Les gestes barrière pour le climat

Rémi Doolaeghe
L’ingécolo
Published in
8 min readOct 19, 2020

La première moitié de l’année 2020 nous a fait adopter en grande majorité une nouvelle habitude qui serait apparue impensable quelques mois auparavant. Porter un masque en permanence, se désinfecter les mains à l’entrée de tout lieu public, garder au maximum ses distances… En l’espace de quelques semaines, ces gestes sont devenus communs, admis. Leur absence est même devenue désapprouvée dans le regard d’autrui. “Il ne porte pas de masque, c’est mal”.

Il est étonnant de voir que ces habitudes ont été prises aussi rapidement par une aussi vaste majorité de personnes. Un signe que le comportement humain peut changer du jour au lendemain, et qui tend à montrer que le “on a toujours fait comme ça” n’est qu’une affirmation sans fondement. C’est ce qui me pousse à penser qu’un bon nombre d’habitudes peuvent être prises en un temps court et par une part importante d’une population quand un objectif commun nous réunit tous. Et un signe d’espoir pour l’avenir du climat planétaire.

Nous avons été capables de changer radicalement certaines de nos habitudes, et à renoncer à un certain nombre de liberté, et ce afin de tenter d’éviter quelques centaines de milliers de morts supplémentaires liées au COVID-19. Il n’est donc pas si déraisonnable de penser que nous pourrions adopter quelques autres nouvelles habitudes dans le but de sauver quelques milliards de vie dans un avenir hélas pas si lointain. Le maintien de notre société et son système de consommation dans sa forme actuelle mènerait notre climat à connaître vraisemblablement une hausse de 4°C en 2100, ce qui rendrait inhabitables les terres actuellement occupées par 1,5 à 3 milliards d’être humains (une bande plus ou moins large, centrée sur l’équateur, qui deviendrait plus chaude encore que le Sahara, tout autour du globe). Au prix de quelques gestes, nous pourrions leur donner une chance de ne pas être forcés à l’exil.

Si l’objectif de la crise du COVID a été de diminuer le taux d’infection, celui de la crise climatique serait de réduire l’empreinte carbone de chacun. Celle d’un Francais est estimée en moyenne à 12 tonnes d’équivalent CO2 par an. Pour stabiliser le climat, et permettre à notre environnement d’absorber tout le CO2 que chacun émet (la fameuse neutralité carbone), il faut être capables d’atteindre 2 tonnes par an. C’est d’ailleurs l’objectif de la France et de l’UE pour 2050. Alors comment réduire aussi drastiquement son empreinte ? Une bonne part repose sur les épaules des industriels, et un tiers environ pourrait être adressé par des gestes nouveaux, de nouvelles habitudes.

Il n’est pas question dans un premier temps de tout changer radicalement dès demain matin. Demandez à un fumeur de passer de deux paquets par jour à rien du tout du jour au lendemain, vous comprendrez vite à quel point c’est impossible. Qui plus est, la situation de chacun est unique. Demandez à quelqu’un habitant à 40km de son travail d’abandonner sa voiture et vous perdrez rapidement toute crédibilité. En revanche, demandez à un membre de votre famille de ne pas craquer pour ce tout nouvel aPhone alors que son téléphone est encore pleinement opérationnel, voilà qui est bien plus réaliste.

Il est temps de passer aux gestes barrière pour le climat !

Tes déplacements en avion et voiture thermique individuelle tu réduiras. le transport représente une part importante de l’empreinte carbone d’un individu. Un kilomètre en voiture thermique représente en ordre de grandeur 200gCO2/km. Dit autrement, 10.000km correspondent au budget carbone d’un individu (les 2 tonnes auquel il faudrait tendre). Cette valeur dépend bien évidemment de la voiture. Une grosse berline allemande gonflée aux hormones aura un bilan bien plus lourd qu’une petite citadine hybride. Quant à l’avion, il suffit de se référer à quelques trajets iconiques pour se rendre compte de son impact. Un aller-retour Paris-New York, c’est 2,25 tonnes de CO2. Pour Tokyo, 3,75 tonnes. Et Sydney, 6,5 tonnes. Aller passer une semaine ou deux dans ces destinations brûle le budget de plusieurs années. Pour faire une analogie financière, cela reviendrait à dépenser en deux semaines les salaires gagnés en un an. Le train apparait comme une alternative bien plus vertueuse avec ses quelques grammes par kilomètre et par passager.

Ton régime alimentaire tu modifieras. L’empreinte carbone d’un Français liée à l’alimentation représente un peu plus d’une tonne de CO2 par an. Comme il est difficile de demander à quelqu’un de manger deux fois moins pour réduire son empreinte, il vaut mieux viser les aliments qui y contribuent le plus. Dans ce domaine, la viande seule représente environ 80% de cette empreinte. Même en imaginant que devenir végétarien serait hors de question pour un bon nombre de Français, essayer de tendre vers un régime flexitarien (moins de viande, mais de meilleure qualité) peut avoir un impact très positif pour réduire son empreinte de quelques centaines de kg de CO2 par an. Changer la nature de la viande consommée peut jouer pour beaucoup également. Moins de boeuf et plus de volaille a déjà un effet plus que bénéfique.

Local et de saison tu consommeras. Manger des tomates marocaines en hiver, ou des pommes chiliennes en été joue également un rôle. Manger de tout, toute l’année, est un peu contre-nature. Si les courgettes ne poussent pas en hiver, il peut être raisonnable de penser à ne pas en manger à cette période-là, et de privilégier d’autres légumes comme les potirons ou les courges butternut. Quand à manger des fruits en été, pourquoi vouloir des pommes alors que tant d’autres nous tendent les bras comme les melons, pêches, nectarines… Manger local permet d’éliminer la phase de transport, consommateur essentiellement de pétrole. Attention néanmoins à ne pas céder à la tomate cerise de France en plein hiver ! Il est à parier qu’elle aura poussé sous serre, chauffée au gaz naturel, et avec une empreinte carbone bien pire que son homologue de l’autre bout du monde. Hors alimentation, tout produit fabriqué en France bénéficie grâce à son transport réduit et son électricité peu chargée en CO2 (la France caracole dans les champions de l’électricité bas-carbone), et devra donc être préféré à disons au hasard un article produit en Chine (à grand renfort de charbon).

La mode tu refuseras. “Si tu n’as pas le dernier aPhone 11 ou les fringues tendances de l’été, tu es has-been”. La mode est un outil diaboliquement pratique pour aider les industries à vendre toujours plus, quitte à remplacer un produit fonctionnel (et toujours aussi qualitatif qu’au premier jour) par un nouveau soi-disant encore mieux, histoire de remplir le tiroir-caisse. Changer de téléphone tous les deux ans juste pour avoir le nouvel appareil photo avec trois pixels en plus, changer de machine à café parce qu’elle n’a plus la bonne couleur, ou encore racheter des vêtements pour remplacer ceux de sa garde-robe qui n’ont été porté que trois fois sont autant de gestes qui plombent l’empreinte carbone. Peu importe le produit, sa fabrication a des impacts, particulièrement tout ce qui touche à l’électronique. L’exemple emblématique est celui du téléphone : pour un téléphone gardé deux ans, au moment de le sortir de son emballage, 90% de son empreinte carbone a déjà été produite. L’électricité pour le recharger au quotidien ne représente que 10% de son empreinte. Un ordinateur affiche un score de 80% à son premier allumage. Autant dire que garder deux fois plus longtemps un appareil électronique est extrêmement efficace pour réduire son empreinte carbone.

Des achats inutiles tu te dispenseras. Ce qui est encore mieux que d’acheter tel article produit en France est encore de ne pas l’acheter du tout. Au final, il a une chance non négligeable de finir au fond d’un tiroir ou de prendre la poussière dans un grenier pendant des années alors que vous ne l’aurez utilisé que deux ou trois fois dans votre vie. Des pinces à escargot pour faire plaisir à votre tante Micheline que vous voyez une fois par décennie ? Une collection de 30 mugs alors que vous ne buvez pas de café ? Des bougies alors que vous n’avez même pas de briquet ? La bonne question avant de cliquer sur le bouton Acheter est encore de se demander : “Est-ce que j’en ai vraiment besoin ? Est-ce que je pourrais l’emprunter ou le louer à la place ?”

Des articles d’occasion ou reconditionnés tu préfèreras. Si c’est vraiment utile pour vous, pourquoi ne pas regarder du côté de l’occasion ? Des objets souvent en bon état pour une fraction de leur prix neuf, et dont l’empreinte carbone a déjà été endossée par son premier propriétaire. Votre porte-monnaie vous remerciera au passage.

Les objets cassés tu répareras. Le bouton de votre cafetière préféré vient de lâcher, c’est bête. Vite, on se précipite pour aller en racheter une nouvelle ! Ou pas. Il existe certainement un moyen de réparer ce petit désagrément. Tiens, un bouton universel pour quelques euros seulement, à la place d’un nouvel achat à plusieurs centaines d’euros, quelle aubaine ! Et quid de faire vivre le petit réparateur indépendant en bas de la rue qui vous remettra tout ça en marche pour quelques dizaines d’euros seulement, et la satisfaction de faire vivre un professionnel indépendant plutôt qu’une grande chaîne internationale ?

Les déchets tu réduiras. Si vous en avez marre de descendre votre poubelle tous les deux jours, cette nouvelle habitude pourrait vous séduire. Les déchets ont un impact carbone à cause de leur production d’une part, et de leur élimination d’autre part (transport ,recyclage, incinération…). Préférer tel paquet de biscuit qui n’utilise pas trois couches de suremballage plutôt qu’un autre, acheter en vrac ou encore cuisiner davantage soi-même avec des produits achetés sans emballage (légumes, fromage, viande…) ne peut être que bénéfique pour son empreinte carbone.

Chez toi moins tu chaufferas. Le bâtiment est un des secteurs les plus émetteurs de CO2. Outre sa fabrication souvent à base de béton (et plus particulièrement du ciment qui représente 5% du CO2 total émis chaque année dans le monde), le chauffage occupe un poste important dans les émissions. En cause, la production de chaleur à base d’électricité (elle-même produite avec des sources d’énergie qui émettent du CO2, bien que la France soit bonne élève de ce côté-là), de gaz ou encore de fioul. Réduire légèrement la température de chauffage de son logement est d’une efficacité redoutable. On dit généralement que la baisse d’un degré de la température nominale du chauffage fait gagner 7% d’énergie. Autant d’euros en plus gagnés sur la facture, au passage, en plus du CO2 évité.

Il existe encore mille et une façons de réduire son empreinte carbone, chacune ayant un effet réduit prises séparément, mais vraiment efficaces mises bout à bout. Raccourcir sa douche, se déplacer en transports en commun ou en mobilité douce, télétravailler… chaque geste permettra de se rapprocher de l’objectif des 2 tonnes de CO2 par personne. Bien évidemment, il ne s’agit pas de culpabiliser les individus, quand on sait que les processus de l’industrie restent le levier principal d’action. Néanmoins, étant donné l’objectif très ambitieux mais nécessaire, toutes les actions doivent être envisagées en fonction de la situation de chacun.

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Rémi Doolaeghe
L’ingécolo

Développeur freelance avec une appétence pour le numérique responsable : accessibilité, écoconception, sobriété numérique...