Pourquoi le Service Public laisse place à de la désinformation sur son antenne?

Un droit de réponse à Madame Claude Halmos

Catherine Leduc
Lézamimo
Published in
7 min readJul 15, 2018

--

Mesdames, Messieurs, journalistes de France Info,

En tant qu’orthophoniste, je me sens hautement concernée par la manière dont les médias présentent ma profession au grand public. L’émission de Madame Halmos du 7 juillet dernier m’a donc vivement interpellée, deux minutes trente sur les ondes qui n’ont rien d’anodin.

Si votre démarche est d’informer vos auditeurs au sujet du recours à l’orthophonie, donner la parole à un professionnel qui n’est ni orthophoniste ni médecin est d’emblée discutable.

Je rappelle, à toutes fins utiles, que l’orthophoniste est un professionnel de santé ayant le statut d’auxiliaire médical. Cela signifie qu’il exerce sur prescription d’un médecin. Ses actes, remboursés par la sécurité sociale, restent sous le contrôle du médecin prescripteur.

Suite à un bilan orthophonique qui recourt à des outils normés comme à l’observation clinique, l’orthophoniste est habilité à poser un diagnostic orthophonique. Il a délégation de prescription quant au nombre de séances de rééducation qu’il juge nécessaire. Concrètement, il doit respecter le cadre d’une nomenclature particulièrement contraignante. L’orthophoniste n’est pas un simple technicien de la rééducation.

Je précise ces éléments afin de souligner que rien dans les textes de loi ne subordonne les actes orthophoniques à l’avis d’un psychologue ou d’un psychanalyste.

Mme Claude Halmos est certes une personnalité médiatique dont le service public use des conseils depuis de fort nombreuses années. A-t-elle une légitimité pour établir des éléments d’information objectifs sur le recours à l’orthophonie? La réponse est clairement non. Son “décryptage” relève tout au plus d’un exposé d’opinions. Il est fort regrettable que vos auditeurs n’en soient pas avertis.

Pour expliquer le recours grandissant aux orthophonistes, Mme Halmos part d’un constat que mes collègues et moi-même pourrions éventuellement partager: la méconnaissance de la nature et de la complexité des difficultés d’apprentissage. Je suis beaucoup moins en phase avec la suite de son analyse qui manque de définir clairement qui les méconnaît.

S’agit-il des parents? S’agit-il des enseignants? Mme Halmos entretient le flou. Elle ne se prive pas cependant de pointer soit les mauvaises méthodes d’apprentissage, donc la faute de l’école, soit les problèmes éducatifs, donc la faute des parents. Mais le sujet étant vaste, c’est du tiers thérapeutique dont il faut parler. C’est donc en tant que psychanalyste que Mme Halmos donne son avis sur ma profession. Autant dire que les orthophonistes n’échappent pas à son doigt accusateur.

Car, selon Mme Halmos, les orthophonistes ne seraient pas suffisamment formés pour analyser la nature complexe des difficultés d’apprentissage dans leur ensemble. Pas aussi bien que les psychanalystes, faut-il comprendre. Je ne peux qu’être choquée par ce type d’assertion. Cela démontre une méconnaissance — est-elle réelle ou feinte — de la nature et de la complexité des études aboutissant au diplôme d’orthophoniste, tout comme de la nature et de la complexité de nos pratiques.

Je rappelle, à toutes fins utiles, que l’obtention du diplôme d’orthophoniste nécessitait 4 ans d’études avant d’être reconnu en 2013 au grade Master Bac+5, soit au même niveau universitaire que les psychologues. Notez bien que le psychanalyste, quant à lui, se situe de part lui-même au-dessus de la mêlée. Il use d’un titre attribué par ses pairs car il a, à ses yeux, nécessairement plus de valeur que les titres universitaires. Les critères pour le mériter restent obscurs, à dessein d’après ce que j’ai ouï dire. A chacun de juger.

Concernant la formation des orthophonistes, il est très facile de vérifier que les 12 unités d’enseignement (UE) à valider couvrent un champ large de disciplines, allant de la neurologie à la linguistique en passant par la psychologie, et même la psychanalyse dans certains centres de formation.

Le champ de compétences des orthophonistes est vaste. Dans tous les cas, et en particulier quand il s’agit d’enfants, l’orthophoniste a pour mission d’établir la sévérité des difficultés d’une part, et de participer au diagnostic causal en recherchant des facteurs explicatifs. Une fois la sévérité des difficultés établies, l’orthophoniste n’attendra pas que le diagnostic de certitude soit posé pour débuter les soins. Tout simplement parce que les grandes difficultés d’apprentissage relèvent toujours du champ de la santé, et ce quelqu’en soit la cause. Mme Halmos en identifie deux. L’orthophoniste en recherchera le double, le triple et plus encore dans son bilan d’investigation.

Mme Halmos expose le principe que le psychanalyste devrait être le professionnel de premier recours. Il se trouve que, pour les enfants en difficulté d’apprentissage, ce n’est pas le cas. Le praticien de premier recours est l’orthophoniste. De la même manière qu’on consulte son médecin généraliste, les enseignants, les parents, les médecins ont identifié l’orthophoniste comme le praticien ad hoc. Est-ce un bien, est-ce un mal? Où se trouve réellement l’urgence de débattre de cette question? Que faut-il comprendre entre les lignes?

La réalité ne plait pas à Mme Halmos, il faudrait pourtant que vos auditeurs la saisissent. L’orthophoniste est le seul praticien de santé dont la formation permet l’appréhension globale de la problématique de l’enfant en difficulté d’apprentissage, tant dans ses aspects scolaires, éducatifs, psychologiques et médicaux.

Que Mme Halmos se rassure, l’orthophoniste est habilité à proposer des examens complémentaires. Si la problématique de son patient l’y amène, il proposera évidemment le recours aux soins d’un psychiatre ou d’un psychologue.

Ceci étant, dans notre pays, le courant psychanalytique représente encore la majorité de l’offre de soins psy. De ce fait, les orthophonistes et les familles qui souhaitent d’autres types de thérapies n’obtiennent malheureusement pas très facilement les soins qui ont apporté des preuves de leur efficacité. Voilà une raison objective, parmi d’autres, pour que des rééducations s’allongent.

Les maîtres mots des orthophonistes sont adaptation et personnalisation des prises en charge. Ceci est encore plus vrai pour les enfants car leur trajectoire de développement n’est jamais prédite par un seul facteur mais par une multitude. Aucune science ni philosophie n’a pu les décrire ni les analyser dans leur entièreté. Avoir l’honnêteté de le dire à l’antenne d’un service public n’est pas l’apanage de Mme Halmos.

Ses propos sont choquants pour l’orthophoniste que je suis car ils participent d’une vision partisane et corporatiste dépassée. Ils sont choquants en cela qu’ils allèguent détenir une vérité contre une autre, et nient en creux le consensus scientifique solidement établi concernant les troubles neuro-développementaux.

Ils sont choquants car ils veulent continuer d’opposer une complexité toute psychologique à un soi-disant simplisme scientifique. Ils veulent réactiver d’anciennes querelles de chapelles qui ne servent en rien l’intérêt des patients mais sèment à nouveau la culpabilité et le doute dans les esprits.

Enfin, ses propos sont choquants car ils jettent le discrédit sur une profession largement méconnue et en bute à un mépris patent de la part des pouvoirs publics quant à ses revendications.

Car, Mesdames et Messieurs, journalistes de France Info, vous n’êtes pas sans savoir que ma profession réclame, sans être entendue, une juste revalorisation de sa rémunération à hauteur de son niveau d’études.

La coïncidence serait-elle fortuite? Les intérêts des uns seraient-ils en alignement avec les intérêts des autres pour désigner une cible commune? Les journalistes que vous êtes, je n’en doute pas, ont dû se poser ces questions. J’attends tout de même avec impatience l’interview d’une personnalité, même de deux minutes trente, qui abordera enfin les choses sous cet angle.

En tout état de cause, chers journalistes de France Info, si vous souhaitez réellement informer vos auditeurs au sujet du recours croissant aux orthophonistes, n’hésitez pas à faire appel à l’un ou l’autre de mes collègues engagés, passionnés, et souvent découragés par les non-sens auxquels ils doivent faire face. N’hésitez pas car ils ont tous beaucoup d’arguments à opposer aux discours conventionnels.

Mieux. Envoyez l’un d’entre vous, un stagiaire si vous voulez avec une caméra au poing, et venez enregistrer ce qui ce passe dans nos cabinets pendant une journée, une semaine, une année. Venez dans les institutions, venez dans les hôpitaux. Venez voir l’entièreté des situations, venez constater la diversité des publics que nous recevons. Venez rendre compte de ce que font les orthophonistes avec si peu de moyens.

“De plus en plus d’enfants sont envoyés en orthophonie”, dites-vous. Comme on envoie des bêtes à l’abattoir? La comparaison est bien malheureuse! Figurez-vous qu’on rit souvent dans nos cabinets. Pourquoi? Parce que les enfants apprennent bien mieux en jouant, c’est tout le savoir-faire des orthophonistes.

Malheureusement, la parole médiatique reviendra encore et toujours à Mme Claude Halmos ou à l’un de ses confrères “spécialistes” de l’enfance formés à la psychanalyse.

Qu’à cela ne tienne, je continuerai à faire mon travail. Malgré Mme Halmos, malgré la surdité du ministère de la santé, malgré l’invisibilité médiatique de ma profession. Autant dire avec difficulté alors que mon véritable intérêt serait de travailler sereinement.

Car mon intérêt va aux enfants qui viennent dans mon cabinet. Il va aux parents qui me posent des questions auxquelles je ne prétends pas donner une réponse toute faite. Il va aux enseignants qui en appellent à mes connaissances. Il va à tous ceux qui ne prétendent rien d’autre que d’apporter les meilleurs soins possibles.

Donc, chers journalistes de France Info, si vous m’avez suivi jusqu’au bout, je ne vous pose qu’une seule et unique question. Avez-vous le sentiment d’avoir fait votre travail de journaliste en donnant deux minutes trente d’antenne à Mme Claude Halmos? Si oui, je ragerai une fois de plus dans mon coin, je commence à en avoir l’habitude. Si cependant un doute vous anime, organisez un droit de réponse sur votre antenne.

Merci de votre attention.

Par bonheur, il existe un médiateur à Radio France, Monsieur Bruno Denaes. Je lui adresse donc ce courrier comme simple auditrice, avec confiance en sa fonction dans le jeu démocratique.

--

--

Catherine Leduc
Lézamimo

Passionnée idéaliste en quête de sens et d’énergies. J’aime les renards et les petits princes #utopieréaliste (et j’adore mon métier d’orthophoniste!)