Le végétarisme: point de vue d’un omnivore

Martin Le Mire
Lorem Ipsume
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10 min readOct 11, 2015

C’en devient presque une habitude. Sur mon fil d’actualité Facebook, les articles faisant la part belle aux énergies renouvelables ou défendant ardemment les droits des réfugiés remplacent petit à petit les photos de beuverie ou autre « oh put1n comment j’l’ai trop foiré stéxam xD ». Les vannes foireuses, résumés de soirées ou « piratages » de profil disparaissent, remplacés au pied levé par des articles politiques, des opinions sur tout et surtout sur n’importe quoi (merci ≠Fauve). Parmi toutes les causes à présent défendues et visibles sur les réseaux sociaux s’en détache une en particulier : le végétarisme. Cette cause, avec le féminisme, possède actuellement les défenseurs les plus acharnés et dévoués présent sur le web. Le taux de haine engendré par cette thématique dépasse de loin les seuils conseillés par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), du côté des défenseurs certes, mais aussi des assaillants. Force est de constater que, si cette cause est très visible sur internet, elle est aussi très mal connue. On peut pointer du doigt les idées reçues qui gangrène le végétarisme. Mais est-ce la seule explication à leur mauvaise image ?

Il s’agit là d’une thématique sujette à rage. Nous allons donc tout de suite saisir nos pincettes en définissant d’abord clairement de qui, ou de quoi cet article va parler.

Comprendre, définir, discuter

Je déteste les généralisations. Ces théories résumant tellement les faits qu’on en arrive à des réflexions du genre « les arabes sont tous des voleurs », « la France est un pays de race blanche » ou « en vrai, le Pepsi, c’est pareil que le Coca ». Ce genre de pensée nuit au débat. Aussi est-il très important de définir avant de discuter.

Je dois avouer qu’à la base, définir le végétarisme n’était pas prévu. Pour moi, ça coulait de source. Erreur classique je dois dire. Reprenons. Selon toutes vraisemblances, l’homme était à l’origine végétarien, ou plutôt flexitarien, c’est-à-dire que la base de son alimentation était végétale, accompagné de ci de là de quelques insectes, charognes ou petits mammifères.

Il a ensuite dévié, par nécessité et capacité, de plus en plus sur un repas carnivore, pour enfin terminer, avec le développement de l’agriculture, sur le régime alimentaire actuel : viande, légume, céréales, production animale.

Aujourd'hui, une part de la population a décidé de modifier ce régime en supprimant une partie de ses composants. Ainsi se définie la mouvance végétarienne : les végétariens ne consomment plus de chair animale. Les végétaliens vont plus loin en bannissant de leurs assiettes tout produit provenant d’un animal (beurre, lait, miel). Enfin, les vegans appliquent les principes végétaliens à tous les aspects de leur vie (nourriture, habillage, cosmétique…). Comme la caractéristique commune à ces trois mouvances est l’absence d’une partie du régime « conventionnel », nous allons nous permettre une petite fantaisie : ici, le terme « végétarien » englobera végétariens, végétaliens et vegans. Bien entendu, plusieurs raisons peuvent pousser une personne à ne pas manger de viande, mais nous pouvons ici dégager deux principales raisons : pour raisons personnelles (question de goût, de santé ou de religion) ou dans le but de défendre une cause (lutte contre le réchauffement climatique ou souffrance animale). La première catégorie se basant sur des raisons personnelles, les végétariens concernés ne vont pas militer pour cette cause. Ce sont donc les végétariens issus de cette deuxième catégorie dont il va être question ici, et plus précisément ce issus de la protection des animaux (près de 75% des végétariens ont motivé leurs changements pour cette raison).

Un mode de vie durable

C’est l’aberration principale orbitant autour de ce mouvement. Si on prend le végétarisme en lui-même, la cause défendue est tout à fait noble. Le fait de refuser de manger de la viande peut, au sein d’une société multimillénaire et omnivore, paraître grotesque, mais elle se base sur de solides arguments.

Le premier concerne notre santé. C’est l’argument « égoïste » qui consiste à dire que la viande consommée quotidiennement impacte négativement notre santé. L’OMS (organisation mondiale de la santé) recommande même un seuil de 500 grammes par semaine au-delà duquel la consommation de viande peut devenir dangereuse à long terme : la viande rouge augmente les risques de cancer, la viande en général développe le cholestérol et donc les maladies cardiovasculaires…

Au-delà de ça, il n’y a pas que la simple consommation de viande qui est à remettre en cause, mais tout le système productif actuel. La qualité de la viande devient dangereusement basse. Quel impact sur notre santé de consommer du poulet « low-cost » vivant dans ses excréments et farci d’antibiotique ? Quel impact sur notre santé l’œuf dans lequel certains producteurs rajoutent du colorant pour accentuer la couleur jaune ? (cf : reportage France 5)

Le deuxième argument, plus altruiste, traite de l’impact environnemental et social de l’élevage. Ce n’est une surprise pour personne, l’élevage, et en particulier l’élevage industriel, impacte l’environnement de manière certaine. Non content de participer à la déforestation, l’élevage aggrave l’effet de serre (à hauteur de 14% des émissions françaises totales), pollue l’air et les nappes phréatiques, diminue la biodiversité…

Ce mode de production représente aussi un problème d’ordre social, dans la mesure où les terres qui sont occupées par les bêtes, mais aussi celles utilisées pour nourrir les animaux (en tout, 60% des terres cultivables sont dédiées à l’élevage), sont autant de terres indisponibles pour l’agriculture. On estime que la production d’une calorie animale consomme quatre fois plus de terrain qu’une calorie végétale. Dans un contexte de lutte contre la faim dans le monde, ce mode de production apparait de plus en plus obsolète. Et je ne parle pas de la quantité d’eau consommée par l’élevage…

Bref, ce n’est pas la panacée. Je pensais que ces faits étaient globalement connus de tous, mais mon travail de recherche et les heures passées sur les réseaux sociaux m’ont convaincu du contraire. Pour comprendre le manque d’impact des végétariens sur la population, il faut donc de regarder ailleurs

Un militantisme moralisateur dynamisé par une minorité extrémiste

Il m’est souvent arrivé par le passé d’être mal à l’aise face à un végétarien. Fort de mon manque de connaissance et de mes idées reçues sur le sujet, je me sentais constamment jugé, condamné, moi, le tueur d’animaux, l’horrible mangeur de chair, le fanatique du poulet rôti, le prince des œufs sur le plat.

Si comme moi il y a encore un an, vous ne vous intéressiez pas du tout à cette cause, seuls les messages de dégoût, de mépris, de culpabilisation, bref les messages à buzz pouvaient vous parvenir, car se sont encore aujourd'hui les plus visibles et les plus relayés. Il suffit de faire un tour sur des sites végétariens ou encore des groupes militant pour la défense des animaux pour s’en prendre plein la poire :

« J’aimerai moi ses calices de merdeux les mettre dans des cages puis les gaver jusqu’à ce qu’ils devienne gros au point d’exploser sales cons » (ami québécois bonjour)

« les responsables, les consommateurs de merde ! »

« Qui est le responsable? Celui qui fabrique ou celui qui achète? Tant que le con-somateur ne voudra pas payer le prix du respect et de la qualité… »

Comme il est assez facile de mettre toutes ces personnes dans un même panier (vous vous souvenez, la généralisation c’est le mal, tout ça…), nous allons encore faire une distinction capitale. A l’intérieur de tout mouvement réside un groupe extrémiste. Ça se constate en politique (gauche/extrême gauche, droite/extrême droite, centre/… ça se constate SOUVENT en politique), ou dans des mouvements défendant une cause précise (par exemple : Féminisme/Femen). Le végétarisme n’échappe pas à ce phénomène.

Cette minorité en arrive parfois à être plus visible que la majorité des végétariens. Ces messages haineux ci-dessus ne sont pas la norme. Ils représentent à eux seuls une manière de faire défaillant et une minorité qui ne fait que ridiculiser la cause qu’elle croit servir, et là est le centre du problème. L’extrémisme présent au sein du végétarisme imprime sa propre dynamique sur tout le mouvement, imposant ainsi, de manière consciente ou non, leur manière de faire et de penser. Il est clair que j’ai volontairement sélectionné ici des messages violents et caricaturaux, et, bien que minoritaires, ils sont loin d’être rares. Ce genre d’accusation insultante revient souvent sur les articles publiés par ces groupes, sans aucune tentative de modération de la part des créateurs. On y décèle ici très bien une volonté d’accusation, de trouver un coupable et de le blâmer. Le problème, c’est que le coupable ainsi visé s’avère être justement les personnes que le végétarisme militant tente de convertir : le consommateur omnivore.

Cette passivité de la part des modérateurs, qu’elle soit volontaire (au nom de la libre expression) ou non (par manque de moyens ou de temps) laisse à penser que les végétariens cautionnent cette méthode visant à généraliser, mettre tout le monde dans le même panier, puis blâmer, culpabiliser, voir insulter. Mais, depuis quand le blâme et la culpabilisation encouragent-ils les gens à adhérer à telle ou telle cause ? La croix rouge insulte-elle les passants avant de faire la quête ? Lors du tremblement de terre en Haïti, a-t-on tenu un discours incendiaire à l’encontre des gens ne l’ayant pas subit pour qu’ils donnent de leurs temps/argent ? Cette stratégie d’accusation ne fait que provoquer, selon moi, un mouvement de recul de la population vis-à-vis de cette façon de vivre.

Le second problème, tout aussi important, est le rejet du débat. Il est assez courant, sur les pages pro-végétariennes, que le débat se crée avec des non végétariens. La discussion devient très vite fermée et stérile. Cette fermeture d’esprit provient aussi bien des non végétariens (le troll est fréquent sur ces pages il est vrai) que des végétariens eux-mêmes. Il se crée ici une forte opposition entre les non végétariens ne comprenant pas la cause, et les végétariens persuadés de détenir la vérité. Or, couper cours à la discussion lorsque l’on défend une cause, c’est se priver d’un formidable outil d’enseignement et d’apprentissage. Envoyer paître les gens venu pour troller est une chose, mais renvoyer les non-végétariens, qui font d’eux-mêmes la démarche de discuter, au nom de la fermeture d’esprit de ces omnivores venu portant parlementer…. un comble, une aberration. Là encore, les créateurs de ces pages manquent une formidable occasion de converser et donc d’influencer. De plus, laisser 100% des réponses aux usagers de ces pages, sans intervenir, c’est prendre le risque à la fois que le message véhiculé ne soit pas bien interprété, mais aussi que les extrémistes cités ci-dessus répondent à leur place…

On peut constater, au fil des discutions, une fermeture progressive des végétariens militant à tout arguments que l’on leur oppose. Une lassitude s’installe chez les militants à force de faire face à des personnes mal intentionnées, ou simplement à force de se répéter sans cesse. Là encore, de deux choses l’une. Concernant les trolls, les modérateurs peuvent agir, et les militants devraient arrêter de répondre et de se lancer dans une discussion qui ne mène à rien. D’un autre côté, quand on ressent une fatigue comme celle-ci, continuer à militer peut impacter négativement la cause que l’on défend. Je ne vois personnellement pas de moyen plus efficace pour faire progresser une cause que par le débat ou le dialogue. Sachant que la moitié gauche de votre corps est paralysée par l’habitude des citoyens, leur culture et leur éducation, pourquoi s’imposer de courir un marathon sans utiliser la jambe droite…

Conclusion, les végétariens militants sont des bons samaritains nuls en com et en community management?… C’est en fait un peu plus complexe que ça. Militer pour une cause qui va à l’encontre de 10 000 ans d’évolution, d’une culture propre, d’habitudes enseignées aux enfants depuis leurs premières années d’existence, ça prend du temps, et de l’énergie. Aller à l’encontre de tout ça force le respect, et n’empêche pas quelques petites erreurs de communication. C’est cependant un processus qui va prendre des années, voire plus, à ce mettre en place. Alors pourquoi prendre le risque de rater le coche en se précipitant ?

La manière d’aborder les choses effraie les gens, toujours selon moi. Il existe aujourd'hui en France une dynamique certaine. La consommation de viande par habitant diminue depuis le milieu des années 1990. Les divers scandales et la question environnementale ont boosté cette tendance de manière certaine. La morosité économique actuelle accentue elle aussi ce phénomène. Les gens consomment moins de viande, et recherchent de plus en plus la qualité au détriment de la quantité. Les pouvoirs publics locaux semblent eux aussi s’intéresser à cette thématique, en proposant dans certaines écoles des alternatives végétariennes. Cette dynamique peut certes être considérée par certains comme étant lente, mais elle existe. Chaque génération est plus alerte que la précédente sur le végétarisme. Encourager cette évolution parait plus constructif à mes yeux que blâmer la lenteur de celle-ci.

N.B : pour rédiger cet article, je suis parti de mon avis personnel sur les végétariens, que j’ai construis et modifié au fur et à mesure de mes lectures et de mes pérégrinations sur les réseaux sociaux.

J’ai choisi de traiter cet article sous un certain angle, mais il en existe des dizaines d’autres, et beaucoup de choses ne sont ici pas traitées. J’aurais pu m’attarder sur la mauvaise foi évidente de certaines personnes envers cette cause, le manque de visibilité via les médias traditionnels, ou insister sur l’agriculture industrielle…etc. Je me suis beaucoup appuyé sur les pages Facebook, mais d’autres moyens de communication existent j’en suis conscient.

J’ai aussi fait le choix de ne pas traiter ici de la souffrance animale. C’est selon moi le critère qui détourne le plus le débat. Contrairement à des arguments comme la protection de l’environnement ou la santé, celui-ci se base entièrement sur la morale, les sentiments. Aucun débat basé sur les sentiments n’est constructif en définitive. J’ai mon propre avis sur la question, chacun a le sien. Il y peu de chance que ça puisse évoluer rapidement, autant jouer sur les autres arguments.

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Martin Le Mire
Lorem Ipsume

Intéressé par le développement durable, les politiques publiques, la territoriale, l’humain