Chères consœurs et confrères,

Réflexions sur le corporatisme, la représentation syndicale et la communication.

Catherine Leduc
Lézamimo
Published in
9 min readJul 8, 2017

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L’âge de pierre, l’âge de bronze, l’âge industriel, et maintenant l’âge numérique. À chaque âge son langage, ses codes sociaux, et ses styles de communication. Encore faut-il les apprendre, les comprendre et les utiliser.

Mes réflexions concernent mon métier, et sont nourries par mon métier. Je les partage tout de même ici pour toi, passant curieux. On ne sait jamais, tu pourrais te sentir concerné.

L’orthophonie appartient-elle aux seul-e-s orthophonistes?

Dans notre métier, le féminin l’emporte sur le masculin puisque, à la louche, 95% des orthophonistes sont des femmes. Pourtant, nous appliquons et imaginons tout un tas de jeux pour faire comprendre à nos patients les règles de grammaire figées que nous avons apprises. Sans trop y réfléchir ni trop y revenir. Parce que la langue française nous est chère? Parce que nous l’avons bachottée dans tous ses méandres sinueux pour ne tomber dans aucun de ses pièges lors du fameux concours d’entrée à nos chères études? Parce que nous avons comme mission de la transmettre à tous ceux dont la condition les désavantage et les handicape?

Régulièrement, je me demande pourquoi je continue d’expliquer aux gamins “le masculin l’emporte sur le féminin”. Et lorsqu’ils me demandent pourquoi, assez rarement je l’avoue, je ne m’autorise pas encore à répondre autrement que “parce que c’est comme ça…”

Le cours de linguistique de Ferdinand de Saussure nous apprend que la langue n’est pas le langage. Il nous apprend que la langue s’apparente plus à un code admis, compris et utilisé par l’ensemble des personnes qui parlent la même langue. “La langue s’impose à tous”, disait notre maître. Dans le même temps, nous avons appris que la langue est vivante, changeante, mutante même. Elle est faite d’histoires et de rebondissements, d’usages défaits et refaits par les siècles et les cultures. La langue appartient aux gens qui la parlent. Dès la première année de nos chères études, nous avons été mises en face de cette contradiction apparente, et chacune s’en est fait sa propre opinion (chacun aussi évidemment).

Pourquoi revenir sur cet apprentissage fondamental qu’est la linguistique, aujourd’hui?

A l’heure des réseaux sociaux et des autoroutes de l’information digitales, je constate que les professionnels de santé ne savent pas très bien «communiquer» dans cette société virtuelle. Je constate que les orthophonistes en particulier, professionnelles de la communication, ne savent pas très bien “communiquer”. Férues de polysémie, nous pouvons comprendre, peut-être mieux que d’autres, le glissement sémantique que le terme “communication” a opéré depuis une décennie, et nous aurions pu anticiper bien mieux cette nouvelle ère digitale où toutes les cartes sont rebattues, où l’organisation de la société est profondément modifiée, et où le maître-mot est justement “communication”.

Au lieu de cela, comme beaucoup de professions, nous n’avons fait que surfer sur la vague Facebook et ses possibilités a priori extraordinaires de mise en relation et de création de communautés à thème. C’est déjà une évolution remarquable, diront certaines (et certains), car il n’a jamais été aussi facile de partager entre professionnels des informations, des articles scientifiques, des idées de matériels, il n’a jamais été aussi facile d’engager des discussions entre nous. J’acquiesce bien volontiers à cette remarque car je suis devenue en une année une chrono-phagocytée volontaire par le “lien social” à la sauce digitale.

Mais, quelque chose ne me va pas dans ce système. L’entre soi et le communautarisme y sont beaucoup trop encouragés. Ce n’est pas vraiment de la “communication”. Ce n’est pas délivrer de l’information à destination du “public”. Ce n’est pas faire connaître notre profession et la plus-value que nous apportons à la société, ce n’est pas faire oeuvre de prévention ni d’alerte, ce n’est pas chercher à peser sur les décisionnaires de politiques de santé publique en utilisant les moyens offerts par Internet. Certaines ont déjà pris ce virage, je pense à joue pense parle par exemple, mais les initiatives de création de “contenus digitaux à haute valeur ajoutée” sont peu nombreuses et ne fédèrent encore que peu d’abonnés (3312 likes pour la page FB de joue pense parle). Dans le même temps, des sites d’enseignants repentis en psycho-pédagogues du net fleurissent et accrochent. La page FB de Lire Ecrire Compter a plus de 24 000 abonnés, celle de Apprendre à éduquer, elle, cartonne à 116 500 abonnés. (!!!) Et je ne parle que des plus sérieuses et documentées, car la désinformation circule peut-être encore plus vite.

A l’heure où les gouvernements successifs ignorent royalement nos syndicats traditionnels censés être représentatifs, à l’heure où chacune d’entre nous peut ressentir un malaise profond l’envahir car l’iniquité face aux soins grandit et l’ineptie des administrations nous empêchent de faire notre travail (cf: dossier double prise en charge), à l’heure où la pression exercée pour nous maintenir tout en bas de l’échelle des professions de santé est révoltante, je ne vois pas d’autres solutions que de “communiquer” en direction de tous. Pas seulement entre nous, pas seulement vers nos patients. En direction de tous, et faire entendre toutes nos voix. Exister dans la tête de Monsieur et Madame Tout-le-monde. Montrer, rendre visible ce que nous sommes, ce que nous faisons, ce que nous valons. Aujourd’hui, Internet bat la télé et les médias traditionnels à plate couture. Aujourd’hui tout se passe sur les réseaux sociaux.

Donc, chères consœurs et confrères, je vous pose cette question. Quelles règles devons-nous continuer d’observer dans ce monde en pleine mutation si nous voulons “communiquer”? Devons-nous rester fidèles aux vieilles règles de grammaire, “parce que c’est comme ça..”, ou pouvons-nous admettre des entorses au corporatisme actuel qui veut imposer “une seule voix, un seul corps”? Personnellement, je n’ai jamais pu me reconnaître dans cette formule, mais ce n’est pas vraiment le sujet. Aujourd’hui, je prends la plume car je crois franchement que cette formule est non seulement obsolète mais aussi contre-productive de nos jours. Parce qu’aujourd’hui, les médias traditionnels n’existent pas sans Facebook et surtout pas sans Twitter. Dans cette configuration, pour «communiquer» et être visible, il faut être nombreux, il faut de nombreuses voix, il faut une chorale de voix.

Dans une grande naïveté inconsciente, je me suis lancée il y a quelques jours dans une aventure particulière et personnelle. Je l’ai appelée Lézamimo. Parce que j’aime écrire, parce que j’aime lire, et parce que la fiction ou la pseudo-fiction m’a toujours beaucoup plus parlé que les discours réalistes et sérieux. J’ai toujours lu énormément de choses sérieuses, mais j’ai toujours mieux retenu et digéré ce qui me donnait des émotions inédites. Dans Lézamimo, je suis une orthophoniste qui cherche à communiquer. Mon point de vue à moi n’est pas d’expliciter mais de toucher. J’écris des pseudo-fictions sur mon ressenti d’ortho et sur des tranches de vie de patients. Et je les publie sur la toile. J’en appelle aux émotions. Ce n’est pas très professionnel ni très sérieux. Mais, je pense que ça compte.

J’avais à peine publié deux articles sur mon blog tout neuf et suivi par dix personnes (hahaha!) qu’une de mes consœurs se lâchait brutalement dans un commentaire Facebookien. Citation: “ Pour ma part atterrée par cette lecture orthophonique ! Presque en colère L’orthophonie ? Cela ? Pas pour tous…”

Ce commentaire ne m’est parvenu que par la grâce de M. Zuckerberg car il a construit un système où la délation a toujours le dernier mot. A peine avait-il été posté que ma “consœur presque en colère” se ravisait et supprimait ce commentaire impulsif. Rien n’apparaissait sur ma page FB, mais sa trace n’avait pas été effacée. Ce commentaire tomba dans ma boîte mail plus vite que son ombre, avec le nom et l’identité entière de son auteur. Que ma consœur se rassure, je ne dévoilerai jamais publiquement son nom ni sa fonction, car j’ai un profond respect pour l’éthique et parce qu’il m’est déjà arrivé, comme elle, de réagir à chaud puis de me raviser. Si j’en parle ici et maintenant, c’est parce que ce commentaire m’a profondément perturbée dans la forme comme dans le fond.

La communication digitale est à mon avis aussi éloignée du présent bien réel que la langue est éloignée du langage. Il y a les codes, qui semblent s’imposer à tous, et il reste ce que l’on décide d’en faire. Les réseaux sociaux imposent un nouveau langage, mais ce n’est pas la langue. Les réseaux sociaux imposent des codes de langage et de communication, mais ils ne parviennent pas à toucher le code ultime de la langue. La langue y a toute sa place. Nous, orthophonistes, sommes au cœur du nouveau paradigme de pensée créé par la révolution digitale. Cela semble très éloigné de nos vécus, mais cette question d’actualité n’a jamais été aussi proche des questions existentielles des orthophonistes.

Quand j’écris des histoires de patients, fictives et inspirées de réalité, je ne suis pas juste orthophoniste. Je suis une personne qui écrit des histoires et je me saisis de ma réalité pour, avec ma langue, dévider mes pensées et mes recherches. Je dis “je”. C’est moi que j’engage, pas ma profession.

Quand je publie sur la toile des histoires de patients, fictives ou réelles, personne ne le saura, je ne suis pas juste orthophoniste. Je suis une personne qui, par la langue écrite, cherche à partager ses pensées avec d’autres personnes qui, peut-être, y trouveront un intérêt. Rien ne peut permettre de préjuger par avance pourquoi untel ou unetelle lira mes histoires. Moi, en écrivant, mon intention première est de susciter de l’intérêt. Pour le métier que j’exerce, bien sûr, mais surtout pour les personnes que je rencontre grâce à ce métier.

Ces personnes ne sont pas n’importe qui, elles sont en souffrance. Notre métier n’est pas n’importe quoi, mais il est en souffrance. Nous, orthophonistes, sommes les parents pauvres du système de santé en France. Pourtant, je crois vraiment que la communication n’est pas un luxe. Je crois vraiment qu’une société civilisée et démocratique ne peut pas se passer de thérapeutes du langage et de la communication. Je crois vraiment que les compétences transversales des orthophonistes doivent être un moteur pour réduire les inégalités, promouvoir une société inclusive, développer de l’intelligence. Nous sommes une profession très jeune, même pas un siècle. Nous sommes des pionniers. Nos actes ont été remboursés par la sécurité sociale, et ce fut une victoire. Et ensuite?

Personne ne sait ce que nous valons. Personne ne sait ce que nous apportons et ce que nous soignons. En fait, personne ne sait, même pas nous. Nous n’avons que des opinions. Mais, comme la plupart des gens, nous faisons notre boulot, et basta. A l’intérieur de nos cabinets, nous savons ce que nous y faisons, mais en dehors, le mystère demeure. Cela n’a pas encore vraiment d’importance. La seule question que je me pose depuis que je suis orthophoniste, c’est: A quoi je sers? Quelle est ma place de professionnelle dans la société?

Avec Lézamimo, je n’ai aucune prétention orthophonique. Par contre, j’ai la prétention d’user de mes compétences pour essayer que Monsieur et Madame Tout le monde sachent ce qui peut se passer chez une orthophoniste au moins aussi bien que chez son médecin de famille.

Si les orthophonistes cherchent de la reconnaissance et de la revalorisation, il faut commencer par la chercher dans la rue. Les gouvernements ne prennent des décisions qu’en fonction de la popularité d’un sujet, c’est ainsi. C’est en informant, en alertant, en touchant les gens que nous seront prises au sérieux.

Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont des rues virtuelles, une réalité augmentée. C’est là qu’on croise des inconnus, qu’on leur fait un petit sourire amical, et qu’on engage la conversation. Il y a des malotrus, il y a des passants indifférents, mais il y a surtout beaucoup de gens «sociaux». Il nous faut sortir de nos cabinets et aller dans cette rue virtuelle, je crois, pour interpeller les gens, leur parler de nous. Parce que nous les soignerons peut-être un jour, eux ou leurs enfants ou leurs vieux parents. C’est de leur santé dont il s’agit.

Appel à textes, Appel à contributions

Alors, chères consœurs et chers confrères, si vous trouvez ma démarche idiote, passez votre chemin avec indifférence, ce n’est pas très grave.

Si par contre, vous y voyez une aventure intéressante, abonnez-vous à Lézamimo. Si, mieux encore, vous avez envie d’y participer en écrivant des histoires de patients, des anecdotes, des cas cliniques ou en proposant des sujets, je serais ravie de publier vos récits sur le blog. La seule contrainte est qu’ils soient écrits pour être lus par tous.

Écrivez-moi! Lézamimo est ouvert! Essayons de communiquer ensemble sur notre métier.

A plusieurs voix.

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Catherine Leduc
Lézamimo

Passionnée idéaliste en quête de sens et d’énergies. J’aime les renards et les petits princes #utopieréaliste (et j’adore mon métier d’orthophoniste!)