La grammaire du chaos
de Philippe Castelneau
Les yeux pétillants de malice, Amalbert décocha une œillade à la jeune femme assise face à lui, avant de retourner la deuxième carte…
Jeune femme sans problèmes, Camille Desjardins voit sa vie basculer lorsqu’elle rencontre le mystérieux magicien Amalbert. Un monde nouveau s’ouvre à elle, un monde aux possibilités infinies, mais le chemin qui y mène est semé d’embûches. Le bien et le mal ne sont pas toujours là où l’on croit et il lui faudra déjouer de nombreux pièges pour atteindre à l’illumination. Aidée d’Adam, qui l’aime en secret, Camille part à la recherche d’un savoir qui la dépasse, au travers de ce récit initiatique et kabbalistique qui, en révélant des secrets enfouis depuis la nuit des temps, est aussi l’histoire d’un amour impossible.
Un avant-goût
C’est à Montpellier, par un beau matin de mai, que tout commença. D’aucuns prétendent que c’est là que sont les plus belles filles du monde et, à voir la jeune femme qui venait de tourner place de la Canourgue, ils avaient raison. Camille Desjardins, en plus d’être élégante, était une personne bien de son temps. Elle aimait les livres d’Anna Gavalda et les films de Wong Kar-wai. Elle était grande, rousse, les cheveux mi-longs, les yeux verts, et poursuivait des études de droit, comme les deux camarades qui l’accompagnaient.
Ensemble, elles se rendaient au Café Trismégiste, fréquenté essentiellement par les étudiants huppés de la ville. Pour Camille, c’était une destination presque quotidienne, le point de chute où elle retrouvait ses amis, mais il y régnait aujourd’hui une agitation peu commune et, de fait, un attroupement s’était constitué dans l’arrière-salle autour d’une table où étaient assis face à face deux hommes, le plus vieux semblant tirer les cartes à l’autre.
Il était âgé d’une soixantaine d’années. Grand, les traits secs, les cheveux blancs. Ayant visiblement terminé sa consultation, il s’apprêtait à prendre congé lorsque, surpris, il entendit prononcer son nom…
« Amalbert ! »
C’était Camille qui venait de parler, étonnée de trouver ici le discret voisin de ses parents.
« Allons bon ! Mademoiselle Desjardins ! Comment allez-vous ? Quelle surprise de vous voir ! C’est une chance que vous arriviez maintenant, je m’apprêtais à partir… Vous saviez, n’est-ce pas, que je me piquais de lire les tarots ?… Mais dites-moi, vous semblez intriguée… Cela vous intéresse-t-il ? Voudriez-vous que je procède avec vous à un tirage ? »
La jeune femme hésita un instant.
« Voyons, Camille, cela ne prendra que quelques minutes, et je suis certain que le résultat vous surprendra.
— Aller, vas-y, fais-le ! » lui souffla Julie, l’une de ses amies, en la poussant du coude.
« Bon, très bien, mais faisons vite alors », concéda Camille en s’asseyant. Elle connaissait bien le vieil homme. Il habitait déjà Pomerac, ce petit village proche de Montpellier lorsqu’enfant elle y emménagea avec ses parents. Personne n’avait jamais trop su ce qu’il faisait réellement dans la vie. On le savait solitaire et on le disait médium, ce qui avait achevé de jeter la suspicion sur lui et d’en faire l’objet de tous les potins. Pour les parents de Camille cependant, peu enclins à écouter les commérages, Amalbert était avant tout un voisin discret et sympathique, toujours prêt à rendre service.
Petite, Camille se rêvait vétérinaire, et qu’Amalbert posséda quatre chats avait suffi à faire de lui un héros, qui en retour la laissait avec bienveillance torturer ces pauvres bêtes en les transportant d’un bout à l’autre du lotissement dans un landau, habillées de vêtements de poupées.
Assise à présent face à lui, elle repensait à tout cela, tout en l’observant attentivement. Fascinée, elle ne pouvait quitter des yeux ses mains occupées à battre les cartes au-dessus d’une étoffe violette. Enfin, rassemblant le jeu en un paquet, Amalbert, d’un geste sûr, les étala horizontalement face contre table, puis demanda à la jeune femme d’en choisir trois, qu’elle devait disposer ensuite devant elle, toujours face cachée, en partant de la gauche.
« Voyez-vous, mademoiselle Desjardins, chacune de ces trois cartes représente un temps de votre vie. La première que vous avez tirée et que je vais retourner représente le passé… C’est l’Impératrice… »
Désignant le jeu étalé devant lui, il poursuivit : « Le tarot que je pratique ne vous est sans doute pas familier, et il diffère quelque peu en effet du célèbre tarot de Marseille. Il s’agit du tarot de Toth, mis au point par l’occultiste anglais Aleister Crowley. Dans ce jeu, cette carte que vous avez choisie est attribuée à la lettre hébraïque Daleth, qui désigne une porte, et elle correspond à la planète Vénus. » Esquissant un sourire énigmatique, notre homme marqua un temps, puis reprit : « Le tarot, voyez-vous mademoiselle Desjardins, est en quelque sorte une forme imagée de l’Arbre de Vie kabbalistique, et sur l’Arbre de Vie, Daleth est le chemin qui conduit de Chokmah à Binah, en unissant le Père et la Mère. Crowley disait que l’on pouvait résumer cette carte en l’appelant la Porte des Cieux. Elle symbolise le passage de la virginité à la créativité, mais cette créativité se cherche, elle a besoin d’être canalisée… Qu’êtes-vous en train de créer, Camille ? »
Les yeux pétillants de malice, Amalbert décocha une œillade à la jeune femme assise face à lui, avant de retourner la deuxième carte…
« Voyons votre présent… Le Mage ! Cette carte symbolise la volonté, l’action. Pour le Mage, tout est possible. Il agit vers le cosmos, vers la vie spirituelle. Cette carte se rattache à la lettre Beth, qui signifie maison, et elle est attribuée à la planète Mercure. Elle porte aussi le chiffre un, qui contient le tout. Il est le point de départ… Vous avez, si je puis dire Camille, toutes les cartes en main pour forger votre destin, mais il vous faut à présent choisir… »
Camille ne dit rien, mais se trouvait profondément gênée, tant par le charabia utilisé par son interlocuteur, que par les choses qu’il lui révélait d’elle et qu’au fond elle savait être vraies.
« Penchons-nous maintenant sur votre futur… Le Chariot. C’est l’action par excellence ! La première carte que nous avons tirée, L’Impératrice indiquait une aspiration à la créativité, mais sans but précis. Le Chariot lui, sait très précisément où il va… Au centre de cette carte est représenté le Saint Graal. Il indique que là se trouve la vie spirituelle… »
Un brouhaha indescriptible régnait dans le café, mais il sembla à Camille qu’autour d’elle plus rien ne bougeait, comme si une bulle de silence avait enveloppé la table, la projetant hors du temps. De toute évidence, quelque chose, ici, se passait…
« Avez-vous une idée, mademoiselle Desjardins, de la voie à suivre pour atteindre cette illumination que vous semblez chercher ? Vous avez en vous, je le sens et les cartes le confirment, une force inouïe, un potentiel que vous ne soupçonnez même pas, mais vous êtes aujourd’hui perdue, à la croisée des chemins. Vous ne savez pas quel sentier suivre, mais je peux vous aider Camille. Je peux faire de vous mon élève et vous aider à réaliser votre potentiel… »
Extrêmement mal à l’aise, partagée entre l’envie de rire et l’envie de fuir, Camille ne sut quoi répondre. Voyant son trouble, Amalbert lui conseilla de prendre le temps de la réflexion, et lui remit une feuille de papier sur laquelle il lui indiqua un certain nombre de rituels à faire, puis l’invita à venir le voir chez lui d’ici quelques semaines…
Tous droits réservés. Philippe Castelneau et Numeriklivres, 2014.
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