Interview de Jean-Louis Frechin

Pouvez vous présentez les moments marquant de votre carrière ?

Jean-Louis Frechin, 50 ans.

Portrait, Jean-Louis Frechin

Je suis architecte DPLG. J’ai fait ENSCI Les Ateliers, parce que le rythme de l’architecture me semblait très long, très complexe, très législatif et très loin de l’économie, de l’industrie et du plastique.

Après l’ENSCI, j’ai découvert les Macintoshs (Apple avait offert des Macintoshs à l’ENSCI) Ça a un peu changé ma vie. J’ai donc intégré un institut de recherche et développement au Portugal qui travaillait avec des universités américaines et qui savait par ailleurs ce qu’était que le design. J’ai découvert l’ordinateur comme outil mais aussi comme finalité d’action du design. C’est à dire dessiner des interfaces, des “tool boxes”, des architectures de réseaux pour les utilisateurs puisque c’était le début des interfaces graphiques.

Je suis ensuite rentré en France et j’ai crée une agence de design global qui faisait autant des espaces, des produits et du graphisme, et ce pendant 5 ans. On était très informatisé. C’était le début des images de synthèse sur les petites machines (les macs). Nous avons commencé à faire des dispositifs interactifs pour vendre des produits à des clients notamment à l’étranger (en Chine). J’ai rencontré des gens de Montparnasse Multimédia, que j’ai intégré par la suite en tant que directeur puis chef de projet et pour finir directeur éditorial.

Au bout de sept ans et une quinzaine de CDroms, j’ai décidé d’intégrer Nodesign qui était la fusion de ce que j’avais fait à Montparnasse Multimédia et de ce que j’avais fait en design industriel.

En voyant que l’informatique avait changé nos vies, à l’instar de l’électricité par exemple, j’ai commencé à parler “numérique”, puis j’ai créé l’atelier de design numérique de l’ENSCI en me disant que ça allait être la finalité de l’action du design, que tout allait changer et que l’on avait aucune idée de comment cela pouvait impacter nos vies.

Si le Bauhaus était un peu le design des années 20 qui a donnée une esthétique à cette production en série. Il fallait créer un espace où on invente l’esthétique, les usages, les pratiques, les questionnements de ce temps du numérique. Le numérique étant la conséquence de l’informatique sur nos vies. Donc le numérique c’est plutôt un mot débile que l’on a donné à toutes ses actions des ordinateur et de la mise en réseau des ordinateurs et donc des gens sur nos vies. On lui donne le nom de numérique c’est plus simple c’est un raccourci.

Votre métier actuel ?

Je suis designer universel, plutôt “numérique”. C’est à dire le designer industriel des années 2016.

En 1925, on parlait de designer industriel, aujourd’hui on parle de designer numérique.

Vos métiers dans 5 ou 10 ans ?

Je ne sais pas, parce que je n’exerce pas le métier que j’ai appris à l’école d’architecture. Durant mes études à l’ENSCI, je ne savais pas ce que j’allais devenir. Je ne m’imaginais pas non plus directeur éditorial.

Mon métier est donc amené à changer. Cela n’est pas un problème puisque nous disons souvent que nous sommes des “spécialistes du nouveau” et que notre job consiste à être spécialiste de chose qu’on ne connait pas. On doit en permanence apprendre pour réaliser des projets ou servir nos clients. On est pas très inquiet du futur puisqu’on le construit. On se positionne en tant qu’acteur et cela depuis toujours.

De manière plus globale, quelle est la place du designer dans notre société ?

Il n’a pas vraiment de place définie.

En France, j’étais dans la mission design d’Arnaud Montbourt.

La perception du design en France est dramatique. On confond souvent les techniques de création et la création. On confond aussi une affiche et le design d’un système complexe qui peut tuer le monde hôtelier airBnB. Ce sont des designer qui l’on fait.

En France on aime bien ce qui est profond et intelligent et on pense pas que les formes peuvent avoir une intelligence en tant que telles. On ne pense pas que l’on puisse séparer le fond de la forme parce qu’au siècle des lumières, Descartes à dit “Je pense donc je suis”, mais il n’a pas dit “je suis donc je pense” . D’après cela, le corps n’existe pas et Descartes a séparer le corps et l’esprit. Ce qui est donc profond, subtile et intellectuel est très français et la forme est très futile. On est bon dans les deux. Mais les artistes qui font des robes sont des gens futiles, les écrivains sont des gens intéressants. C’est pareil pour le design.

Le design est l’outil, c’est dans les formes, or c’est une discipline qui est entre les deux. Elle manipule la technologie, la philosophie et puis l’esthétique ou l’artistique. Le designer est un “artiste bâtard” et un “penseur bâtard”.

En Italie, c’est beaucoup plus simple parce qu’il y a une grande admiration pour le design Les voies qui est le plus empruntée en Italie quand on ne sait pas quoi faire sont souvent les études d’architectures, artistiques et techniques.

En France on se dirige plus vers l’économie et le social.

En Allemagne, ils ont une expression, “le machine Bahaus”. C’est l’architecture de la machine, une harmonie. C’est don pour eux un moteur.

Y a t-il des facteurs qui pourrait faire disparaître le métier de designer ?

Non je ne pense pas parce que designer c’est un métier d’époque qui permet de combler les interstices d’autrefois. Durant la première partie du XXIème, on fabriquait pour équiper les gens, durant la deuxième partie on vendait.

Les “crétins” des entreprises parlent de création de valeur mais ils ne parle pas de la valeur que l’on créé. On ne dis pas je créé des chaises, je crée des voitures on dit je créé de la valeur. C’est quoi la création de valeur, ils parlent de quoi ? de produit ? Donc ce temps de marketing un peu vide de sens est terminé, et forcement la question du numérique, des services de l’immatériel créent des obligations de représentation de forme parce qu’il y en a plus et on se sent orphelin de choses à toucher. On a donc jamais eu autant besoin de design. On est quand même partout dans le monde, dans le rise off design, c’est à dire l’éclatement à sa juste valeur des atouts du design industriel. IL y a qu’en France qu’on ne l’a toujours pas compris puisqu’on vie toujours avec 10–15 ans de retard.

Quels sont les freins par rapport au métier de designer ?

Les Français sont un frein.

Quand on a un français en face de soit, on sais que ça va être compliqué. Quand c’est un Italien, un portugais, un allemand ou un anglais c’est un peu plus facile.

Il y a beaucoup de designers qui ne sont pas encore bien armés et qui confondent création et technique de création. Utiliser Photoshop ne fait pas de toi un designer, savoir faire une site web ne fait pas de toi un designer. Il y a donc des confusions là aussi.

Quels sont les tendances ou éléments structurants selon vous ?

Tendances, je sais pas mais directions ou éléments structurants c’est les grands enjeux de l’époque c’est à dire que le design doit être une forme de résistance à l’automatisation du monde. La technologie c’est formidable, il y en a partout et toute la technologie qu’on battit dont on dit qu’elle est formule, tend à nous exclure des dispositifs techniques, la “voiture autonome”, les “smart cities”, le “réseau partout”, “l’intelligence ambiante”, “l’internet everywhere”, “l’intelligence artificielle” qui veut remplacer tout un tas de job etc ou il y avait de l’empathie et de la relation humaine etc. Donc le design a été une force d’accompagnement du numérique, il pourrait être sa première force de résistance.

Première chose :

Portrait, Jeremy Rifkin

Les services c’est formidable, des grands savants très à la mode comme Jeremy Rifkin, ont dit oui , l’usage est plus important que la possession mais l’usage c’est souvent des prisons. On a des téléphones Android on est chez Google, ou avec le téléphone d’en face chez Apple. Soit disant l’open source est la pour nous libérer mais c’est une sorte de néo-communisme idéologique et une sorte d’enfermement.. Et donc le Design, il doit être conscient et s’apparenter à une forme de résistance. Il suffit de choisir son camps c’est la le problème. On peut avoir des convictions, on peut aimer l’open source, comme moi j’aime bien l’open source quand il n’est pas idéologique. Donc cette sorte de résistance est importante. L’usage, la possession …, je pense que à un moment, posséder des choses c’est être libre, avoir un Opinel sur une île déserte, c’est plus intéressant que d’avoir un ipad, ça permet de couper le palmier pour faire une maison, ça permet de faire un radeau. C’est la mystérieuse histoire de Robinson Crusoé, le roman de Jules Vernes. L’Ipad ou l’auto lib’ sur une île déserte, ne servent pas à grand chose. Donc posséder les bonnes choses au bon moment c’est ne dépendre de personne. C’est être LIBRE.

Auriez vous un conseil, pour les futurs designer

Oui, plusieurs :

  • Le premier est de cultiver sa curiosité au maximum, ce que vous faite là c’est une bonne chose.
  • Le deuxième est d’être généraliste. le numérique c’est important. C’est important d’être un soldat, un combattant, un ami du numérique parce qu’il y a beaucoup de designer qui se sont réfugié dans les chaises ou les choses un peu élitiste, un peu artistique, ou un peu porter sur soi plutôt que sur les autres. Mais il faut aussi avoir connaissance de tous les design pour être un vrai généraliste et pour pouvoir retranscrire du passé dans le futur ou parfois éclairer le passé avec un peu de futur. C’est important d’être généraliste ce n’est pas être technicien, c’est être un vrai créateur dans le but d’être quelqu’un de durable. Quelqu’un qui serait, par exemple, capable de s’adapter aux différentes versions des logiciels comme Photoshop, et hélas ce n’est pas toujours le cas malgré le fait que ça paraisse évident.
  • Le dernier conseil est de s’atteler à faire tous les types de projet, aussi bien les projets au service des entreprises, plus commerciaux , que les projets très artistiques, très expérimentaux. L’important est d’essayer de ne jamais s’enfermer dans un silo. Tout le travail de nos designer c’est de faire des projets qui sont parfois :
  • pour des entreprises (commerciale) avec des sujets complexes ou innovants, et on se doit d’assumer des commandes et des cahiers des charges qui nous sont imposés.
  • ou des projets très expérimentaux, très artistiques donc très libre.

Être capable de faire les deux, est une vrai liberté.

“ L’important n’est pas ce qu’on fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu’on a fait de nous”

Dans les journaux on voit un type de designers : ceux qui sont ceux qui disent oui à n’importe qu’elle commande et se plient aux lois de l’industrie. Ceux ne sont pas considérés comme designer car il ne font pas ce que j’appelle le design. Malgré le fait que parfois ils soient très pointus et très artistiques, il font du design de “merde”.

Je trouve cette confrontation un peu agaçante.

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