Transition écologique : qui du consommateur, de l’industrie ou de l’état doit faire le premier pas ?

Rémi Doolaeghe
L’ingécolo
Published in
8 min readFeb 4, 2020
Photo by Robin Sommer on Unsplash

Quand on évoque le sujet de la transition écologique, on peut être tenté de penser que c’est aux industries de changer leur mode de production. C’est vrai, ce sont elles qui génèrent la vaste majorité de l’impact environnemental. Les hauts-fourneaux, les chaînes de montage robotiques, le transport mû par les énergies fossiles, l’extraction des ressources, le numérique… Tous ces points sont bien dans le giron des industries, alors pourquoi le consommateur devrait-il même se poser la question de la façon de réduire son impact environnemental ? Quand les industries auront changé, le monde ne s’en portera que mieux.

L’industrie peut-elle mener le changement ?

Dans un sens, c’est vrai. Quand les industries auront adapté leur mode de production vers des processus plus vertueux sur le plan environnemental, une partie du travail aura été faite. Juste une fraction, dans les faits, mais ce n’est pas l’objet de cet article.

Or, la question n’est pas de connaître l’objectif à atteindre, mais bien la trajectoire. Personne ne peut plus ignorer aujourd’hui que le but est de réduire notre impact environnemental (via la réduction des émissions de CO2, notamment, mais pas seulement). La question est donc de définir comment y parvenir.

Les processus et les offres des industries devraient être revues. C’est un point acquis. Mais il serait de bon ton de se poser la question : pourquoi une industrie reverrait-elle sa copie ? Un changement coûte cher. Il nécessite d’être pensé, élaboré, et mis en oeuvre. Toutes ces étapes sont un coût indéniable pour une industrie. Il faut payer les salaires des collaborateurs qui mènent ce changement, mais aussi dépenser pour modifier les processus de production, les fournisseurs, etc. Or, une industrie ne fait un choix de changement que si elle a un retour sur investissement qui soit positif. Si l’entreprise n’a rien à y gagner, pourquoi effectuer un effort dans cette direction ? Ce serait extrêmement maladroit de la part de la direction d’une entreprise dans un marché capitaliste.

En revanche, pourquoi une industrie propose-t-elle tel produit ou service, avec tel processus de mise en oeuvre (fabrication, …) ? La réponse réside dans la loi de l’offre et de la demande. Une entreprise propose un produit parce qu’elle sait qu’il y a un marché pour lui. Il y a des acheteurs, et donc un chiffre d’affaires à récolter. Etant donné que le but ultime d’une entreprise est le profit (dans un monde capitaliste), le modèle ne peut être que celui-ci. Si un marché est inexistant et peu enclin à être créé, pourquoi tenter de s’y installer ? L’industrie se tirerait une balle dans le pied.

Supposons malgré tout qu’une entreprise décide par elle-même, sur les convictions personnelles de sa direction, de changer ses méthodes et ses produits. Cela implique que l’entreprise décide d’allouer un budget pour effectuer une transition, et/ou tenter de créer un nouveau marché. Le poids de cet investissement va peser plus ou moins lourdement sur le budget de cette entreprise. Ce budget ponctionné va alors faire défaut à l’entreprise, puisqu’elle ne pourra pas le placer dans d’autres investissements qui seraient requis par le marché (ou même gréver sa possibilité d’emprunt). Or, ses concurrents feront ces choix logiques (par rapport au marché), ce qui mettra en danger la survie de l’entreprise. En s’engageant dans une voie incertaine en fragilisant sa santé financière par ses investissements surprenant, c’est sa pérennité qui est mise en cause, autant pour ses actionnaires que pour ses salariés. Un dirigeant d’entreprise devrait être sacrément courageux pour accepter de prendre un tel risque, alors que la voie de la facilité est déjà toute tracée.

Remarque : ce raisonnement n’est valable que dans un monde aux valeurs actuelles, où le but premier de l’entreprise est de générer du profit. Il ne pourrait pas par exemple s’appliquer dans un monde où le but premier de l’entreprise serait de proposer un produit ou service qui soit vertueux en première intention, ou même le fruit d’une conviction personnelle forte hors de toute volonté de profit.

Remarque 2 : ce raisonnement, à nouveau, ne s’applique pas dans le cadre où un changement permettrait un gain financier, tel que la réduction d’une facture énergétique, salariale ou sur les matériaux et matériels. Le numérique, par exemple, pourrait espérer des gains substantiels en opérant une transition sans création de nouveau marché.

L’état peut-il mener le changement ?

Si les industries ne peuvent pas être les pionnières, alors c’est à l’état d’imposer des lois pour que ce soit le cas.

Cette idée ne prend pas en compte tous les paramètres économiques et politiques. En premier lieu, un état ne peut agir que sur son territoire. Pour une entreprise internationale, cela nécessiterait que les états du monde entier puissent se mettre d’accord et avancer ensemble. Or, chaque état tente de tirer la couverture à lui, dans la direction de son orientation propre. Un état usine comme la Chine n’aura pas la même vision qu’un état consommateur comme la France, ou un état fiscal comme la Suisse. Personne ne saura se mettre d’accord à la table des négociations avant qu’il ne soit véritablement trop tard. A ce titre, on pourrait parler de concurrence gouvernementale au même titre que la concurrence industrielle. Les enjeux se rejoignent.

Malgré tout, en supposant que l’action d’un état sur son territoire puisse avoir de l’impact, de trop nombreux obstacles viendraient s’interposer.

Les prises de décision et actions d’un état sont toujours sous le coup de lobbies industriels qui viendraient freiner les évolutions de loi, pour les mêmes raisons que citées précédemment.

La législation demande également à ce qu’une majorité vienne appuyer les évolutions de loi, donc qu’un nombre suffisant de législateurs s’engagent dans cette direction. Or, ces mêmes législateurs sont élus par la population, donc les consommateurs. Si les consommateurs ne sont pas en majorité pour ce changement, alors il ne sera pas opéré.

Même dans l’hypothèse où les législateurs commenceraient à s’engager sur ce terrain, la législation est dans tous les cas extrêmement lente à être établie, puis mise en application. Après tout, depuis quand les problématiques du pétrole sont mise en exergue par l’opinion publique et les médias ? Pourtant, l’interdiction des véhicules mus aux énergies pétrolières ne viendra s’appliquer en France qu’en 2040. Il faut donc des dizaines d’années entre l’émergence d’une problématique et la mise en place de sa solution. L’état doit, de plus, accompagner tous les changements qu’il impose, ce qui nécessite une dépense d’énergie et de fonds non négligeable. L’inertie est donc bien trop importante pour espérer une mutation rapide du paradigme étant donnée l’urgence de la situation.

On constate donc que, que ce soit l’industrie ou l’état, tous deux sont soumis au “vote” du particulier, qu’il soit acheteur/consommateur ou électeur. Le coeur de la solution réside donc chez le particulier

Le particulier peut-il mener le changement ?

En faisant simplement le choix de consommer autrement, le particulier peut donc passer outre les deux limitations. Il décide d’un nouveau mode de consommation, avec des produits ou des comportements différents, ce qui ouvre la voie à la création de nouveaux marchés (ce qui encouragera donc les industries à suivre cette demande pour aligner une offre en adéquation, sans remettre en question son orientation du profit avant tout). Il permet également de ne pas avoir à attendre une action gouvernementale avant de commencer à en bénéficier des bienfaits.

Le point noir de ce raisonnement est qu’il fait tomber la responsabilité sur le consommateur et son comportement au quotidien. C’est ici que la problématique se pose, car la difficulté réside toujours dans le changement. Demandez à un non fumeur de ne pas fumer, c’est facile pour lui. Demandez à un fumeur de fumer, c’est toujours aussi facile. En revanche, demandez à un fumeur d’arrêter de fumer, c’est là que l’histoire prend une autre tournure. C’est difficile, et cela demande un effort très important pour opérer la transition, avec toujours un risque de rechute qui reste fort dans les premiers temps. Pourtant, les bénéfices de ne pas fumer sont bien présents, que ce soit sur le plan financier, santé… La transition écologique revêt les mêmes atours. Demander à un consommateur lambda de changer ses habitudes de consommation est un effort potentiellement important, qui plus est dans une société qui vénère la consommation. Dans la métaphore, la société regarde les non fumeurs comme une anomalie, une bizarrerie, voire comme des hippies de la première heure. Le culte est à la possession, l’achat, le pouvoir d’achat. La transition écologique demandera un changement de valeur, où la sobriété sera la normalité, et la dépense fiévreuse et l’accumulation comme un travers pointé du doigt.

Dans cette optique, le consommateur pourrait craindre pour son confort. Il pourrait craindre ce changement de paradigme comme un recul de son niveau de vie. Dans les faits, un changement de mode de consommation ne rime pas nécessairement avec une diminution du confort de vie. Les exemples ne manquent pas : a-t-on besoin de renouveler un smartphone tous les deux ans, en choisissant le modèle le plus cher du marché à plus de 1000€ alors que conserver le modèle à 200€ (répondant à tous les besoins) jusqu’à sa panne fatale après plus de cinq ans ? A-t-on besoin de cette super cafetière à capsules à plus de 300€, alors qu’un bon vieux percolateur à dix fois moins cher et plus durable de par sa simplicité fera aussi bien le travail, n’en déplaise aux clairons du marketing ?

Qui plus est, la course à la surconsommation n’est rien d’autre qu’une course contre la frustration. S’y engager, c’est prendre le risque d’en vouloir toujours plus, et donc de ressentir un manque constant de ce qu’on n’a pas, plutôt que d’apprécier à sa juste valeur ce qu’on a. Les articles sur la déconsommation ou même le minimalisme fleurissent sur la toile, et les retours d’expérience sont généralement unanimes. Avoir moins pour avoir mieux est une source de bonheur, outre le temps économisé sur la recherche, l’achat, l’entretien et la mise au rebut des produits achetés. Qui ne s’est jamais retrouvé un jour à se lancer dans un grand ménage et allers-retours à la déchetterie pour désencombrer, avant de se jeter dans le premier magasin venu pour recommencer un nouveau cycle d’accumulation ?

Au final, la solution apparaît presque comme miraculeuse. Consommer moins, mieux, et mieux jouir du temps libéré par l’arrêt de la course aux achats pour profiter davantage de ce qui a de l’importance. La qualité de vie grimpe mécaniquement par l’émergence d’un temps libéré pour d’autres activités, le stress quotidien se réduit et confère un le gain sur la santé, l’impact environnemental est réduit. Ce mode de vie prône la simplicité et n’a que des avantages.

Il ne reste donc plus qu’à écraser cette dernière cigarette.

Pour aller plus loin

La déconsommation est un paradigme encourageant la réduction de la consommation, notamment l’achat de produits de faible durée de vie et/ou de faible valeur ajoutée sur le bonheur. Elle va de pair avec le minimalisme qui vise à éliminer de nos vies quotidiennes les accumulations d’objets inutiles, pour se focaliser uniquement sur les quelques produits qui apportent une réelle plus-value quotidienne (de par son utilité ou le bonheur qu’il procure)

Le Zéro Déchet propose un mode de consommation alternatif, éliminant autant que possible les objets à usage unique, prônant la réutilisation (récupération d’objets, contenant réutilisables…) au détriment du jetable (emballages…).

--

--

Rémi Doolaeghe
L’ingécolo

Développeur freelance avec une appétence pour le numérique responsable : accessibilité, écoconception, sobriété numérique...