La France n’a pas de chef d’Etat (et heureusement)

Benjamin Dasnois
L’Oeil Ailleurs
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4 min readMay 5, 2019

Les répétitions, qu’elles soient dans un texte ou à l’oral, ne sont pas belles et l’école nous apprend, dès notre plus jeune âge, à les éviter.

Ainsi, nos journalistes, éditorialistes et même le citoyen lambda, aiment à remplacer un mot ou une expression par un ou une autre équivalent… Mais bien souvent, si les mots diffèrent, c’est que leur sens profond diffère ; ainsi abuser d’expressions qui ont un sens proche mais pas tout à fait similaire à celle qu’elles remplacent est dangereux car il nous fait rentrer de fausses idées en tête.

Parmi ces expressions abusivement utilisées il en est une qui me parait particulièrement dangereuse pour les libertés publiques et la démocratie : chef de l’Etat.

Qu’est-ce que l’Etat ?

Sans rentrer dans le questionnement philosophique, on peut considérer que deux acceptations de ce terme sont possibles : la première consiste en l’autorité s’exerçant sur un peuple et un territoire donnés, alors que la seconde consiste en l’ensemble des humains présents sur un territoire donné et obéissant à une même autorité.

Le Président n’a pas le droit de vous donner d’ordre

Il est fort heureusement très facile d’exclure que le Président de la République puisse être “chef de l’Etat” au sens du groupement humain. En effet, le Président de la République ne dispose, fort heureusement, d’aucune autorité lui permettant de vous donner des ordres.
Il ne dispose en réalité même pas d’une autorité qui lui permettrait de vous dicter des limites puisque seule la loi peut dicter ces limites et que le pouvoir législatif n’est pas entre les mains du Président de la République.

Le Président : responsable d’une petite composante de l’Etat

Dans toute démocratie correcte doit respectée la séparation des pouvoirs telle que définie, et comme cela a été démontré, par Montesquieu : ainsi le pouvoir exécutif veille à la mise en oeuvre des lois dictées par le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire les met en application.

Cette séparation permet non-seulement d’éviter la concentration des pouvoirs (et donc leur usage abusif et corrompu) mais permet aussi à un pouvoir d’en contrer un autre qui serait abusé ou ne respecterait plus le Droit (car oui, même l’Etat doit respecter le Droit, nous y reviendrons dans un autre article).

L’Etat est donc l’ensemble de ces trois pouvoirs. Le Président de la République n’est lui que le chef de l’exécutif et c’est fort heureux car sinon cela signifierait que l’ensemble des pouvoirs serait entre les mains d’une seule et même personne ce qui, avouons-le, pourrait très facilement nous ramener à la monarchie absolue (même en continuant d’invoquer comme un totem “la République” et “l’ordre républicain” à tout va).

Ainsi, si le Président était le “chef de l’Etat” il serait libre de venir vous chercher chez vous à 6 heures du matin, vous juger et vous enfermer — voire pire puisqu’il pourrait établir les lois et donc décider que l’Etat peut à nouveau assassiner des gens — de façon totalement arbitraire.

La Constitution : ce qui nous constitue en Nation et crée notre Etat

Notre texte fondateur, celui qui détermine ce qu’est notre Nation et son organisation (et donc aussi son Etat en tant qu’autorité) traite très clairement du Président de la République.

En effet, le deuxième titre de la Constitution de la Vème République Française est “Le Président de la République”. C’est donc son titre et son rôle : présider. Un président n’est pas un chef ; c’est une personne qui aide à organiser les travaux de différents groupes. Le Président de la République serait donc celui qui fait travailler ensemble les différents services de l’Etat. C’est d’ailleurs ce qui est prévu à l’article 5 : “Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État.”

Arrêtons ce grave abus

Le Président de l’exécutif n’est donc pas “chef de l’Etat”, il n’en est, tout au plus, que l’orchestrateur qui doit s’assurer que les différentes composantes de l’Etat français travaillent ensemble pour que celui-ci puisse fonctionner.

Perpétuer l’usage de cette horrible expression c’est affaiblir la démocratie en niant la séparation des pouvoirs, c’est mettre en danger les libertés individuelles en laissant insidieusement, par effet d’ancrage, s’insinuer dans l’esprit des gens qu’une seule personne peut décider de tout et a tout pouvoir. C’est aussi ne pas chercher à réfléchir sur notre société et son organisation.

S’éloigner de cette expression c’est éviter l’effet d’ancrage, permettre aux gens d’imaginer d’autres modes d’organisations de l’Etat (comme, par exemple, une République parlementaire), d’oser relativiser l’autorité du Président de la République, de ne plus le voir comme un dieu tout puissant, en somme de ramener le Président de la République à ce qu’il doit être : un homme au service du Peuple, et non un Jupiter qui dirige d’une main de fer des millions d’humains.

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Benjamin Dasnois
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