La politique n’est qu’un écran de fumée? Même dans le brouillard, il faut choisir son chemin…

Education: Pourquoi relancer de vieilles polémiques?

Quand le monde politico-médiatique en remet une louche sur le dos des professionnels, ça finit par agacer!

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11 min readNov 18, 2017

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M. le Ministre de l’Education Nationale, Jean-Michel Blanquer, a décidé d’en découdre avec la vieille maison EN. D’autres avant lui voulaient “dégraisser le mammouth”, lui veut “changer de paradigme”, à chaque décennie son vocabulaire. Il veut la moderniser et faire ça très vite parce qu’il y a urgence. Oui oui, c’est vrai qu’il y a urgence! Depuis quelques décennies, a-t-on envie de lui rétorquer. Mais soit, passons. La réponse serait toujours la même: “Nous ne sommes pas responsables du bilan des gouvernements précédents. Blablablablabla…..”

M. le Ministre Blanquer est féru de neurosciences, il y croit dur comme fer me dit-on dans l’oreillette. Il se dit plein de courage pour que la science devienne le grand levier de modernisation de l’école. On va voir ce qu’on va voir, l’école française va enfin se mettre à la page des connaissances scientifiques dans le domaine des apprentissages. On a envie de le croire, n’est-ce pas? Depuis le temps que les sciences de l’éducation existent, depuis le temps que les scientifiques élaborent des modèles pour comprendre et expliquer les processus d’apprentissages, on se prend d’un seul coup une petite bouffée d’espoir à l’arrivée d’un tel homme politique.

Pour ma part, le soufflet est retombé à vitesse grand V.

Il ne faut pas s’y tromper, M. Blanquer n’est pas un scientifique mais un “homme politique”. Mener une politique de réforme de l’Education Nationale est une affaire compliquée, le temps du mandat ne suffira pas. Tous les “hommes politiques” le savent, alors ils privilégient les mesures et les actions “coup de poing”. Le boulot consiste à s’emparer de l’air du temps et lancer la grosse machine de guerre médiatique. M. Blanquer ne déroge pas à la règle.

Hier, il relançait la polémique sur les méthodes d’apprentissage de la lecture, aujourd’hui il relance la vieille polémique sur “les vraies et les fausses dyslexies”. Toutes ces vieilles idées ne font plus débat dans la communauté scientifique depuis au moins une décennie mais le cabinet du ministre les ressort. Il y a de quoi s’interroger sur l’à-propos de ces déclarations.

Ne prenant pas M. Blanquer pour une souche dont le cerveau a brutalement été mangé par des fourmis extra-terrestres comme dans la série BrainDead (que je vous recommande chaudement), je cherche des explications. Qu’il en vienne à balancer le nom de ma profession dans les grands médias m’a grandement aidée à trouver des éléments de réponse.

Le monde politico-médiatique adore faire d’une pierre deux coups, son jeu tactique est impressionnant. On aurait bien envie de jouer avec eux mais on est d’emblée “out of the game”, le but du jeu n’est pas le même pour tout le monde.

Première leçon de communication: jeter le discrédit sur une cible, puis sur une autre. Diviser pour mieux régner

Pour réformer, l’homme politique choisit souvent l’option de remuer le cocotier. Pour cela, la recette du ministre est simple et d’une efficacité redoutable: faire resurgir les guéguerres en prenant à témoin les parents, par définition non-professionnels de l’éducation, et appuyer sur le bouton “agiter”. La sauce prend à tous les coups.

Pourquoi le faire:

  • Les premiers discrédités sont les enseignants suspectés dans leur ensemble de faire de mauvais choix dans leur travail. Il s’agit d’insinuer qu’ils continuent à utiliser de vieilles méthodes, et surtout des méthodes non-approuvées par la hiérarchie. Ce faisant, le politique renverse la vapeur à son avantage. Il laisse penser que tous ces profs sont incontrôlables et que le système est “irréformable” à cause de sa base. De là à faire croire qu’ils ne méritent pas les moyens qu’ils réclament, notamment en terme de rémunération, il n’y a plus qu’un pas. Il vaut mieux faire oublier que les enseignants français font partie des moins bien rémunérés d’Europe. Si le citoyen s’alarme, il ne lui restera plus qu’à se poser en grand ordonnateur de la grande marche vers le mieux et distribuer le manuel du parfait enseignant concocté par quelques experts choisis par ses bons soins.
  • Les deuxièmes discrédités sont les orthophonistes suspectés dans leur ensemble de faire des prises en charge de complaisance qui ne relèvent pas du soin. Les actes orthophoniques sont remboursés par la sécu, la prise en charge des dyslexies rentrent dans le cadre du soin. Dire qu’il existe de “vraies et de fausses dyslexies” remet directement en cause les compétences de diagnostic et de traitement des orthophonistes. Il s’agit d’insinuer qu’ils abusent de l’argent du contribuable et de son bon cœur solidaire. Ça tombe quand même super bien quand la profession est vent debout pour obtenir une juste reconnaissance du diplôme en terme de salaire (Salaire d’un ortho débutant à l’hôpital: 1700 Euros pour un Bac+5). Le sujet de la rémunération est central dans nos préoccupations, mais il est loin d’être le seul. Je parlais de cette situation il y a peu dans cet article.
  • Pour les parents “ordinaires” qui ne savent pas ce qu’est une dyslexie, qui ne savent pas pourquoi telle ou telle méthode d’apprentissage est bonne ou mauvaise, mais qui veulent que leur enfant apprenne à lire, rien de tel qu’un peu de désinformation pour les déboussoler. De là à ce qu’ils retirent leur confiance en tous ceux qui s’occupent de leurs bambins, il n’y a qu’un pas que beaucoup ont déjà franchi.

Au final, M. le Ministre se réclame de la science pour donner le sceau du sérieux à son projet mais il utilise des ficelles qui jettent le discrédit sur des scientifiques et des professionnels de terrain. Mon petit doigt me dit que ses grandes idées sont surtout budgétaires…

Deuxième leçon de communication: faire plaisir au bon “client”

C’est là qu’entrent en scène les associations de parents. Celles qui défendent le droit à la scolarisation des enfants porteurs de troubles spécifiques des apprentissages, tous les Dys et apparentés (TDAH, autisme… etc), tous ces handicaps invisibles que la société préfèrent ignorer. Ils militent pour que leurs enfant aillent à l’école et puissent apprendre comme les autres moyennant des aménagements pédagogiques. Leur combat auprès de l’institution est ancien et indispensable. Sur le terrain, les orthophonistes sont souvent leurs premiers soutiens.

Quand M. le Ministre leur dit qu’il faut plus de médecins scolaires, ils ne peuvent qu’être contents. Quand il leur dit que l’école doit reconnaître les “vraies dyslexies”, ils ne peuvent qu’approuver. Quand il leur promet plus de neurosciences à l’école, ils ne peuvent qu’être ravis. Quand il laisse entendre que l’école fabrique de la dyslexie, ils ne peuvent que s’alarmer.

Et là, le procédé est foncièrement malhonnête.

Les scientifiques et orthophonistes se battent pour expliquer que la dyslexie est un trouble neuro-développemental. Ils se battent sur le terrain pour que les enseignants et les parents fassent la différence entre ce trouble et toutes les autres causes de difficultés d’apprentissage de la lecture (psycho-affectives, linguistiques, troubles cognitifs …etc), mais M. le Ministre balaie tout ça en employant à dessein le mot dyslexie pour tout ce qui n’en est pas. On sait en long en large et en travers que l’école accentue les inégalités, on sait qu’elle n’est pas assez efficace pour les enfants en difficultés en général. Pourquoi M. le Ministre s’ingénie-t-il à pointer le doigt dans la mauvaise direction?

En choisissant cette option, il agite encore une fois le chiffon rouge de la peur et crée un écran de fumée pour masquer ses vrais choix. En choisissant cette option, il veut se poser en grand rassureur en chef du bon ordre à mettre en marche. Il veut imposer son rôle de chef, mais pas de réformateur.

Si la peur est un levier politique, est-il vraiment à la hauteur de l’enjeu?

Ce procédé est malhonnête d’un point de intellectuel mais aussi d’un point de vue politique.

On ne peut pas prétendre réformer le système éducatif si l’on met dos à dos tous les partenaires du système. On ne peut pas prétendre mener une politique efficace si on ne sait pas s’appuyer sur tous les professionnels de terrain.

M. Blanquer fait exactement l’inverse.

La science et les scientifiques proposent des modèles et des solutions depuis plusieurs décennies, les solutions sont archi-connues, les expérimentations foisonnent, les volontés existent, c’est l’institution qui ne change pas.

Que se passe-t-il en France? On sait, on ne peut pas dire que l’on ne sait pas. La science produit de la connaissance à un rythme incroyable, mais le monde politique ne bouge pas.

En avril 2016, j’avais écrit cet article. Je n’en retire aucune ligne, j’aurais juste envie d’aller un peu plus loin à cause de M. Jean-Michel Blanquer.

Monsieur Blanquer et tous les hommes politiques qui vont vous suivre, s’il vous plait, je vous en prie, arrêtez de nous prendre pour des crétins. S’il vous plait, je vous en prie, arrêtez de distribuer des bonus et des malus comme vos copains les banquiers-assureurs. S’il vous plait, je vous en prie, arrêtez de considérer l’action politique comme un grand jeu d’échec cynique. Monsieur le ministre, je vous en prie…

Et je pourrais continuer encore cette longue prière, il y a tant de choses que l’on attend de l’homme politique. Mais l’homme politique d’aujourd’hui préfère jouer une seule carte, celle de la com’, de la polémique, de la manipulation. L’homme politique d’aujourd’hui m’oblige à réagir. Pour moi, la limite est atteinte. Ce sont les professionnels de terrain qu’on fragilise, pourtant c’est à eux qu’il faudra bien faire confiance.

Au train où vont les choses, le système éducatif français ne sera pas capable de se soigner, il va crever de sa belle mort. Après lui le déluge. Les premières victimes ne seront pas les petits enfants de M. Blanquer, même s’ils sont dyslexiques, autistes, sourds ou TDAH. Tous les enfants des milieux dits favorisés peuvent très bien se passer du système. Les premières victimes de cette démission politique, ce seront tous les autres. C’est ce qu’on appelle créer de toute pièce un handicap social.

Où est la volonté politique de M. Blanquer?

La clé de la refonte de l’Education Nationale n’est pas très difficile à trouver, elle traîne sur le bureau des ministres successifs depuis des décennies. Le seul soucis, c’est qu’elle n’est pas dorée. Ce n’est pas la clé en or pour gagner des millions d’électeurs. Certains ont même voulu l’enterrer en supprimant les IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres). Elle a heureusement refait son apparition avec les ESPE (Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education).

La clé réside dans la formation des enseignants aux processus d’apprentissages, à la pensée inclusive et à la différenciation pédagogique.

On en observe de timides débuts dans l’organisation de la formation initiale, beaucoup trop timides par rapport à l’enjeu. Quand bien même les nouveaux professeurs recevraient une formation initiale excellente, ça ne résoudrait pas le problème. Il faudrait aussi obtenir une excellence de la formation continue. Parce que les enseignants en place ont certes de l’expérience, mais les connaissances scientifiques ont fait un tel bond qu’ils doivent revoir leur bagage théorique. Sauf que, de ce côté-là, c’est morne plaine dans l’institution.

La formation continue reste au raz des pâquerettes. On organise de-ci de-là des stages d’un jour ou deux qui relèvent plus de “réunions d’information”. On submerge les profs d’injonctions pour qu’ils soient sensibilisés un jour à l’autisme, un jour à la dyslexie, un jour aux troubles de l’attention. On balance dans leurs classes des AVS qui n’ont pas de formation du tout. Et puis, il faut aussi qu’ils sachent faire avec les “troubles du comportement” (autrefois appelés “cas sociaux”) et, cerise sur le gâteau, se coltiner l’enfant précoce de la collègue. Bref, on leur dit “Soyez efficaces, mais démerdez vous”. Y’a quand même de quoi être perdu à enseigner dans ces conditions.

Pourtant, le système n’est pas encore mort. Il vit et expérimente de-ci de-là de nouvelles formes de travail. Il vit et fabrique des solutions selon le terrain, selon le réseau, selon les personnes. Le système éducatif n’est pas encore mort parce qu’il y a des professionnels de terrain qui veulent bien faire leur travail, qui veulent se former, qui veulent créer des partenariats, qui veulent innover. Heureusement qu’ils sont bien gentils et un peu con-con, tous ces gens qui bossent pour faire tenir la perfusion de la grande dame. Jusqu’ici, ils ne coûtent pas un clou.

La clé est sur la table des ministres, mais c’est une clé qui pèse lourd, très lourd. Ce n’est pas une clé en or pour le politique, et elle coûte cher, très cher. Alors, que fait le politique? Il met la clé sous le tapis. Pffftt. Ni vu ni connu. Il nomme de gentils spécialistes pour remplir des missions d’études et rendre des rapports. M. Blanquer va un tout petit peu plus loin dans la manipulation car il croit en son Cédric Villani. Le monde politico-médiatique aime trouver le bon poulain pour parler à la radio, un gentil et sincère. Il lui colle la mission de débroussailler le terrain côté mathématique, mais son ambition s’arrête là.

La clé est sur la table, mais le courage de s’en servir est sous le tapis. On a envie de reprendre la prière. M. Le Ministre, s’il vous plait, je vous en prie…

Il ne faut pas demander aux enseignants de devenir spécialistes de tel ou tel trouble, les troubles des apprentissages ont déjà leurs spécialistes. Si vous voulez faire plaisir aux associations de parents, permettez aux orthophonistes de bien faire leur travail.

Les enseignants doivent enseigner, ils doivent faire l’école pour tous les enfants. Blancs, noirs, beurs de douzième génération, sourds, autistes, dyslexiques, handicapés moteurs, aveugles, déficients, surdoués, dans la misère, ou juste “normaux”. L’équation n’est pas aussi compliquée qu’elle en a l’air. La clé est dans leur formation aux processus d’apprentissages, à la pensée inclusive, à la différenciation pédagogique.

Vous aimez les neurosciences, M. le Ministre? Apprenez de la démarche scientifique. Regardez la solidité des études et des expériences. Ayez le courage que votre position impose. Il ne s’agit plus de croire en ceci ou en cela, il ne s’agit plus de jouer à qui sera le plus fin tacticien sur l’échiquier médiatique. Il s’agit de trancher sur l’allocation des budgets et faire un pari sur l’avenir.

M. le Ministre, l’avenir ne se joue pas dans les médias mais dans les écoles. Moi, j’ai choisi d’être orthophoniste, d’autres ont choisi d’être enseignant. Vous, vous avez choisi d’être homme politique. Alors, permettez-moi de vous retourner le compliment: “Démerdez-vous, mais soyez efficace!” Et surtout, ne vous inquiétez pas, on n’est pas rancunier. Si vous savez trouver l’argent, si vous savez poser le pactole à côté de la clé, si vous savez vous appuyer sur les professionnels de terrain qui aiment leur métier, on va très vite oublier cet épisode.

Par contre, si vous continuez sur cette lancée, si vous continuez à prétendre plutôt que faire, si vous préférez dépenser l’argent public pour faire grossir le pactole des intérêts privés au détriment de l’intérêt général, si vous continuez à jouer au grand contrôleur en chef des acteurs du service public, il faut vous attendre à une grande rancune nationale. Et tout le monde va y perdre.

En réalité, M. Blanquer à l’éducation, comme Mme Buzyn à la santé, ont une feuille de route déjà bien tracée. Ils vous disent vouloir “améliorer la qualité du service public”, il faut entendre “imposer le cahier des charges”. Leur politique n’est pas d’investir pour l’avenir, leur logique est budgétaire et le cahier des charges est imposée par les investisseurs privés. Le monde politico-médiatique le sait parfaitement, il a déjà dit amen.

La messe est dite? Vraiment? C’est sans compter sur le pouvoir réel des professionnels de terrain. Ce ne sont ni les médias ni les politiques qui parlent aux vrais gens, ce sont toutes les personnes qui reçoivent du public.

Je fais partie de ces professionnels qui parlent aux gens, qui expliquent, et qui informent. Je sais même faire des affiches à coller aux murs de ma salle d’attente. En fait, nous savons tous faire ça. Tous les acteurs de terrain, avec notre conscience professionnelle, nous pouvons dire:

Maintenant, il faut choisir. A qui voulez-vous faire confiance?

La confiance ne se décrète pas, elle se gagne. C’est sur le terrain que ça se passe. C’est à nous tous de le faire. Expliquons. Informons. La vraie règle à suivre n’est pas celle que le ministre veut imposer, mais notre déontologie. Allez! On s’y met?

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Passionnée idéaliste en quête de sens et d’énergies. J’aime les renards et les petits princes #utopieréaliste (et j’adore mon métier d’orthophoniste!)