utiliser la créativité ponctuellement pour trouver des idées géniales de projets, en gardant par ailleurs la même façon de penser et d’agir. Il s’agit de la cultiver au long cours pour arrêter de penser comme on le fait depuis toujours, et trouver des solutions nouvelles en tenant compte des ressources dont on dispose (la contrainte). Et ce changement de posture ne peut pas se produire en 2 jours.

Voir aussi mon article “L’innovation ce n’est pas l’agilité”

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Karine Sabatier
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