Tu préfères être soigné par une orthophoniste ou te contenter d’une offrande de fleurs? Parce qu’elles ont du cœur, les zorthos!

Etat des Lieux des Orthophonistes et des Soignants en général

Catherine Leduc
Lézamimo

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Je ne connais pas personnellement Marion, mais nous sommes toutes les deux des orthophonistes. Son texte m’a remuée, comme pas mal de mes collègues, parce qu’il dresse un état des lieux réaliste et sans langue de bois de la situation. Et ça change un peu! Je le publie sur ce blog avec son autorisation parce que les Don Quichotte ont toujours quelque chose à dire. Lézamimo existe à cause de ça.

Madame la Ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn a annoncé qu’elle allait lancer une grande concertation auprès des professionnels de santé. Il va d’abord falloir qu’elle entende la réalité du terrain. Sinon, le désert médical va encore avancer….

Etat des lieux… Parce que ça faisait longtemps, et que la rentrée, la réforme SERAFIN à venir, les injonctions de l’ARS et les refus de la CPAM, les témoignages de collègues qui s’enchaînent, ces derniers temps, hier, aujourd’hui… ça me mine. Et ce soir, j’ai envie de baisser les bras.

L’AMO n’a pas été réévalué réellement depuis… le passage à l’euro. Soyons pas chien, on a eu droit à quelques centimes gracieusement jetés dans notre écuelle en 2012. l’AMO est passé de 2,40€ à 2,50. Formidable avancée s’il en est. Mon banquier a rit. Douce ironie…
Les actes n’ont pas été sérieusement revus non plus. Mais ptetre que ça aura lieu… Un jour. Y’a eu un truc négocié pour faire en sorte qu’on évite d’être payés 5€ de l’heure pour un bilan à l’avenir, applicable l’an prochain hein, faudrait pas qu’on s’impatiente trop non plus.
J’vous remets pas les calculs d’il y a 4–5–6–7 ans, ils n’ont pas changé (rien rien, rien n’a changé, tout tout va continuer, yeah yeah yeah !) sur ce que devrait être le montant de notre AMO s’il avait suivi 1) l’inflation 2) l’augmentation du SMIC.
Évitons donc de déprimer les foules avec des maths absconses, ce message sera bien assez long et déprimant… Notre diplôme passé à Master 2 en 2012, ne sera certainement réévalué à son juste niveau de reconnaissance dans les textes (Et nous, payés à niveau M2 ? douce utopie… Rêve polychromatique inaccessible) que lorsque les poules de Mathusalem auront des dents. Nous les anciens diplômés (en 4 ans d’études tout de même), à moins de faire une VAE pour prouver qu’on sait faire notre métier et que nous méritons une juste rémunération à hauteur de nos compétences, on sera ptetre ben quand même toujours payés comme des techniciens, à bac+2 avec notre choli Certificat de Capacité en Orthophonie. Mais avec l’exigence de continuer d’être à la pointe de notre décret de compétence à rallonge, qui ne nous laisse pas le temps de nous ennuyer et nous stimule le neurone; mais laisse un goût amer de foutage de gueule quand tu vois la reconnaissance académique et salariale à la fin par rapport à l’investissement en formations continues, réactualisations des connaissances, matériel, investissement personnel etc.

Aujourd’hui, nos tarifs sont toujours obligatoirement fixés par la sécu. Toujours obligatoirement conventionnés, toujours sans possibilités de dépassement, toujours indexés suivant la patho du patient. Toujours selon un barème arbitraire très certainement tiré à pile ou face par un bureaucrate déconnecté de la réalité du terrain, du soin, du travail de l’orthophoniste. Bah oui, parce que bon, si t’es dyscalculique, tu paies plus cher que si t’es dyslexique, mais moins que si t’es dysphasique, c’est la dure loi de la vie.
Donc en vrai, le libéral, c’est du salariat déguisé. TADADAAAA ! Nous ne sommes que des salariés de la sécu… Mais on assume nous-mêmes les cotisations patronales et on n’a pas les congés maladies, faudrait pas trop en demander non plus, le beurre toussa. Le fils du crémier avec ça ? (Perso je prends hein, envoyez les lettres de motivation ;-))
Et en salariat ? L’hôpital public, c’est juste du vol en terme de proposition salariale. Et les assos privées avec les convention 51 et 66 sont complètement à la rue même si mieux loties que la FPH. Aujourd’hui en libéral, il y a de plus en plus de contrôles àlakon de la CPAM qui tombent, qui relèvent des “indus”, parfois parce que l’ordonnance n’est pas libellée correctement. Mais c’est pas le médecin qu’on pointe parce qu’il n’a toujours pas appris à faire une ordo d’orthophonie (pourtant y’a pas plus con, ça tient en une ligne et 6 mots “bilan orthophonique + rééducation si nécessaire”, c’est pas la mer à boire). Non, c’est à l’orthophoniste qu’on demande de justifier qu’il n’a pas fraudé en exerçant son art indûment parce que l’ordo est illisible, raturée, mal libellée. Parfois parce qu’ils ont perdu la DAP, parfois parce qu’ils ont remboursé 2 fois alors que t’avais tout bien fait, mais c’est jamais leur faute à eux, “non non non”. T’envoies la preuve. “Ah euh si ok, c’est bon, vous pouvez disposer, mais faisez gaffe comme même !”.
Aujourd’hui, avec la télétransmission, on disait que ça simplifierait la vie. Mais non. Pour chaque télétransmission de DAP via SCOR, des CPAM réclament les bordereaux justificatifs par courrier. Alors que la télétrans permettait à la base d’éviter ça. Normalement. Parce qu’ils sont teubés, chépô. Et je parle même plus de leur connerie de Tiers-payant généralisé et du bordayl monstre que va générer le conventionnement avec les mutuelles… et les impayés, et les erreurs, et les … Nan. Si j’étais encore en libéral, c’est là que je mettrais : “/va se rouler en boule dans un coin en se balançant d’avant en arrière”. Ouf.

Aujourd’hui, je vois tous les jours des messages, articles, témoignages de collègues ortho, mais aussi soignants de tous poils, médecins, infs, kinés etc, se retrouver dans des situations désastreuses, parce que l’accident de la vie, en libéral, t’as pas le droit. T’as pas le droit de divorcer en ayant des enfants à charge, d’avoir une grossesse patho, un conjoint qui perd son emploi, ou qui tombe malade. Et tomber malade toi-même ? N’en parlons pas. La protection sociale du praticien libéral est une injustice criante. Mais lol, ces nantis, qu’est-ce qu’ils se plaignent, s’ils sont en libéral, ils sont forcément riches.
Le nombre de burn-out de collègues soignants plus ou moins proches, de notre profession ou non, fait halluciner. Mais laisse limite sceptique… Sauf que c’est la réalité. Et la réalité, c’est que parfois, ça se termine mal. Aujourd’hui, ça fait 2 ans et 3 mois que j’ai fermé mon cabinet et plaqué le libéral, sans AUCUN regret. Et depuis 2 ans, je vois nombre de collègues faire pareil.
Il y a près de 25 000 orthophonistes en France à l’heure actuelle, s’occupant des pathos de la communication au sens large, du bébé prématuré à la personne âgée.
Et c’est déjà la dèche pour les patients de trouver un praticien près de chez eux sans se taper 1h de route pour 30 min de séance. Et on voudrait bien faire 1h de séance, ça serait tellement mieux et efficace. Mais 1h de séance, en terme de tarif = 30 min. Donc pas de rémunération supplémentaire, taux horaire en chute libre, et moins de patient pris en charge, donc listes d’attente qui ne désemplissent pas. Devoir faire le choix entre la qualité du soin, le mieux pour les patients, et la dure réalité pragmatico-financière des cotisations et charges.
Il faut bien payer les charges, et le loyer, et si nos honoraires n’augmentent pas, les charges, elles, elles se gênent pas. Donc à défaut d’avoir un chiffre d’affaire qui suit l’inflation, le nombre de patient lui, s’envole vers les sommets pour beaucoup, histoire de maintenir un CA régulier. Sauf qu’il n’y a que 24h dans la journée. Et des injonctions aussi paradoxales que “vous devez assister aux réunions scolaires PIA, PAI, ESS etc. Mais vous n’avez pas le droit de vous faire payer pour.” Oui. On est censées faire du bénévolat, parce qu’on est gentils, alors l’état il nous prend pour des cruchots.
Et les collègues de bonne volonté mais pas trop serpillière dans l’âme, qui annulent donc des patients pour rallier ces réunions, mais facturent l’équivalent d’une séance de rééducation pour se dédommager 1) du déplacement 2) du temps passé 3) des patients annulés, et bien si ils se font contrôler, ce sont des fraudeurs, ils sont sommés de rembourser, et raquent une amende en plus. Du coup, ces réunions, souvent utiles et nécessaires pour la communication des équipes autour des patients, on n’y va plus. Parce qu’il faut pas pousser le bouchon de mémé trop loin dans les orties de Maurice, m’voyez. Aujourd’hui, je constate de plus en plus de collègues qui quittent le libéral, ferment leur cab.
Et aujourd’hui, on est déjà près de 1500 orthophonistes en 3 mois à avoir énoncé clairement et explicitement une envie ou une volonté de reconversion professionnelle, malgré tout l’amour qu’on a pour notre métier.
De nombreux ont déjà définitivement claqué la porte, et d’autres ont activement entamé la transition avec de nouvelles formations. Tous ne sont pas désillusionnés. Ne généralisons pas.
Mais aujourd’hui, je ressens grandir chez nombre d’entre nous un mal-être qui détruit administrativement le cœur de ce qui nous a fait choisir cette carrière à la base. Et le salariat est touché aussi, en plein cœur.
Aujourd’hui, quand je vois l’évolution du libéral, l’évolution de l’hôpital, l’évolution du secteur médico-social,
j’ai mal à mon soin, j’ai mal à mon orthophonie, j’ai mal pour mes patients qu’on laisse des mois, des années sans soins, faute de moyens, faute de réelle logique étatique pour prendre en charge ceux qui en ont besoin, faute d’une vraie gestion de ces questions de santé, des questions de la reconnaissance et de la juste rémunération des praticiens. On nous impose des lois “zéro sans solution”, mais on n’augmente pas les crédits pour embaucher des soignants en institutions, et on interdit les doubles prises en charge entre institutions et libéral alors que ça compenserait ce défaut de soin. Personnellement, je suis à plein temps sur 3 services.
-Un SESSAD Autisme de 13 jeunes, à 1/4 temps. Je ne peux en prendre que 9, une fois par semaine. Les autres, tant pis pour eux. Et les prises en charge intensives dont ils auraient besoin ? LOL. NB : il y a 140 jeunes diagnostiqués TSA dans le département de la Haute-Savoie qui n’ont AUCUNE solution de suivi.
-Un IMPro de 95 jeunes de 14 à 20 ans. Dont plus de 40 identifiés comme en grand besoin d’orthophonie. Je n’y suis qu’à mi-temps. Y’a pas plus de crédit orthophonie. Je peux en prendre… 18. En serrant au max. Une fois par semaine. en rognant 5 min par-ci, 10 min par-là, histoire qu’ils aient tous au moins 30 min. Sinon, ça ne serait que 15. Et les autres ? Ils n’ont pas le droit d’aller en libéral. Donc… Tant pis pour eux.
-Et un IMP, de 38 jeunes, de 6 à 14 ans… Quart-temps aussi… J’en prends 10 sur cette journée, en ne faisant que ça. Pas de réunion, pas d’échange avec les collègues, pas de pause autre que 30 min pour manger. Parce que si je voulais faire tout ça, ça ferait 1, voire 2 jeunes de moins. Et qu’est-ce qu’ils feraient ? Rien. Juste rien. Parce qu’ils n’ont pas le droit d’être suivis ailleurs, faute de moyens ici, vu qu’ils sont déjà quand même ici.
Mais c’est pas le problème des instances dirigeantes, de savoir ça. Y’a 95 jeunes déficients et autistes ? LOL, mettez-leur un 0.50 ETP d’ortho, ça suffira bien. Après tout, ils savent pas parler et ils comprennent rien, ils en ont pas bien besoin. Mais “zéro sans solution” => Démerdez-vous. Ah et pi on veut que le taff soit bien fait hein, on instaure des contrôles. Injonction paradoxale quand tu nous tiens.

Conclusion ? Après la description du Mordor fumant et souffreteux qu’est l’état des lieux de la santé et plus précisément de l’orthophonie dans notre beau pays ? Demain, au train où vont les choses, ne vous étonnez pas de ne pas trouver d’orthophoniste pouvant vous accueillir avant des années, ou pas du tout, ou alors à trente-douze kilomètres de chez vous. Ne vous étonnez pas qu’ils soient sensiblement moins accommodants. Qu’ils ne tolèrent plus 5 min de retard, ou soient un peu susceptibles sur les questions de forme. Ne vous étonnez pas s’il n’y a plus d’orthophonistes en néonatalité pour aider votre nourrisson préma à se nourrir seul au plus vite, s’il n’y a plus d’ortho pour aider votre enfant déficient auditif, porteur d’autisme, ou atteint d’une maladie génétique/neurologique à entrer au mieux dans la communication et/ou les apprentissages, s’il n’y a plus d’ortho pour aider votre enfant dys, s’il n’y a plus d’ortho dans les IME, SESSAD et autres instituts pour vos enfants porteurs de handicaps, s’il n’y a plus d’ortho dans les blocs opératoires pour aider votre chir à conserver vos aires du langage fonctionnelles pendant qu’on vous retire votre tumeur cérébrale, ou pour vous rééduquer après, ou après votre AVC, trauma crânien ou autre. Ou pour vous réapprendre à parler après un cancer ORL, ou même pour accompagner et maintenir les fonctions de communications et d’alimentation chez vos grands parents atteints de pathologies neuro-dégénératives. Quand il n’y en aura plus assez, et que vous vous retrouverez seul avec le fardeau de la rupture de communication, ce sera trop tard pour pleurer et s’indigner, et les mots manqueront pour apaiser les maux.
Parce que non, on n’est pas là pour apprendre à lire pasque la maîtresse elle a dit que, ou juste quand un enfant y parle mal, ou l’a un seveu sur la langue, ou c’est quand t’entend pas bien, ou même “c’est pour les pieds ?”.
Le truc, c’est qu’en général, quand on s’en rend compte, c’est trop tard. “Indignez-vous”, pourrait-on vous dire, pour paraphraser un grand Monsieur. A vous de voir. Personnellement, j’ai envie de passer mon tour. A force qu’on me dise que je râle trop à ce sujet… ça ferait des heureux. En attendant, tout ça, ce soir, ça me donne juste envie de baisser les bras moi aussi. Il aura fallu 7 ans. Tout juste 7 ans. Pour me faire dire qu’à quoi bon. Y’a bien que Don Quichotte qui ait persévéré dans son intérêt restreint, à s’agiter face à des moulins à vent…

Marion et moi et plein d’autres soignants, on n’a pas d’autre choix que de laisser tomber ou de résister comme des Don Quichotte, mais ce n’est pas pour préserver nos intérêts restreints. Tout le monde est concerné par cette situation. Le désert, ça te tente?

Winter is coming, les zamis! Mais non, c’est pas ça qu’il faut dire! Je me trompe tout le temps! Non, tu verras! Le désert médical, ce sera pas grave! A la place des soignants, y’aura plein de fleuristes!

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Catherine Leduc
Lézamimo

Passionnée idéaliste en quête de sens et d’énergies. J’aime les renards et les petits princes #utopieréaliste (et j’adore mon métier d’orthophoniste!)