Le concert dans l’œuf (J.Bosch)

Stratégie Nationale pour l’autisme

Catherine Leduc
Lézamimo

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Lettre Ouverte à M. le Premier Ministre

Monsieur le Premier Ministre,

La journée du 6 avril a été pour vous un grand moment médiatique. Pour moi, cela a été une journée de travail ordinaire dans mon cabinet d’orthophoniste. Mon petit patient autiste de 5 ans me surprend à chaque séance par tout ce qu’il apprend.

J’ai écouté votre présentation avec attention car, comme beaucoup de personnes, je souhaite — le mot est faible — que mon pays sorte enfin de l’aveuglement hypocrite dans lequel il baigne au sujet de l’autisme, des enfants autistes, des adultes autistes.

Je me sens concernée à titre personnel, mais ce n’est pas de cela dont je veux vous parler. Mon frère, mon fils, mon neveu et moi-même n’attendons pas qu’un quelconque gouvernement prenne en compte notre manière d’exister dans la société française. Nous nous débrouillons. Ce n’est malheureusement pas possible pour nombre de familles.

Je me sens concernée à titre professionnel, et c’est bien de cela dont il faut vous parler. A la douzième minute de votre intervention, mon oreille s’est tendue un peu plus car vous avez prononcé les trois mots qui me définissent, au moins partiellement. Professionnel de la rééducation de l’enfant.

Vous avez poursuivi par une question intéressante, je cite. “Ces professionnels, comment les trouver quand vous êtes parents et que personne ne vous oriente? Comment savoir à quelle porte frapper?”

Vous avez enchaîné avec les mots neuropsychologues, psychomotriciens, psychologues, ergothérapeutes. Je m’attendais à ce que, logiquement, vous en veniez à moi, orthophoniste. Ce ne fut pas le cas, et pour cause, vous ne vouliez parler que des professionnels “non remboursés”.

J’ai continué à vous écouter, Monsieur le Premier Ministre, mais d’orthophonistes, vous n’avez pas su ou pas voulu parler. Quand vous remerciez les acteurs qui avancent des solutions au plus près des situations, quand vous dites vouloir ancrer votre stratégie sur des connaissances scientifiques solides, dois-je me contenter de me sentir concernée?

Des orthophonistes et des moyens à leur donner, il ne sera pas question dans votre stratégie. Pourquoi?

Est-ce à dire que vous ignorez ma profession comme votre collègue Madame Buzyn? Est-ce à dire qu’il faut vous harceler pour qu’enfin nos représentants soient reçus? Est-ce à dire que vous ignorez toujours ce qu’est réellement l’autisme?

Monsieur le Premier Ministre, je suis désolée de constater que vos conseillers vous conseillent aussi mal. Il y a pourtant quelque chose d’extrêmement simple à comprendre.

L’autisme, vous le rappelez au début de votre discours, est un trouble neuro-développemental qui se caractérise par des difficultés de communication et de langage.

Or, il existe en France une profession dont le champ de compétences couvre l’ensemble des troubles de la communication et du langage. Cette profession a un nom, orthophoniste.

Monsieur le Premier Ministre, que dois-je comprendre quand, dans votre discours, les parents, les enseignants, les médecins et les autres professionnels ne trouvent pas une information aussi simple?

Ce métier existe, Monsieur le Premier Ministre, vous n’avez même pas besoin de l’inventer. Il existe avec ses quelques 25.000 orthophonistes en France. Un tissu de professionnels hospitaliers et libéraux tente d’exister malgré la fragilité des ressources qui lui sont allouées.

Nos actes en libéral sont remboursés par la Sécurité Sociale. Cela devrait être une bonne nouvelle pour toutes les familles que vous voulez aider. Pourtant, l’annonce d’une nouvelle “enveloppe budgétaire” pour couvrir tous les autres soins était prioritaire. Je ne doute pas que ces soins soient nécessaires, je me demande tout de même quelle logique conduit vos arbitrages.

Si vous regardiez avec attention notre nomenclature, vous vous rendriez compte que nous ne travaillons pas pour devenir riches (une séance “autisme” AMO 13.8=34,50€). Je ne parle même pas de l’investissement nécessaire et néanmoins bénévole que nombre de mes collègues acceptent (temps de préparation et d’échanges pluri-disciplinaires, coût en formation et en matériel). Je ne parle même pas de la pénurie alarmante d’orthophonistes dans les hôpitaux, SESSAD et autres structures médico-sociales pour cause de salaire indécent. Je ne parle pas non plus des besoins en matière de formation initiale spécifique à l’autisme au sein de nos universités. Je n’en parle pas parce que d’autres le font déjà mieux que moi.

Je parle de professionnels de terrain en prise directe avec la réalité des situations d’exclusion des personnes autistes, et qui ne sont pas écoutés.

Je parle de professionnels dont l’axe de travail est d’améliorer et faciliter la communication, le langage et les apprentissages, c’est-à-dire précisément ce dont les personnes autistes ont besoin pour être inclus dans la société.

Je parle de professionnels en première ligne pour le dépistage et la prise en charge précoce que vous appelez à développer.

Le gouvernement, et vous Monsieur le Premier Ministre, pourriez vous appuyer sur un vivier de personnes-ressources déjà investies et déjà formées aux troubles de la communication et du langage (niveau Bac+5). Vous avez entre vos mains un vivier qui attend un signal fort afin d’apporter à plus grande échelle des solutions efficaces aux familles. Mais, par le plus grand des mystères, vous oubliez de l’inclure dans votre grande stratégie.

Ma colère montre, Monsieur le Premier Ministre, car vous ignorez tout de la situation des orthophonistes. Ce n’est pas faute, pourtant, de chercher à vous alerter.

Vous voulez que votre Stratégie Nationale pour l’Autisme réussisse? Pourquoi ne pas donner les moyens à tous ces professionnels de terrain de déployer leurs compétences?

Je vous écris depuis mon cabinet d’orthophoniste libérale car, aujourd’hui, je m’interroge sur cette cécité. Je me sens concernée par l’autisme, Monsieur le Premier Ministre, beaucoup de collègues mieux formées que moi le sont. Elles n’ont pas attendu que l’autisme soit déclaré grande cause nationale. Pourtant, l’orthophonie reste en dessous de votre radar.

Dans votre discours, vous parlez de pertes de chance inacceptables. Ignorer la situation des orthophonistes, c’est continuer de priver les personnes autistes de soins appropriés. Un peu de bon sens suffit à le relever.

En réalité, Monsieur le Premier Ministre, je n’ai qu’une seule question à vous poser. Avez-vous encore un peu de bon sens?

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Catherine Leduc
Lézamimo

Passionnée idéaliste en quête de sens et d’énergies. J’aime les renards et les petits princes #utopieréaliste (et j’adore mon métier d’orthophoniste!)