Ce que c’est que de nous…

Confession d’une femme perdue dans le monde virtuel

Catherine Leduc
Lézamimo

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J’aime bien cette expression. Ce que c’est que de nous. Elle est vieillotte à souhait, surannée comme une photo couleur sépia, elle a juste assez de mots pour revenir à l’humilité qui manque souvent.

Le monde autour de moi veut me faire croire qu’il me faut peu de chose pour être choquée, peu de chose pour m’attrister, peu de chose pour m’énerver, peu de chose…

Et si ce si peu de chose était la meilleure raison d’écrire?

Je ne suis pas une “digital native”, clairement. J’ai longtemps refusé d’avoir un compte Facebook ou Twitter. Les autres réseaux, n’en parlons pas. Un jour, je m’y suis mise quand même. Sans doute pour faire comme tout le monde, sans doute pour tenter de comprendre ce nouveau monde, pour ne pas être “à côté de la plaque”. Sans doute aussi avec l’espoir d’un inédit. Un monde nouveau. Une révolution sociale.

Bon… La naïveté n’est pas un si vilain défaut.

Où sont passées les habiletés sociales dans le monde virtuel?

Il paraît que je ne suis pas très forte en habiletés sociales. En fait, pas forte du tout. Oh! Je sais sourire, dire bonjour, apporter un gâteau pour l’apéro entre collègues. Je sais être polie, aimable, accueillante. Et je fais bien la cuisine! (Enfin, je crois… Les personnes qui mangent à ma table me le disent… Dois-je les croire ou font-ils semblant pour me faire plaisir?)

Le hic, c’est que je ne participe pas beaucoup aux conversations. La raison en est simple. La plupart du temps, je ne comprends pas là où les gens veulent en venir. La plupart du temps, les gens ne savent pas eux-mêmes où ils veulent en venir. Les conversations m’assomment comme un match de ping-pong à coup de phrases qui commencent par “Oh! Moi…” Personne ne s’écoute.

Par contre, j’aime les dialogues. Quand une idée m’intéresse, j’ai envie de l’explorer jusqu’au bout. Quitte à la triturer, quitte à piquer. Je suis fort pénible, paraît-il (mes pauvres chers tous…). Si je blesse, malheureusement ça m’arrive, ce n’est jamais intentionnel. Je n’aime pas blesser les gens.

Je n’arrive toujours pas à comprendre comment les gens savent juger avec une rapidité surprenante les qualités d’une personne. Sur leur photo de profil ou de vacances? Sur les trois phrases qu’ils alignent à la va-vite? Sur la qualité de leur orthographe, peut-être? Euh… non, ça ne doit pas être le bon critère. (Pardon.. voilà que ça me reprend… je me gifle la joue… il faut être humble question ortografe…)

On me dit que, sur les réseaux sociaux, la norme est aux discussions qui dérapent en déballage d’opinions péremptoires, d’invectives, d’insultes. Mais il paraît que les usagers connaissent les règles du jeu. Oh! Ce n’est pas très compliqué, elles se résument à faire gonfler le chiffre du nombre “d’amis”.

Facebook devient un réseau publicitaire géant, le web est truffé de blogueurs qui doivent payer pour espérer se vendre (très fort comme concept!), la communication “start-up nation” s’étale jusque dans les groupes “qui nous veulent du bien”.

Et l’on perd conscience que la vitrine n’est pas la réalité.

Toutes ses choses m’exaspèrent. Pourquoi? Oh, c’est tout simple. Je n’aime pas beaucoup recevoir des leçons d’habiletés sociales de la part de personnes qui oublient leurs principes dès qu’ils sont derrière un écran.

Y-a-t-il une raison pour que mes habiletés sociales s’améliorent si le réseau est virtuel? En fait, non. Est-ce potentiellement pire? En fait, oui! C’est l’expérience que j’ai faite dernièrement.

Il a suffi d’un billet de com’ sur un “formidable projet”, il a suffi que je me pique de rédiger une réponse parce que je connais le sujet et que le bouton “répondre” m’y invite. Il a suffi qu’il soit le contraire d’une opinion, il a suffi de ne pas applaudir à l’unisson de la brassée d’enthousiasmes reçue.

Il a suffi d’employer, avec mon plus grand naturel, le ton qui est le mien, un ton qui n’aime pas la facilité. Il a suffi de croire dur comme fer qu’un peu de contradiction serait intellectuellement bienvenue. Il a suffi d’oublier qu’on ne discute pas avec des inconnus.

Il a suffi de tout cela, et je me suis fait envoyer bouler vertement derrière mon écran. C’est peu de chose, certains s’y habituent, moi je n’y arrive pas. Toute l’histoire de ma vie…

Voyons, Catherine! Comme si l’idée d’un forum ouvert à tous pouvait prendre place dans ce monde virtuel monopolisé par la communication! Comme tu es naïve! La leçon était claire.

Il faudrait d’abord montrer patte blanche avant de s’exprimer, il faudrait d’abord être dans la communauté. Il faudrait d’abord montrer qu’on est humble, il faudrait d’abord dire merci. Il faudrait d’abord reconnaître qu’on ne sait rien du projet.

Effectivement, on ne sait rien. A longueur de billets qui communiquent, on ne sait toujours rien.

Cette histoire m’a pas mal remuée. Je faisais l’autruche jusqu’à présent, j’avais encore quelque espoir de réduire le malentendu. La naïveté, toujours...

Et je me rends à l’évidence, la logique des communicants me restera à jamais étrangère. Si je devais vendre mes rillettes, je lancerais “Nous n’avons pas les mêmes valeurs”.

Pour la première fois, j’ai appuyé sur le bouton “Delete story”. Pffft envolée ma réponse, disparue. Retour à la case “je n’ai rien à dire” comme tant d’autres silencieux qui fréquentent le monde virtuel.

Ce que c’est que de nous…

Le monde d’aujourd’hui pense en terme de communautés et de communication. Personne ne remet cela en question. C’est comme ça. Acté. Signé. Y a plus qu’à s’adapter… Je ne trouve aucune place dans tout ça.

Mal câblée pour la vie sociale, je passe mon temps à réfléchir. Suis-je pour autant condamnée à me taire? Dois-je observer dans le monde virtuel mon mutisme habituel qui me sert de protection contre les jugements hâtifs et les discours embrouillés?

En réalité, en découvrant Medium, j’avais décidé le contraire.

Chercher à exprimer mes idées me fait du bien. Ecrire me fait du bien. Avoir quelques lecteurs est une surprise toujours plus grande. Découvrir d’autres personnes qui s’expriment, toutes si diverses, me fait du bien. Étendre le champ des possibles via internet me fait du bien.

Mais observer le communautarisme exacerbé, les agressions gratuites, le système “lèche-botte” entretenu par les réseaux sociaux, franchement… non, ça ne me fait pas du bien.

Faut-il manquer d’humilité pour écrire en pensant être lu? Sans aucun doute oui. Il faut quand même suer à grosses gouttes sur son clavier.

Et pour étaler son soi-même sur les réseaux sociaux? Et pour faire la course aux “j’aime” sur Facebook, “bravo” sur Medium, “euros” sur les plateformes de crowdfunding? Il faut suer aussi, j’en ai bien peur.

Je suis fébrile à l’idée qu’une start-up se lance dans l’analyse de nos sueurs.

Ce que c’est que de nous

Inutile de rêver, la communication “start-up nation” a déjà réussi à nous transformer en produit. Les personnes valent plus que les idées.

L’individu est roi, la société n’est plus que virtuelle, les vieilles règles du jeu social reviennent en se camouflant. La vitrine ne réfléchit rien, elle ne veut qu’éblouir.

On chasse la réalité sous le tapis quand elle ne nous plait pas, on fait semblant de la regarder quand ça nous arrange. On enchaîne les images choc, on achète des livres sur le bonheur. La nausée arrive, et l’on n’a rien à vomir.

Ce que c’est que de nous

Il sera toujours plus facile de s’envoyer bouler les uns les autres. Il sera toujours plus facile de prétexter l’offuscation et toujours plus aisé de refuser le dialogue. Et qu’y gagnerons-nous? Rien, sans doute, mis à part le contentement.

Si nous ne sommes pas prêts aux débats, dans la réalité comme dans le monde virtuel, alors nous en sommes à réclamer la démocratie comme des bébés réclament leur biberon.

Si nous nous arrêtons à nos ego meurtris par la contradiction, c’est que nous n’avons pas grande estime ni de nous-même ni des autres.

Si nous nous enfermons dans nos groupes de personnes identifiées comme nos entre-soi, entre-sol, entre-pommade, entre-indignés, nous ne ferons qu’entretenir un système social aveugle et inégalitaire.

Ce que c’est que de nous

Et l’on se plaint de nos vilains algorithmes, et l’on imagine des stratagèmes pour mieux les contourner. Mais l’on se targue de montrer la voie à tous nos followers et “amis”. Qu’est-ce qu’on imagine au fond dans nos vraies vies? Mystère… Où passent les idées dans la moulinette des réseaux sociaux? Mystère...

Dans le monde digital comme dans le monde réel, je n’appartiens à aucune communauté, alors je ne suis rien, je ne sais rien. Dans ces conditions, bien sûr je suis perdue. Le système me perd. Il m’oublie, fait comme si je ne pense pas. Pfft, disparue. Sois belle et tais-toi. Les communicants savent pour toi.

Ah oui, vraiment? Pardon, mais non. Ce monde-là, je n’en veux pas. Il pompe toute mon énergie. A quoi bon toute cette technologie si le but est d’aboutir à toute cette fausseté, à toute cette masse d’informations prise en gelée, à cette société qui ne crée rien sauf du buzz, du sensationnel, de l’époustouflant. On appelle ça innovation, moi je vois beaucoup de gâchis.

Ultra-connectés, vraiment? Réseaux “sociaux”, vraiment? La fameuse économie de l’attention et de la connaissance déconnecte les gens de leur cerveau, détricote les liens sociaux, favorise les vérités alternatives. Aucune loi ne pourra changer cela. C’est à chacun de revenir à la réalité. Personnellement, je la trouve infiniment plus passionnante.

Alors, que faire? Abandonner Facebook, Medium, Twitter? Ne plus écouter la radio, ne plus lire les journaux? Aller m’installer en ermite sur un plateau du Larzac pour traire mes chèvres et manger mes courgettes? Ça pourrait être une définition du bonheur… J’ai bien peur que le bonheur m’ennuie.

Donc, j’ai appuyé sur le bouton “Delete story”. Pas pour me censurer. Pas pour faire plaisir. Pour pouvoir écrire la suite. Et qu’à cela ne tienne, il faudra faire autrement. Essayer. Je ne sais pas. Essayer d’inventer. Essayer en tout cas.

Je crois en l’écriture, c’est la seule chose en laquelle je crois. L’écriture. La trace. La suite. Je veux continuer de lire et continuer d’écrire, avec humilité, pour ne pas me perdre moi-même.

Lost in translation? Yes. Completely lost.

Ce n’est pas grave. Pas grave du tout.

PS: France Culture me fait régulièrement des cadeaux. Celui-là était chouette, il tombait juste au moment où j’entreprenais l’écriture de ce billet. Certaines discussions ne sont pas vaines.

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Catherine Leduc
Lézamimo

Passionnée idéaliste en quête de sens et d’énergies. J’aime les renards et les petits princes #utopieréaliste (et j’adore mon métier d’orthophoniste!)