L’impact sociétal : pourquoi les entreprises ont tout intérêt à en faire le coeur de leur stratégie !

Carole Arnaud
L’impact sociétal
8 min readApr 14, 2019

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“ L’objectif d’équité de traitement salarial […] pourrait à lui-seul, contribuer à hauteur de 18 000 milliards de dollars au PIB mondial d’ici 2025. De quoi ne pas avoir envie d’attendre 217 années… “

Alors que les consommateurs et les employés demandent de façon de plus en plus pressante aux entreprises d’avoir un impact sociétal positif, où en sommes-nous ? Entre coups marketing, difficulté de valorisation et opportunités business… Retour sur l’enjeu majeur de la transformation des sociétés et de la société.

Avant d’aller plus loin, commençons par le début, l’impact sociétal, c’est quoi ?

Quelle définition retenir de l’impact sociétal ?

Je dois vous avouer que j’ai passé un peu de temps à chercher la bonne définition, la définition universelle qui mettrait tout le monde d’accord.

Et c’est déjà là que ça se complique… Parce qu’une définition unique ne semble pas exister.

BON.

Après avoir hésité avec d’autres expressions toutes aussi valides “ impact social “, “ responsabilité sociétale “, “ responsabilité sociale et environnementale “… J’ai décidé de rester sur ma première idée qui me paraît la plus appropriée et la plus complète.

Du coup, comme j’ai pris des cours de latin et que j’entends encore ma mère me dire “ Ça ne sert à rien le latin de toute façon “, et puis comme j’aime bien contredire ma mère… essayons de décomposer le problème en étudiant l’étymologie des deux mots qui forment cette notion.

“ Impact “ provient du latin impactum qui signifie “ choc, rupture “, provenant lui-même de impigere “ frapper contre, jeter contre “ (par exemple : l’impact d’une météorite). Son utilisation figurée, évoquant l’ “ influence forte “ d’une personne ou d’une organisation est plus récente, et dérivée de la signification de ce même mot en anglais.

Par contre me voilà mal embarquée avec le latin pour définir le second terme. En effet, “ sociétal “ est un néologisme, tiré de l’anglais, encore une fois (heureusement que j’avais quand même pris anglais au collège). Il recouvre l’ensemble des aspects de la vie sociale des individus, en cela même qu’ils forment une structure organisée. Si vous êtes aussi perdus que moi la première fois que j’ai lu cette définition, je vais essayer de l’expliquer un peu. Pour simplifier, alors que le terme “ social “ représente toutes les composantes de la vie des humains (santé, logement, environnement, transport, alimentation,…), “ sociétal “ fait référence à l’équilibre et à l’équité des interactions entre l’ensemble de ces “ vies sociales “.

En langage d’entreprise, prendre en compte l’enjeu sociétal c’est donc comprendre la “ nécessité de garantir l’équilibre des écosystèmes, l’équité sociale et la bonne gouvernance des organisations “ car elles sont “ soumises au regard de leurs diverses parties prenantes “. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la norme ISO26000.

Donc pour résumer, l’impact sociétal d’une organisation serait donc l’influence directe ou indirecte de ses prises (ou absence de prise) de décisions stratégiques sur la qualité de vie de l’ensemble des membres de son écosystème. En encore plus résumé, son impact sociétal s’évalue donc en fonction de sa contribution au Progrès (ou à la Régression).

L’influence directe ou indirecte, des prises de décisions stratégiques, sur la qualité de vie de son écosystème

En suivant strictement cette définition, quelle est la valeur réelle de l’impact sociétal d’un véhicule propre mais réservé à une partie de la population du fait de son prix prohibitif (suivez mon regard…) ? Derrière cet exemple se dresse la problématique de l’utilisation de l’impact sociétal comme argument de communication. Et c’est bien là tout le mal de ces 20 dernières années : au lieu d’être une réelle composante de la stratégie des entreprises, cette notion a principalement été un élément de communication. On a même donné un nom à cela : le Brand activism (anglais quand tu nous tiens).

Brand Activism ? Ou quand la communication l’emporte sur les actions

Le Brand Activism, c’est le fait pour les organisations de communiquer leur opinion sur des questions sociales, économiques, environnementales ou politiques — une opinion qui correspond généralement aux valeurs définies par l’entreprise. Oui, “ généralement “.

Bien entendu, certaines campagnes de brand activisi m sont légitimes, et reposent sur des actions et postures concrètes, résultant d’une stratégie globale d’impact sociétal positif. Ou neutre, a minima.

D’autres sont plus que discutables. Prenons par exemple la campagne Pay with Loving de McDonald’s aux États-Unis. Celle-ci proposait aux clients de payer avec des hugs, des high-five, etc. plutôt qu’avec de l’argent. Un bon exemple d’activisme social, d’inclusion, de tolérance et d’un sentiment d’expérience partagée qui aurait été charmant (même s’il est peu probable qu’il se soit bien traduit sur tous les marchés) s’il n’avait pas été entaché par les discussions houleuses d’alors au sujet du salaire minimum et des demandes de syndicalisation ( cf NY Times Blog).

En 2017, les dépenses de marketing associées à des campagnes supportant des “ bonnes causes “ ont atteint leur plus haut niveau, estimées à plus de 2 milliards de dollars.

Et les exemples ne manquent pas. Ces stratégies consistant principalement à faire bonne figure, à rendre la mariée plus belle, ont permis à certains groupes de maintenir de bonnes performances, de limiter le désamour de leurs consommateurs. En gros, ils ont gagné du temps.

Mais le temps commence à manquer. Un seul exemple parle de lui-même : le World Economic Forum a récemment estimé à 217 années le temps nécessaire pour en finir avec les inégalités de salaires entre hommes et femmes.

Mais il y a de l’espoir.

Quand les consommateurs et les jeunes talents poussent les entreprises à changer

Tout d’abord, grâce à la prise de conscience des consommateurs et à la prise en main de leurs décisions d’achat. C’est l’ère du consommateur activiste, du consom’acteur.

A l’heure des réseaux sociaux, heure à laquelle les consommateurs sont sur-informés, et sur-connectés, la parole des marques est de plus en plus remise en cause, vérifiable. Et le risque de réputation s’en trouve démultiplié.

Parallèlement, les consommateurs sont de plus en plus engagés. D’après l’étude 2018 Edelman Earned Brand, 64% des consommateurs achèteront ( buycott) ou boycotteront une marque seulement basés sur sa position sur des questions sociales ou politiques (+13 points par rapport 2017). Cette proportion est relativement stable entre les différentes classes sociales et pour des individus âgés entre 18 et 54 ans.

Sur les 8 marchés interrogés (Chine, Brésil, Inde, France, Japon, Etats-Unis, Royaume-Uni et Allemagne), ce sont la Chine, le Brésil et l’Inde qui arrivent en tête. Quand on sait leur croissance estimée sur les 15 prochaines années (doublement de la classe moyenne principalement tiré par la Chine puis l’Inde), il y a de quoi mettre l’impact sociétal des entreprises au cœur de leurs choix stratégiques.

Et parce que les consommateurs sont aussi des salariés, leur engagement croissant pose également des problématiques fortes de marque employeurs aux organisations. La capacité d’une entreprise à rester attractive auprès des talents est un de ses enjeux clés.

D’après une étude menée par l’organisme Global Tolerance, 62% des millenials ne souhaiteraient travailler que pour des sociétés à impact sociétal positif. Cette génération — née pendant les années 80 et 90 — transforme le marché du travail. Renversant la pyramide de Maslow en attachant davantage de poids à l’engagement et à l’épanouissement qu’à l’argent et à la stabilité de l’emploi, ils veulent contribuer à un meilleur monde, à une meilleure société. Et ils veulent que l’entreprise pour laquelle ils travaillent en fasse de même.

“En tant que citoyens, en tant que consommateurs, en tant que travailleurs, nous affirmons donc dans ce manifeste notre détermination à changer un système économique en lequel nous ne croyons plus” (extrait du manifeste étudiant)

D’ailleurs en France, en septembre 2018, les voix des étudiants des grandes écoles se sont élevées en faveur d’un “ réveil écologique “. Regroupant des milliers de signatures, ce manifeste étudiant affiche les convictions de ces nouveaux entrants sur le marché du travail, refusant d’être employés par un groupe ayant un impact sociétal négatif.

Quand on voit tous ces indicateurs, on se demande pourquoi une majorité d’entreprises, notamment les grands groupes, rechigne encore à avancer dans le sens du progrès.

Une des explications est qu’avoir un impact sociétal positif, pour une entreprise, c’est aller plus loin que la seule prise en compte du facteur “ économique “ dans ses orientations stratégiques. Il faut qu’elle puisse valoriser également les dimensions humaines, politiques, sociétales et environnementales de ses actions auprès notamment de ses investisseurs… Et le moins que l’on puisse dire c’est que les outils pour évaluer l’impact de leurs performances extra-financières sont limités.

Que se passe-t-il quand on ne sait pas mesurer le fruit de nos actions ? Que se passe-t-il quand nos efforts ne sont ni mesurables ni réellement récompensés ? Hé bien une majorité d’entre nous décidera de ne pas faire cet effort. Logique.

Des opportunités commerciales immenses, chiffrées à 12 000 milliards / an

Cependant, grâce au rapport de janvier 2017, intitulé “ Better business, better world “ de la Business & Sustainable Development Commission (“ BSDC “), on sait désormais quelles opportunités offrent l’atteinte des 17 Sustainable Development Goals (“ Objectifs Mondiaux “) fixés par les Nations-Unies.

Alors que l’investissement nécessaire à leur réalisation est vraisemblament estimé à 2 400 milliards de dollars par an d’ici à 2030, les opportunités commerciales correspondantes s’élèveraient à 12 000 milliards de dollars par an sur la même période. C’est la valeur estimée qu’ouvrirait la réalisation de ces objectifs mondiaux dans les seuls secteurs alimentation et agriculture, villes, énergie et matériaux, ainsi que santé et bien-être.

Sources : Nations Unies, www.un.org ; rapport” Better business, better world “, Business & Sustainable Development Commission (2017).

L’autre bonne nouvelle, c’est que l’atteinte de ces objectifs permettrait aussi la création de 380 millions de nouveaux emplois d’ici 2030. L’objectif d’équité de traitement salarial entre hommes et femmes pourrait à lui-seul, contribuer à hauteur de 18 000 milliards de dollars au PIB mondial d’ici 2025. De quoi ne pas avoir envie d’attendre 217 années…

Et comment avancer maintenant ?

Par contre, la difficulté de la mesure immédiate des actions de transformation des entreprises vers un modèle plus responsable et plus durable restera un point crucial de la prise de décision des dirigeants d’entreprise. S’ajoute également, le risque de déséquilibre entre les acteurs enclenchant cette transformation et les autres.

Pour faire face à ces défis, la BSDC estime que les compétences nécessaires au succès d’un dirigeant d’entreprise en vue de la réalisation des Objectifs Mondiaux sont : l’innovation, la vision à long-terme, la collaboration, la transparence, la gestion de l’environnement et l’inclusion sociale.

Enfin, la collaboration entre le monde des affaires, les régulateurs et la société civile sera indispensable pour élaborer des politiques fiscales et réglementaires créant des conditions de jeu favorables et équitables. Le statut d’entreprise à mission et le concept de “raison d’être”, en discussion actuellement en France, sont des pistes de réflexion crédibles, mais leurs modalités d’application posent encore des questions notamment vis-à-vis des actionnaires. Et sur ce sujet, la France peut regarder vers l’Italie, pays européen pionnier, qui permet aux sociétés (“S ocietà Benefit”) d’associer finalités lucratives et non lucratives

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