Actualité des Professions Médicales: la noyade, un timide flambeau à la main…

Profession libérale, un statut d’avenir ou la peste à éradiquer?

Que veux-tu vraiment pour ta santé?

Lézamimo
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11 min readMar 23, 2018

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Je suis orthophoniste depuis neuf ans, je n’ai pas envie que ça s’arrête, mais …

Profession libérale, c’est mon statut. Pas de patron, liberté dans mes choix. Je perçois des honoraires et je paye des charges. Si je ne travaille pas, rien ne tombe dans mon escarcelle. Par contre, les charges sont là. Concernant les professions de santé, la liberté est tout de même fort encadrée par les fameuses conventions avec la sécu. Ça n’était pas un problème en soi au début, aujourd’hui ça le devient.

Je suis une professionnelle de santé. Un peu spéciale, certes, puisque tu ne vas pas mourir si ma profession disparaît. Pourtant, tu es content de me trouver dans ton quartier quand ton gamin a des problèmes pour parler, quand ta mère vient de faire un AVC ou quand ton grand-père perd un peu la boule. Et encore, tu ne sais pas tout ce que je sais faire. Mais tu sais très bien pourquoi tu as besoin de l’infirmière, du kiné et du docteur à côté de chez toi. Ce sont tous des professions libérales.

Il paraît que la France souffre de déserts médicaux. Il paraît que le statut des professions libérales n’attire plus…

Il paraît aussi qu’on est forcément mieux soigné à l’hôpital, pôle d’excellence et de haute technicité. En même temps, il paraît qu’il y a des problèmes aussi à l’hôpital. Les métiers n’y seraient pas plus attractifs. Bon…

Depuis le temps qu’on nous dit que le système de santé va mal, on en a pris l’habitude. Tant qu’on reste bien soigné malgré tout, c’est qu’il ne va pas si mal hein? Et on continue à faire confiance à son médecin de quartier, à son député et à son ministre de la santé…

Oui, mais en fait non. Le système de santé français ne se porte pas bien, et ce n’est pas qu’une question de trou dans les caisses. D’où la question qui suit:

Qu’est-ce que veut dire le mot “attractivité”?

En gros, est-ce juste le problème d’être bien ou mal payé?

Tout est relatif, ma bonne dame, faut comparer ce qui est comparable. Quand je compare avec les autres jobs que j’ai exercés, je gagne plutôt moins bien ma vie. Malgré tout, je fais partie des gens les plus chanceux sur la planète. Je ne me demande pas comment je vais me nourrir, me loger et élever ma progéniture. J’ai fait des études, celles que j’ai décidées et qui m’assurent un métier et du travail. Tant que je suis en bonne santé, j’aurais toujours assez pour vivre et même bien vivre.

Je te dis juste en passant que je ne rêve pas de m’acheter une lamborghini, je veux juste pouvoir emmener ma petite famille en vacances. Et puis, je te le dis aussi pour que tu réalises, je suis obligée de donner pas mal d’argent à des assureurs privés si je veux me prémunir des risques de cessation d’activité pour raison de santé, invalidité etc… parce que la solidarité nationale ne prévoit pas grand chose pour moi malgré les cotisations sociales obligatoires (salées). (Ex: 90 jours de carence en cas de maladie, ça te parle?)

Grosso modo, toutes les personnes qui exercent une profession de santé peuvent se dire la même chose. On n’est pas dans la misère, on n’est pas riche comme crésus non plus. Tu sais pourquoi? Parce qu’on travaille. 40h, 50h, 80h par semaine, voire plus. Parce que le travail n’a jamais rendu riche, sinon ça se saurait. Par contre, tout travail mérite une juste rémunération. Jusqu’ici, j’enfonce des portes ouvertes, non?

Les charges et impôts augmentent pour moi aussi mais, étant conventionnée, je ne peux pas décider seule d’augmenter mes tarifs. Or, les gouvernements successifs n’ont pas voulu réévaluer mes honoraires depuis 2012. Soit je travaille plus, et je prends le risque de m’épuiser, d’être moins disponible pour chaque patient, en plus je fais mathématiquement augmenter mon volume de charges sociales (calculées sur mon Chiffre d’Affaires), soit mon revenu baisse. Y’a comme un malaise…

Les professions libérales ne sont pas des grands patrons d’entreprises, ni des petits patrons de petites entreprises. Elles font un travail de service public. Si elles le font mal, la sanction tombe assez vite: leurs clients vont voir ailleurs. C’est l’idée de base. De ce fait, elles entendent faire leur travail en gardant une liberté de pratique. Elles ne déposent ni brevet ni marque, mais développent une clientèle de part leur pratique spécifique et leur relation aux patients. Et il en faut pour tous les goûts, tu n’imagines pas à quel point.

Les professions libérales reçoivent une formation souvent longue et poussée dans un domaine spécialisé et entendent appliquer au cas par cas leurs connaissances et leur technicité. Tout cela n’est pas très compatible avec une standardisation des pratiques.

Attention! Je vais dire un gros mot.

Les professions libérales tiennent particulièrement à leur indépendance.

Oups! Indépendance. Tu vois, c’est ça qui coince.

On veut te faire croire que les professions de santé libérales sont tous des neuneus soudoyés par les labo qui ne pensent qu’à gagner plus d’argent (Ouais, il y en a des comme ça… Chez les politiciens aussi, note bien). Et qu’on est obligé de les attirer par des primes de ceci ou de cela:

  • des bonus pour installation dans des zones sous-dotées (critères obscurs),
  • des primes pour remplir des formulaires montrant qu’on a bien rempli les objectifs de santé publique (ROSP) (critères décidés par l’administration),
  • des magnifiques maisons médicales “sous contrat” avec l’ARS (agence régionale de santé) et qui t’offrent des réductions de charges les premières années
  • etc…

Sauf qu’en fait, les déserts médicaux ne se repeuplent pas. C’est étrange, tu ne trouves pas?

Toi qui n’est pas orthophoniste, pas kiné, pas infirmière, pas sage-femme, pas docteur, c’est-à-dire pas tous ceux qui te font dépenser de l’argent pour ta santé. Oui, toi qui est un usager, un client, un consommateur, c’est-à-dire du côté de celui qui dépense, sais-tu pourquoi tu ferais bien de t’intéresser de plus près à ma question?

Sais-tu pourquoi mon problème te concerne?

Il s’agit de santé. De ta santé, de ma santé, du système de santé dans lequel je vis et auquel je participe en tant que professionnelle.

Il s’agit d’économie. De ton système économique familial, de l’économie de la santé en France, du système de gestion comptable des dépenses de santé qu’on ne nous demande pas d’approuver en tant que citoyens, et qu’on veut m’imposer en tant que professionnelle.

Figure-toi qu’aucun gouvernement n’a voulu faire confiance aux professions libérales. Leur indépendance est forcément suspecte. On les accuse très facilement de tous les maux, mais elles ont du mal à se défendre collectivement car leur culture est précisément l’indépendance. Facile alors de justifier qu’on les contrôle plus, qu’on les encadre plus et même qu’on leur dise comment faire leur travail.

Tant qu’on s’en tenait à des critères humains et scientifiques, il y avait adhésion aux cadres donnés. Le seul vrai critère retenu aujourd’hui est le coût qu’ils génèrent et l’imagination est mesquine quand il s’agit de réduire ce coût.

Les professionnels de santé ne sont pas des débiles, en général. Ils peuvent accepter le principe économique. Par contre, ils ne peuvent pas accepter que ce principe les empêche de bien faire leur travail. Et bien aujourd’hui, on en est là. En ville comme à l’hôpital, il est devenu extrêmement difficile de bien faire notre travail. Pourtant, tu continues grosso modo à être bien soigné. Tu vois où est le problème? Non? Pas encore? C’est normal, personne ne t’explique clairement ce qui se passe.

Tout le système de santé a été repensé depuis une bonne dizaine d’années en fonction de la gestion des coûts, du contrôle des coûts, de la rationalisation des coûts. Sans jamais qu’on nous le dise franchement, notre degré de liberté s’est amenuisé. Toi, tu as moins de choix parmi le corps médical et para-médical. Moi, j’ai moins de choix dans ma pratique et je suis submergée par l’administratif. La justification donnée par les ministres successifs est assez ironique: on n’a pas le choix, c’est à cause du “trou de la sécu”.

Maintenant, les choses sont plus graves encore. On jette le discrédit sur les professionnels, et on promet de leur taper sur les doigts s’ils ne font pas “tout bien comme il faut”. On appelle cela “politique d’amélioration de la qualité des soins”. En réalité, c’est une pression vers la standardisation des soins. Sauf que les professionnels de santé n’ont jamais affaire au patient standard, absolument jamais. Je vais même te dire un truc incroyable, le patient standard n’existe pas. Les professions de santé s’intéressent aux êtres humains. Si si, je t’assure! Et je te prie de croire qu’ils sont tous très différents.

On veut nous faire passer la pilule à coup de lots de consolation, de réévaluations microscopiques des honoraires et de primes aux bonnes actions, mais au final le compte n’y est pas du tout. Beaucoup jettent l’éponge. Beaucoup sont totalement désabusés. Beaucoup sont épuisés.

Personnellement, je déteste m’entendre dire qu’on n’a pas le choix. Je pense qu’en fait on a toujours le choix.

Exemple concret: on pointe du doigt les vilains médecins qui refusent les patients CMU. Bizarrement, on n’explique jamais pourquoi certains finissent par prendre ce genre de mesure injuste. As-tu déjà fait le nécessaire pour avoir une nouvelle carte vitale? Tu attendras deux semaines au maximum. Par contre, tous ceux qui ont une situation sociale difficile peinent pendant des semaines et des mois à l’obtenir. Pendant ce temps-là, soit ils ne se soignent pas, soit le praticien fait des feuilles de soins papier. Or, la sécu a décidé que le papier c’est pas bien, alors elle ne paye pas ou aux calendes grecques. C’est comme ça que des dentistes par exemple se retrouvent avec des arriérés monstrueux. En attendant, les soins sont faits et la sécu ne sort pas un sou. Astucieux, non?

Je ne te parle même pas des complémentaires santé avec qui nous sommes vivement invités à contractualiser pour la mise en place du Tiers-payant généralisé. Elles n’hésitent pas, en cas d’impayés, à renvoyer leurs adhérents vers les praticiens parce que c’est pas de leur faute, “i peuvent rien faire”. A moi de faire le nécessaire pour être payée par la plateforme “bidule” (qui par ailleurs ne répond jamais avant une bonne heure d’attente tarifée 35 cents la minute). Euh… c’est-à-dire que… il faut que je paye pour être payée?

Stop. Faut remettre les pendules à l’heure. Mon métier, c’est de soigner les gens, pas de régler les problèmes de sous. Je ne veux pas être sous-fonctionnaire, ni sous-salarié ni sous-vacataire de l’assurance “machin”. Je vends un service et je perçois des honoraires, le “consommateur” de soins est responsable devant moi comme je suis responsable devant lui.

Stop à l’infantilisation des personnes!

Le choix qui continue de guider l’action politique est de saborder la philosophie de départ de la Sécurité Sociale. La solidarité, l’accès aux soins pour tous, tout ça a été mis aux oubliettes depuis bien longtemps. Mais le politique continue à employer ces mêmes mots avec aujourd’hui une hypocrisie qui ne manque pas d’aplomb. Le tiers-payant généralisé est le coup de grâce que le politique veut porter à ce modèle français.

Au final, on a accepté que des intérêts privés, les assureurs — évitons de dire mutuelles — deviennent gestionnaires et grands organisateurs de la santé. On accepte maintenant d’ubériser la médecine à coup de réseaux de soins labellisés, à coup de plateformes de télémédecine pas cher et de recommandations déguisées.

Tu t’étonnes que le bled au fin fond de la Marne ne trouve pas de médecin? Quel intérêt trouverais-tu à prendre tous les inconvénients du libéral (charges, temps de travail, paperasserie, réunions sans rémunération…) et tous les inconvénients du salariat (fait-comme-on-te-dit-un-point-c’est-tout, paperasserie, réunionnite…) sans même avoir une compensation correcte? Pas très attractif. Non, pas très. Si en plus, y’a pas d’école pour tes gamins, pas de crèche, pas de boulot pour ton conjoint, pas de ciné, pas de train, pas de réseau, pas de resto, pas de… Note bien que pas de MacDo, ça passe sans problème.

Alors, quand Madame La Ministre s’exclame:

On a franchement envie de s’étrangler… mais pas de rire.

Le politique va user et abuser de son pouvoir médiatique pour décrédibiliser les professions libérales. Il a déjà commencé, cela va s’amplifier. Pourquoi?

1/Pour que tu acceptes de les payer le moins possible

2/ Pour que tu acceptes que la Sécurité Sociale se désengage

Mais il ne faut pas s’y tromper, l’argent circule. Il sort déjà de ta poche avec toutes les augmentations des primes d’assurance que tu as sans doute remarquées. Pour toi, non? Dans ce cas, je te conseille de bien vérifier les petites lignes du nouveau contrat que ton entreprise a été obligée de souscrire pour toi et demande-toi sur quoi on a rogné?

Oh! Mais enfin! Que suis-je en train d’imaginer! On fait des contrats à la carte maintenant! T’inquiète pas, ton patron saura être clairvoyant sur tes besoins en matière de santé. Mais non, tu n’auras pas besoin d’un nouveau dentier d’ici 2 ans, ni de nouvelles lunettes, ni d’un fauteuil roulant d’ailleurs car il n’y a aucune chance que tu te fasses renverser par un automobiliste en excès de vitesse…

Par contre, on veut bien te payer tes granules d’homéopathie et 3–4 séances de sophrologie. Allez, on va même être sympa. Moyennant petite rallonge, on t’offre un coaching personnalisé de tes constantes sanguines.

Glycémie et cholestérolémie sont dans un bateau. Si tu ne veux pas tomber à l’eau, va voir la diététicienne. Elle te dira: mange cinq fruits et légumes par jour. 60 euros. Et fait du sport aussi. 150 euros. Avant de rentrer à la maison, n’oublie pas de faire la queue au drive-in pour ramener les bons hamburgers maison du clown américain, ça fait tellement plaisir aux enfants. 50 euros. Manque de bol, l’AVC se pointe quand même. 5 000 euros. Ben, c’est de ta faute, t’avais qu’à faire comme on t’a dit. Débrouille-toi, maintenant. 30 000 Euros.

Regarde bien, fait le compte. Crois-tu vraiment que, de cette manière, tu seras mieux soigné demain?

J’ai choisi le statut de profession libérale parce que dans “profession” il y a responsabilité et dans “libérale” il y a liberté. Dans le contexte actuel où les libertés individuelles sont grignotées, où la démocratie recule, je trouve qu’il faut défendre ce statut. Désolée, je ne veux pas être un auto-entrepreneur. Soigner les gens, ce n’est pas une activité commerciale.

Si les gens ont des questions, c’est à moi qu’ils les posent. Au final, c’est sur moi que les responsabilités reposent. Désormais, voilà ce que je dis à chacun de mes patients:

Je préfère m’arranger avec vous plutôt qu’avec votre mutuelle. Et pour votre santé, c’est vous qui décidez.

Si je suis responsable, je dois être libre et correctement payée. C’est le contrat que les professions libérales ont passé avec la société. Mais que veut la société aujourd’hui? Combien d’argent est-elle prête à consacrer à la solidarité? Il est grand temps de se reposer la question. Moi, je préfère vivre dans une démocratie où je suis libre de choisir comment et par qui je vais être soignée plutôt que dans une société ultra-standardisée et ultra-commerciale.

Et toi?

Post Scriptum

Ces derniers temps, chacun y va de son laïus pour opposer les nantis de cheminots, les nantis de libéraux, les nantis de fonctionnaires, les nantis de je ne sais quoi encore. C’est étrange comme personne ne dit comment faire pour que toutes ces pièces du même puzzle “service public” s’emboîtent bien ensemble. C’est à croire qu’on ne veut pas que ça arrive.

C’est à croire que, derrière les belles paroles et les belles dents blanches affichées devant les caméras, le cynisme est à son comble.

Après le bling-bling, après le Flamby, je propose qu’on rebaptise aussi Emmanuel. Uber Macron, le président Ultra-Brite qui ne renonce jamais à renoncer totalement.

L’Etat Providence coûte trop cher? Passons-nous en, pourquoi pas! Mais ne soyons pas naïfs. Que tricote-t-on à la place? Rien. Si. Le retour à la charité.

(La charité: autrefois, hôpital pour nécessiteux, financé par de bonnes âmes patronnesses, où il ne fallait pas espérer bénéficier du miracle de la science. Trop cher.)

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Lézamimo

Passionnée idéaliste en quête de sens et d’énergies. J’aime les renards et les petits princes #utopieréaliste (et j’adore mon métier d’orthophoniste!)