Mon expérience personnelle en grand groupe : pourquoi j’ai décidé de partir pour une startup

Clément Bergantz
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Je travaille depuis bientôt deux ans et demi dans un grand groupe français. Il s’agit de mon premier job à la suite de mes études, de mon premier CDI et j’ai décidé il y a quelques semaines d’y mettre fin. Mon envie de changement n’est pas nouvelle. J’avais déjà demandé une rupture conventionnelle, sans succès.

J’ai suivi ces dernières semaines la formation Lion pour employés de startups proposée par The Family. Deux séances après avoir débuté la formation, ma décision était prise et je posais ma démission. Tant pis pour la rupture conventionnelle, tant pis pour le chômage que j’aurais pu toucher, tant pis si je n’ai pas encore trouvé un autre job. Mon père qui est dans la même entreprise depuis des années et des années, n’a pas bien compris ma décision.

Pendant ces 8 semaines à Lion, où tous les samedis des entrepreneurs se succèdent sur scène pour nous transmettre ce qu’ils ont appris, j’ai pu comprendre et mettre des mots sur la frustration que j’ai connu ces derniers mois en entreprise classique. J’ai pu aussi, mieux comprendre l’attirance que j’ai, comme beaucoup de gens de ma génération, pour cette organisation si particulière qu’est la startup, au-delà de la coolitude, du baby-foot et des autres clichés qui lui collent à la peau.

J’ai voulu écrire quelques lignes sur ces sujets qui me tiennent à coeur et qui illustrent la différence énorme entre le mindset et les pratiques que j’ai connu dans une entreprise classique et le fonctionnement d’une bonne startup — du moins ce que j’ai pu voir à Lion. En lisant ce post, il sera possible de me contredire toutes les 5 lignes, mais je ne cherche pas à faire un cas général, simplement à exprimer mon ressenti, partagé sans doute par d’autres.

⚠️ La prise de risque : zone de confort vs incertitude permanente

RISQUE [risk] n. m. 3 Fait de s’exposer à un danger (dans l’espoir d’obtenir un avantage).

Le jeune cadre dans un grand groupe ne s’expose à aucun danger. Tous les 28 du mois tu es très correctement payé, tu as tes petits avantages et une fois par an, si tu as bien travaillé, tu obtiens ta prime. La zone de confort! C’est souvent dans cette période qu’un cousin plus âgé ou tes parents te conseillent de ne pas attendre pour faire un achat immobilier.

Oussama Ammar et d’autres ont passé du temps les premiers jours de la formation à développer ce qui ne fonctionne pas dans les entreprises classiques, une bonne partie des Lions ne travaillant pas en startup. Ce n’est pas leur constat sur les grands groupes qui m’a convaincu de démissionner, je le partageais déjà pas mal, mais ce sont les cas personnels des intervenants qui ont suivi.

Beaucoup d’entre eux connaissent ou ont connu dans leurs aventures entrepreneuriales des flous juridiques, des mises en demeures, de la pression d’acteurs en place ou parfois des procès, bref du risque! Ils ont tous délibérément fait le choix de vivre avec le risque, l’assument et sont bien plus à l’aise que d’autres dans cette incertitude permanente, qu’elle soit juridique, économique ou même sociale. Ces expériences m’ont permis de relativiser le risque que je prenais en démissionnant. Au final, je m’étonne même à être content de ne pas toucher de chômage : plus le risque est grand, plus la période de risque est courte.

🚴‍ ‍Get out of the building

Dans un grand groupe, tout se passe dans un bureau et uniquement dans un bureau. C’est la méthode la plus efficace pour lancer des produits qui sont complètement à côté de la plaque. J’ai eu l’occasion de lancer un MVP en début d’année sur une zone de test à Boulogne-Billancourt. Quand j’expliquais à mes responsables que j’allais prendre mon vélo et assurer le service sur le terrain, j’ai senti les crispations du genre “c’est sympa mais on te paie pas pour ça”. Toujours sur ce MVP, la presse locale s’est intéressée à nous, pile ce qu’il nous fallait pour toucher notre cible et commencer à se faire connaître. Mes managers ont préféré bloquer ce reportage tant que l’équipe projet (moi) était sur le terrain parce que ça faisait “petit joueur”, “amateur”… Même si le ton était bienveillant, les mots utilisés m’ont fait prendre conscience à quel point mes managers étaient à des années lumières de ce qu’est la création d’un produit numérique. L’amateur aujourd’hui, c’est celui qui reste dans son bureau et qui de facto perd toute sensibilité aux changements.

Pour reprendre les mots de Thibault de Waziers d’Uber France : « Si vous prenez vos décisions en haut de votre tour, vous ne pouvez pas avoir une idée du business. » Les employés d’Uber à Paris commencent tous au support center pour avoir une meilleure idée du métier. Pendant très longtemps le founder de Deliveroo qui avait déjà levé plusieurs millions d’euros livrait encore lui-même des commandes clients. Il y a une différence énorme entre penser un service dans un bureau et le vivre dans une situation réelle face à ses utilisateurs. Deliveroo vaut aujourd’hui près d’un demi milliard de dollars. Teddy Pelerin, co-founder et CEO de Heetch, le service de mobilité nocturne, passait tous ses vendredis et samedis soirs en sortie de boîte de nuit pour demander aux jeunes comment ils rentraient chez eux et les convaincre de prendre un Heetch. Des histoires similaires se répètent pour chaque startup.

📰 Le rapport à l’information

L’un des entrepreneurs qui m’a le plus bluffé à Lion, c’est Nicolas Bustamante, co-founder et CEO de Doctrine (le Google du droit pour faire simple). Il entretient des liens réguliers avec ses concurrents et a mis en place des mécanismes internes qui permettent à l’ensemble de l’équipe d’avoir un niveau d’information élevé sur l’activité de la startup.

A l’inverse, j’ai à plusieurs reprises appris à un “client grand compte” ou à une direction interne lors d’une simple présentation, une information qu’ils ignoraient alors qu’elle était essentielle dans la gestion de leur business. On ne lance pas une consumer app qui coûte plusieurs millions d’euros à développer (c’est pas une blague) sans avoir toutes les apps concurrentes sur son propre iPhone… Personne n’a le temps de creuser les sujets les plus importants dans une entreprise classique qui lance de nouveaux produits : les clients, le marché, les solutions existantes, la monétisation, etc. Le grand groupe en revanche adore les études d’opinion. Il paie des milliers d’euros pour apprendre des généralités, des réponses biaisées ou pire encore, il va commanditer une étude qui, par un tour de magie, révèle que 75% des français ont besoin de son produit. L’étude de marché comme outil de communication, l’étude de marché pour se rassurer, mais à aucun moment l’étude de marché pour assumer ses responsabilités et prendre des décisions courageuses face à l’échec qui est encore loin d’être normalisé dans une entreprise classique.

A l’inverse tous les entrepreneurs qui sont intervenus à Lion sont (ou du moins on l’air d’être) bien informés. J’ai remarqué une méfiance systématique pour la presse et une préférence pour l’information brute, la data et l’analyse indépendante que l’on peut retrouver sur des blogs ou via des newsletters de qualité par exemple.

Cette différence énorme sur la qualité de l’information conduit à une différence tout aussi énorme sur les décisions prises.

🔭 La vision

Alors que je travaille essentiellement sur des produits ou services grand public, j’ai du mal à expliquer à mes amis ou lors de repas en famille, ce en quoi consiste concrètement mon travail. Personne dans mon entourage n’est réellement concerné. Problème! Je suis dans l’incapacité de faire un lien entre la raison pour laquelle je me lève le matin et le sens de mon boulot, la vision de mon entreprise (ouch!). Rares sont les leaders dans un grand groupe en mesure de développer pendant 5 minutes une argumentation claire et précise sur la mission et l’objectif de l’entreprise ou de l’équipe. On passe tous 1/3 de nos journées pendant une bonne partie de notre vie à travailler, autant y trouver du sens non ? J’ai remarqué que pour beaucoup, le lien social au travail agit en forme de résistance à ce manque de sens : “Oui mais au moins les collègues sont sympas.”

En startup, tout ce flou est balayé, car la raison d’être d’une startup se résume en une mission claire. Agricool transforme des containers pour cultiver des fruits et des légumes localement dans les grandes villes. La mission de Heetch est de rendre la nuit plus accessible en permettant aux jeunes de disposer de solutions de mobilités nocturnes. La mission de Payfit est de simplifier la gestion des employés. Et ainsi de suite. Chacune de ces missions se déclinent en objectifs intermédiaires et en KPIs. Peut-être que ces startups font fausse route et peut-être qu’elles n’existeront plus avant la fin de l’année, mais au moins elles ont une ambition claire qui fédère tous leurs employés.

⏳ L’allocation du temps

L’absence d’ambition claire est la porte ouverte à la distraction et à la mauvaise allocation du temps. Comme il n’y a pas de mission, le CES à Las Vegas ou le salon Viva Technology deviennent les nouveaux milestones. L’équivalent de la présence au salon en budget publicitaire un nouveau KPI.

On commence à concevoir des produits ou services non plus pour de vrais utilisateurs mais pour des shows, des “besoins grands comptes”, pour la presse, pour de l’effet “waouh”. En somme, de la poudre aux yeux.

Chez Doctrine l’allocation du temps est radicale. Leur CEO me l’expliquait de la sorte : “On se dit qu’une heure vaut 100 euros et on réfléchit comme ça […] un meeting à 5 d’une heure = 500 euros!” L’équipe est drivée par un retour sur investissement pour rester alignée et atteindre son ambition : doter les juristes d’outils numériques puissants pour révolutionner leur pratique.

Sur le sujet des meetings, Jean de La Rochebrochard explique que “tout ce qui est latent est pourri”. Faire une réunion d’une heure à 20 personnes simplement avec un sujet n’amène à rien. Il faut un objectif, une responsabilité pour chacun, une décision et de l’action pour être efficace. Je ne compte plus le nombre de meeting en entreprise classique qui ont duré des heures et se transformaient non pas en instance de décision, mais en workshop sans fin.

Bien-sûr, il y a plein d’autres sujets sur lesquels on pourrait s’attarder comme la bêtise de ne jamais rien remettre en cause ou la croyance aux méthodes miracles “inspirées des startups”, mais j’ai voulu mettre le doigt sur ce qui m’avait le plus marqué dans mes expériences personnelles. Je ne sais pas si mes managers savent qu’on est déjà 5 dans notre équipe de 30 personnes à avoir fait Lion et encore plus à y avoir postulé. L’entreprise classique, même si elle prend conscience de ces changements liés au numérique, n’est pas en mesure d’y apporter une réponse. Elle n’exécute pas comme une startup et n’accompagne pas les aspirations changeantes de ses équipes et notamment des plus jeunes. The Family tente d’y répondre en lançant Lion Executive un programme corporate à destination des grands groupes. Je leur souhaite bon courage! J’ai fait le choix pour ma part de quitter l’entreprise classique pour tenter d’aller tracer mon chemin vers ce que j’aime et ça fait vraiment du bien!

PS : Je passe mon été au Wagon, un Boot Camp full-stack dans l’ambition de rejoindre une équipe produit (PM ou autre) en startup en septembre prochain. Si des founders ou des recruteurs passent par ici, j’aime particulièrement les product consumer, les marketplaces, les effets de réseau ou les SaaS et je cherche avant tout un CEO et une équipe avec laquelle je serai aligné et qui construit un super produit 🙂

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Clément Bergantz
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French Product Designer based in Paris — I’m passionate about understanding people to build human-centered products. https://clementbergantz.com/