Animal pensant… S’il le pouvait, je me demande ce qu’il pourrait écrire…

Ma famille, Fière et Humble

Grâce à elle, je suis un animal qui pense et qui écrit.

Jeanne Baran
Lézamimo
Published in
7 min readSep 28, 2017

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L’autre soir, j’ai reçu un mail de ma belle-sœur. Événement mineur? Non, pas du tout. Son mail n’était pas très long, juste une petite phrase adressée à ses proches et un petit lien.

Une minute pour partager la cause que je défends au quotidien… Bizzzzz

J’ai fondu en larmes d’une émotion inédite.

Sa cause, celle qu’elle défend au quotidien, c’est la lutte contre l’illettrisme. Ma belle-sœur devenait subitement une personne extraordinaire, elle passait à la télé. Sauf qu’elle ne nous demandait qu’une seule petite minute, un petit coup d’œil en passant, elle ne faisait que passer à la télé. La petite boîte où les images défilent qui a déserté son salon bien avant le mien a eu ce soir-là un drôle de pouvoir sur mes émotions.

D’un seul coup, le voile de l’habitude se levait sur tous ceux que je côtoie comme un ordinaire sans me rendre compte de ce qu’ils font vraiment. A cause de cette petite phrase. A cause de son humilité. Comme un refus de l’indécence des fanfaronnades. Il y avait pourtant de quoi être fier. Il fallait pourtant qu’une caméra se plante au milieu de son décor, enregistre ce qui s’y passe et témoigne de ce qu’elle fait. Il fallait qu’une fenêtre s’ouvre pour reconnaître l’important.

J’ai pensé à toutes les personnes qui m’entourent, parfois de près, parfois de trop loin à mon goût, et j’ai réalisé à quel point leur humilité peut me rendre aveugle. Tout ce qu’ils ne disent pas fièrement me rend aveugle à ce qu’ils font. Mais ils le font. Malgré mon aveuglement, malgré mon absence, malgré mon ignorance de ce qui les anime au fond.

Alors, je suis fière et je suis humble.

Je suis fière d’eux, de leurs engagements, de leurs choix, de les connaître, et humble à la fois. Moi aussi parfois, je suis fière de moi et de mes choix, mais je me sens souvent impuissante, en recherche, et confuse. Souvent, je ne vois que mes problèmes, je ne vois que mes dilemmes et j’oublie qu’ils ont des dilemmes à résoudre eux-aussi. Mais eux n’en parlent pas ou si peu, ils font.

La lutte contre l’illettrisme, la santé, l’écologie, l’éducation, l’accès à l’expression artistique, la solidarité envers les migrants, autant de causes à défendre dont il est facile de parler. Tout le monde en parle d’ailleurs. Pour s’en féliciter et donner des leçons. Ou pour s’en moquer et les reléguer à des utopies irréalistes. Mais eux n’en parlent pas, ils font.

Souvent, ils disent avec un petit sourire qu’ils ne pourraient pas faire autrement, c’est ainsi. C’est juste leur boulot. Puis ils se mettent à regarder le ciel ou leurs chaussures ou le fond de leur tasse de café, l’air de ne pas y accorder une trop grande importance. En réalité, ils savent qu’ils sont attachés à une cause, ils la défendent avec la plus grande énergie possible. Ils se battent pour quelque chose qui a de l’importance.

L’autre soir, j’ai réalisé ma chance. Cette chance incroyable d’être entourée de personnes animées par des utopies. Ils sont ma famille, ils sont mes proches, ils sont à côté de moi. Ils ne fanfaronnent pas, ils font. Ils font leur boulot. Certains jours en traînant les pieds de découragement, d’autres jours avec du baume au cœur, souvent sans y réfléchir plus que ça. Ils sont comme tout le monde mais ils ne font pas comme tout le monde.

Après leur journée, ils rentrent chez eux sans se sentir des héros, ils n’ont surtout pas envie d’en être un. Ils s’assoient juste à leur table fatigués. Ils ont fait des choix, ils essaient de s’y tenir. Ils savent qu’il faut tenir sur la distance. C’est ça l’utopie.

Quand Franck Ravier sait enfin lire une page, quand Blandine Fourchet peut enfin vivre de son atelier de couture, quand le chantier nature dans le collège Lavoisier mobilise, quand le cours d’éveil corporel ou l’atelier pédagogique se remplissent de sourires, quand le cancer du sein de Sarah ne l’empêche plus de faire des projets, quand Alsény obtient enfin le statut de réfugié politique après des mois de galères, ils ne crient pas victoire. Non, ils rient.

Ils rient de joie. Ils sont contents de ce qui arrive. Simplement. Humblement, ils reçoivent les merci, ils rougissent un peu parce qu’ils sont touchés, mais ils savent qu’il faudra tenir sur la distance. Inutile de fanfaronner, le travail n’est pas fini. Demain, d’autres pourront compter sur eux.

A part dire « bravo, continuez ! », que puis-je leur dire? Bravo oui, continuez! Bravo pour votre énergie ! Je suis émue par votre détermination. Elle fait écho à la mienne parfois si vacillante.

Mais je connais Carine, Manu, Céline, Guillaume, et l’autre Manu, et Antoine, et Clémentine, ils n’attendent pas grand chose des bravos. Ce n’est pas qu’ils rechignent aux applaudissements, non. Je crois qu’ils aimeraient bien ça.

Depuis l’autre soir, je les regarde comme des piliers de la maison qui me fait rêver. Celle où l’on peut s’abriter quand on se sent affaibli, celle où l’on peut devenir un pilier à son tour. L’idée de solidarité est difficile à bâtir, même au sein d’une famille. Mais ça commence là. Moi, j’apprends la solidarité dans ma drôle de famille pas comme les autres. Celle où les choix de chacun comptent, l’air de rien. Sans en avoir l’air, leurs choix, leurs causes, leurs combats construisent la maison dans laquelle j’ai envie de vivre. Sans en avoir l’air, j’ai besoin d’eux.

Ma détermination vacille parfois, alors j’écris pour me rassurer, pour comprendre à quoi je veux résister. Je suis seule derrière mon écran en train de faire claquer les touches de mon clavier, mais je ne me sens pas seule. Je ne me sens plus seule. L’autre soir j’ai fondu en larmes, ensuite j’ai ri. J’ai ri comme une baleine, heureuse de saisir enfin de quoi je suis le plus fière.

Ce n’est ni d’eux ni de moi. Ni de ce qu’ils font ni de ce que je fais. Inutile de fanfaronner. Si je suis fière, c’est de les connaître et de partager leur besoin de résister. Parce qu’il nous faut toujours résister à l’envie de nous désolidariser. Parce qu’il nous sera toujours plus facile de nous mettre au-dessus de la mêlée et de ne penser qu’à nos problèmes et nos dilemmes, toujours plus facile de nous cantonner à notre petite solitude.

Je ne suis fière de rien du tout mais je goûte ma chance. Je ne sais pas grand chose des causes qui m’animent au fond, je me suis juste dis un matin qu’il fallait que Jeanne Baran existe. Il fallait que j’écrive.

Voir ma belle-sœur à la télé aurait pu me gonfler d’une fierté narcissique mais ce n’est pas arrivé. A cause de sa petite phrase. Au contraire, le goitre s’est dégonflé. Mon impudence à vouloir écrire des histoires a pris une autre tournure. A cause de son combat au quotidien, la lutte contre l’illettrisme. Il n’y avait plus de sentiment d’imposture ni de mégalomanie, il n’y avait que mon utopie.

Elle a toute sa place dans cette famille-là, celle que j’ai choisie sans en avoir l’air. Je pensais tâtonner à l’aveuglette dans un environnement inconnu quand des navires étaient déjà là pour creuser la même route. Je les reconnais bien maintenant, fiers et humbles comme des trois-mâts essuyant les bourrasques. Chacun à leur manière, ils agissent pour que d’autres puissent s’exprimer et agir à leur tour. Ils m’apprennent leur résistance, je sais qu’ils ont besoin de moi comme j’ai besoin d’eux. Ils m’apprennent à dompter mes peurs parce qu’ils apprennent à dompter les leurs. Et ils font. Sans fanfaronner.

J’ai tellement envie de leur dire bravo mais je me retiens. C’est comme si nous étions tous en résistance dans cette drôle de famille. Une résistance aux liens prémâchés par la consanguinité ou par l’habitude. Une résistance à la désolation et la désaffection. C’est dur, c’est difficile. Choisir sa famille ne s’improvise pas. Il faut trouver les mots, s’en abstenir parfois, chercher à être juste. Chacun a besoin de mots. Chacun.

Eux défendent des causes sans en parler vraiment comme si la solidarité n’avait pas d’endroit pour rencontrer les mots justes, moi j’aimerais résister à l’absence des mots. Je voudrais chercher à les retrouver pour les oublier dans un coin et savoir y revenir. C’est ça mon utopie.

Ils font, moi j’écris. Si les choses étaient aussi simples…

Savoir dire n’est pas inné. Savoir dire s’apprend. Je ne crois pas avoir appris à dire même si j’ai appris à parler. Dire est une chose compliquée je trouve, souvent je reste muette. Il me faudrait la page blanche pour essayer d’exprimer tout ce qui me traverse au moment où je les regarde faire et raconter. Alors je me mets à regarder le ciel ou mes chaussures ou le fond de ma tasse de café, comme si je n’avais rien à dire. Ils ne peuvent pas savoir comme ils me sont importants. Mais ils le sont. Ce qu’ils font me parle et me nourrit. Ils me donnent à penser. Je ne sais pas leur dire alors je voudrais l’écrire.

Je ne sais pas encore qui est vraiment Jeanne Baran. A force d’écrire, je le saurais peut-être. L’autre soir, un voile s’est levé sur ce que je suis et j’ai fondu en larmes d’une émotion inédite. J’ai reconnu la fierté d’être un membre de cette famille. D’être là à côté d’eux, même quand je me terre dans mon trou, même quand je ne sais pas faire avec eux. Ils font, et moi aussi. Moi je veux écrire pour ouvrir des fenêtres.

J’espère que vous avez aimé cette lecture. Si c’est le cas, appuyez sur le bouton 👏 autant de fois que vous voulez et partagez ce texte autour de vous. Vous me donnerez beaucoup d’énergie pour continuer à écrire. Merci!

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