Mission Biosphère — Semaine 9

Le 20 février 2018, Nomade des Mers a lancé la phase 2 de son exploration low-tech : La Mission Biosphère, ou 4 mois en autonomie grâce aux low-tech. Chaque semaine, Corentin nous partage son journal de bord.

Gold of Bengal
Low-tech Lab Stories
12 min readJun 15, 2018

--

JOUR 53

Nouvel essai de chips. Pas très concluant. La surface se recouvre d’une sorte de gel très collant. Quand je pose mon doigt dessus et le retire ça étire de longs filaments gluants. Pourtant ça ne sent pas mauvais. Je ne sais pas ce que c’est. Il faut sans doute que je les cuise davantage avant de les sécher.

Test de chips … — Avril 2018 — © Gold of Bengal

D’une patate à l’autre le goût est très différent. Il peut être très bon comme fade. Leur cuisson aussi influence beaucoup le goût. Les patates violettes à peau épaisse sont délicieuses au four solaire. Bref, la pratique quotidienne de la patate douce m’ouvre à un univers plus complexe que je ne le pensais.

JOUR 54

L’invasion des chenilles de la menthe n’a pas tenu longtemps. Elles étaient faciles à repérer et écraser. Peu de dégâts, la menthe se développe de plus belle. J’imagine la lutte permanente que doivent subir les paysans contre les envahisseurs de ce type. Je lis qu’entre 10 et 16% des cultures dans le monde sont perdues à cause d’espèces ravageuses. Je me sens moins seul.

J’ai revu la liste de toutes les low-tech que j’aimerais tester. Il en reste beaucoup. La culture hydroponique me demande beaucoup plus de temps que prévu, mais cela vaut le coup. La mission Biosphère me permet de voir quelles low-tech sont ou ne sont pas vraiment abouties et diffusables à des novices. La spiruline ou l’élevage de grillons sont par exemple des techniques très abouties. Leurs experts ont réussi à simplifier les procédés, mettre le curseur au bon endroit entre rendement et facilité de mise en œuvre. La culture hydroponique est prometteuse mais encore très loin de ce niveau.

J’ai classé les low-tech par priorité. Tout est encore faisable, mais il va falloir que je les enchaine à un bon rythme.

Il faut que je m’attaque sans tarder à la fabrication de savon car cela prend plusieurs semaines, le clonage de champignons, et que je persévère sur l’hydroponie. C’est le programme de la semaine.

Je pense que les poules et Canard s’embêtent un peu.

Je réfléchis à un plan pour libérer Canard. Elle a besoin d’espace et de plonger plus profond que ce que lui permet sa piscine. Je pourrais lui faire un nid sur ma plateforme, et une rampe de mise à l’eau. Il y a un grand risque qu’elle fugue. C’est déjà arrivé sur Nomade des Mers. Elle est curieuse et s’éloigne vite. Il faut donc que je lui aménage un cocon suffisamment attrayant pour qu’elle revienne y dormir, manger et boire.

Les poules, elles, ont besoin de plus de distractions. À coté de leur bac à sable, j’ai installé une bassine pour le compost, pour qu’elles puissent gratter et chercher. Je vais y mettre tous les déchets organiques issus de mon alimentation. Jusqu’ici, je les jetais sur une planche, mais ils finissaient rapidement dans l’eau.

JOUR 55

J’ai refait tout le système de gestion de l’électricité. Ces derniers jours 2 panneaux solaires étaient reliés directement au bulleur de la spiruline, 3 au bulleur des biofiltres et 1 à la pompe du système hydroponique. J’utilisais donc 6 panneaux solaires. Le bulleur de la spiruline et la pompe de l’hydroponie étaient sous alimentés.

J’ai branché la minuterie Arduino comme suit :

· Relai 1 : 2 minutes bulleur spiruline / 3 minutes bulleur biofiltres. Alimentation par 3 panneaux solaires.

· Relai 2 : 4 minutes pompe d’hydroponie / 1 minute recharge batterie Arduino. Alimentation par 2 panneaux solaires.

J’économise donc un panneau solaire et chaque appareil est alimenté convenablement. Je pense que le fait que les appareils ne fonctionnent pas en continu ne diminue pas significativement la production de spiruline, plantes et biofiltres.

J’ai branché un interrupteur pour couper la minuterie la nuit. Un autre pour couper l’alimentation des bulleurs (je dois les éteindre quand je filme — à cause du bruit).

Tout ce système de minuterie est placé dans une boite hermétique pour le protéger des intempéries.

Le fait que la batterie de la minuterie s’auto-recharge est une belle avancée, car cela m’évite d’avoir à recharger une power bank tous les 2 ou 3 jours.

Evolutions possibles :

· J’envisage de brancher une seconde batterie Li-Ion qui se rechargera la journée (en même temps que la batterie de la minuterie) et me permettra de recharger mon téléphone et allumer une ampoule LED.

· Quand les systèmes de biofiltres, spiruline et hydroponie seront bien rodés, j’aimerais n’utiliser que 3 panneaux solaires au total (en utilisant 1 seul bulleur commun à la spiruline et biofiltres).

JOUR 56

Démarrage de la construction d’un système d’hydroponie avec substrat de billes d’argile. Il mesure 3.5m de long par 0.7m de large. Le squelette est formé de 4 bambous fixés en parallèle grâce à des tasseaux de bois. Il est recouvert d’une bâche agricole (largeur 1m) de manière à former 3 gouttières d’une profondeur de 10cm environ. Ces gouttières sont remplies de billes d’argile. La pompe d’essuie glace propulsera la solution nutritive du côté haut de ces gouttières (inclinaison d’environ 10 degrés) afin qu’elle s’écoule à travers les billes d’argile jusqu’à retourner dans le bac de stockage.

Il fait très chaud en pleine journée. De petits boutons de sueur sont apparus dans des plis de ma peau et sur les cuisses. Il faut que je me prépare un brumisateur comme pour les champignons ou que j’installe un ventilateur.

En fin de journée, je suis allé lire sous la falaise qui surplombe le cap Nord Est de l’île. Un gros reptile type type varan m’observait depuis sa grotte. Il mesure plus d’un mètre de long. Se déplace très lentement.

Ces singes ont peur de l’homme. Ils poussent toujours le même cri quand ils me voient.

Je sais donc dire “attention voilà un homme” en macaque.

Coucher du soleil du la Biopshère low-tech — Avril 2018 — © Gold of Bengal

Depuis la plateforme, je commence à repérer des détails lointains. Je vois tous les jours des singes, alors que je les voyais très rarement les premières semaines car leur couleur se confond avec les rochers. Mon cerveau a suffisamment fidèlement imprimé le décor de la baie pour y déceler le moindre changement.

Ces singes ont peur de l’homme. Ils poussent toujours le même cri quand ils me voient. Je sais donc dire “attention voilà un homme” en macaque.

JOUR 57

Suite de la construction du système d’hydroponie XXL et de la réorganisation de la serre. J’ai démonté les Box 3 et 4, donné les plantes à moitié mortes qui y poussaient aux poules. J’ai aussi transféré les grillons de la Box 4 avec leurs cousins de la Box1. J’ai suspendu le système d’hydroponie à hauteur bar, question d’ergonomie. Enfin j’ai réorganisé l’espace de stockage du matériel en bout de plateforme.

Je me rends compte que la recherche de synergies entre les low-tech de la Biosphère ne consiste pas seulement à chercher l’optimisation des échanges intrants/extrants entre chaque système (exemple : l’oxygène produit par la spiruline booste les bactéries du biofiltre). Il y a aussi des synergies à trouver en terme d’organisation de l’espace (exemple : grillons, champignons et biofiltres sous la table d’hydroponie) qui densifient la production et diminuent les investissements au m2 (serre plus petite) et améliorent le rendement global. Il y a aussi les synergies en terme d’économies d’énergie et donc d’investissement par le couplage des systèmes via la minuterie arduino.

J’ai récolté le premier bac de jeunes pousses de moutarde. Elles ne paraissaient plus grandir. C’est piquant. Ce goût très prononcé sort de l’ordinaire par rapport à ma routine gustative, délicieux. Et c’est très beau.

Du coup j’ai semé 3 bacs supplémentaires. Je vais faire une rotation de 10 bacs. Chaque bac produit environ 20 grammes de jeunes pousses et demande 3,5 grammes de graines.

Plantation de moutarde — Avril 2018 — © Gold of Bengal

JOUR 58

Finalisation et mise en service du système d’hydroponie. J’ai repiqué 22 plans d’amarantes feuilles rouges (issus des tests d’hydroponie), 3 plans d’ail (issus de la Box3), des boutures de menthe, et 4 Morning Glory (dont une issue de la Box4). Ces plantations occupent 2 gouttières sur les 3. La pompe alimente ces 2 gouttières.

Les amarantes — Avril 2018– © Gold of Bengal

J’ai installé un ombrage dense pour couper le vent les jours ventés. Je remplis le bac de 20 litres de solution nutritive à Ec=0,9. Je rajouterai de l’eau tous les jours si besoin pour compenser l’évaporation et rester à Ec constante. Je renouvellerai entièrement la solution tous les 3 jours. J’arroserai le rang de patates/arachides avec l’ancienne solution nutritive.

J’ai semé une barquette de choux chinois hier et une de TsoiSim aujourd’hui en vue d’alimenter le futur système d’hydoponie.

J’ai rincé la fibre de coco utilisée pour ces semis, afin d’éliminer son sel. C’est la cause la plus probable de la mauvaise santé des pousses de choux chinois semés le jour 39 (toujours 4 feuilles au maximum).

J’ai préparé le déménagement de Canard. L’abri coupole en bambou est fixé sur la plateforme du camp. À l’intérieur, un bac rempli de fibre de noix de coco. À coté, une bouteille abreuvoir et une bouteille mangeoire. J’ai fabriqué une porte qui ferme mon camp pour qu’il ne puisse pas y rentrer. Finalement, en libérant Canard c’est moi que je dois enfermer.

J’ai fixé un nouvel abri et un nouveau perchoir dans le poulailler.

Les conditions animales s’améliorent.

J’ai peur que Canard fugue à la première occasion. Je le déménagerai demain.

JOUR 59

J’ai confectionné un savon à l’aloe vera. Mon vieux savon s’était dissout, oublié dehors pendant un orage.

J’ai posé un bocal de 300ml d’huile de coco en plein soleil. Dans un autre bocal, j’ai versé 49g de soude en cristaux dans 121ml d’eau. Cela produit une réaction fortement exothermique. Une fois le mélange refroidi à environ 60 degrés, je l’ai versé dans le bocal d’huile chauffée par le soleil. J’ai ensuite mélangé le tout au batteur. J’avais préparé un batteur fait d’une chiniole à manivelle, avec des baguettes de bambous coincées dans les mors. Après 20 minutes de batteur, la solution a épaissi comme une mayonnaise. J’ai alors fendu 2 feuilles d’aloe vera et versé la sève dans la mixture. Mélangé à nouveau, puis versé le savon dans une demi coque de noix de coco tapissée d’un tissu de coton. Le savon a durci en quelques heures, mais il faut attendre 4 ou 5 semaines avant que la réaction de saponification soit entièrement complète.

La pompe d’hydroponie était en marche trop souvent. Elle chauffait. C’est une pompe d’essuie glace, elle n’est pas faite pour cet usage. De plus, les plantes qui poussent le mieux sont celles de la table à marée, qui ne reçoit de l’eau que 4 fois par jour. J’ai donc décidé de reprogrammer la minuterie Arduino. Le nouveau timing fait un cycle de 2 minutes de pompe puis 3 minutes de recharge de batteries. J’ai ajouté une seconde batterie Li-ion en parallèle de la batterie de la minuterie, afin de pouvoir recharger mon téléphone. Jusqu’ici je rechargeais mon téléphone avec le système non low-tech (batterie de voiture, régulateur, 3 panneaux solaires).

Canard est maintenant libre. En fin de journée, je l’ai sortie du poulailler. Je lui ai montré son abreuvoir, sa mangeoire et lui ai donné quelques grillons. Elle s’est tenue tranquille, mais 2 minutes après avoir tourné le dos, j’ai entendu le battement de ses ailes suivi d’un “plouf”. Le temps de sortir du camp elle était déjà en train de courir sur l’eau. J’ai donc rapidement construit sa rampe de mise à l’eau et suis allé en nageant la convaincre de rentrer. Cela n’a pas été trop difficile. Elle a même réussi à utiliser la rampe.

Cet épisode m’a mis en confiance. Elle a maintenant toute la baie pour elle. Autre avantage : je vais pouvoir mesurer plus précisément ce que consomment les poules maintenant que Canard mange et boit à part. Etant donné que je ne compte pas sur Canard pour pondre, je la considère hors de la comptabilité de la Biosphère et ne compterai pas ce qu’elle consomme. Canard est sortie de la matrice.

Suite à la chute de productivité des champignons, j’ai décidé de les cloner. J’ai déchiré du carton en petits morceaux et l’ai mis dans un bocal avec de l’eau. J’ai inséré ce bocal dans le four solaire afin que la chaleur le stérilise. Demain je pourrai passer à l’étape de clonage.

CONSOMMATION D’EAU

Voici la consommation quotidienne moyenne d’eau pour les semaines 3 à 9 (hors augmentation du volume de culture de spiruline) :

  • Semaine 3 : 25,7 litres/jour
  • Semaine 4 30,2 litres/jour
  • Semaine 5 30,4 litres/jour
  • Semaine 6 17,42 litres/jour
  • Semaine 7 14,8 litres/jour
  • Semaine 8 17,2 litres/jour
  • Semaine 9 16,2 litres/jour

On peut constater que le besoin en eau a fortement diminué. Cela est du à l’arrêt des bacs d’hydroponie. Les nouveaux systèmes à base de billes d’argile sont beaucoup plus économes en eau.

Bilan de mi-parcours

La mission Biosphère est à mi-parcours.
Les objectifs d’origine sont les suivants :

1. Tester 30 low-tech : J’ai démarré (fini pour certaines) les tests de 18 low-tech. 11 autres low-tech sont à tester mais non urgentes. Enfin 10 low-tech seront à tester en option, si le temps me le permet. Je suis satisfait de ces chiffres car j’ai commencé par les low-tech qui demandent le plus de temps et d’expériences, avec des cycles longs, comme la culture hydroponique de patates, légumes feuilles ou champignons. Je pense que les 60 jours restants me permettront d’atteindre l’objectif.

2. Étudier les synergies possibles entre des low-tech : Je n’ai pas encore beaucoup d’éléments sur des synergies en terme d’échanges d’intrants/extrants intra-biosphère. J’attends pour cela d’avoir atteint plus de stabilité dans l’écosystème vivant. J’ai trouvé des synergies intéressantes sur le plan de l’organisation de l’espace (agencement pour combiner des low-tech) et la gestion de l’énergie.

3. Communication : Sur le plan de la communication technique, j’ai rempli la matrice et le journal technique quotidiennement. Ces données sont illustrées par de nombreuses photos et vidéos. Ce seront de bonnes bases de diffusion de données techniques. Sur le plan de la communication grand public j’ai filmé pour le film long à destination des festivals, pour l’épisode de 26 minutes pour Arte, et le contenu de 5 épisodes courts pour le web. Le journal que j’écris chaque semaine a été diffusé sur internet. Je dois poursuivre sur la même lancée.

RDV dans quelques jours pour découvrir la Mission Biosphère — Semaine 10.

À PROPOS

Mission Biosphère, 4 mois en autonomie grâce aux low-tech.

Seul sur une plateforme au large de la Thaïlande, Corentin aura pour mission de combiner les low-technologies les plus prometteuses afin de constituer une base-vie autonome lui permettant de répondre à ses besoins vitaux.

Pour tout savoir de la Mission Biosphère, rendez-vous sur Nomade des Mers — Phase 2 : Mission Biosphère

Nomade des Mers, 4 ans autour du monde, à la découverte des low-technologies

Le 23 février 2016, le Nomade des Mers prenait la mer pour une grande expédition de découverte, d’expérimentation et de promotion des low-technologies. Son objectif ? Parcourir les océans à la recherche des meilleures solutions et des inventeurs les plus ingénieux. Plateforme d’expérimentation des low-tech, le Nomade des Mers permet également d’en faire la promotion et d’en assurer la diffusion. Au fil de ses expéditions, le Nomade des Mers a vocation à devenir un écosystème autonome exemplaire, porte-drapeau de l’innovation durable et solidaire.

Suivre

#nomadedesmers #missionbiosphereLT
Sur Facebook Twitter En photo

En savoir plus sur le Low-tech Lab et de Gold of Bengal
lowtechlab.org goldofbengal.com

En savoir plus

Pour toute information, contactez Amandine Garnier / Responsable du Développement / Low-tech Lab

Corentin sera indisponible et injoignable jusqu’au mois de juin.

--

--

Gold of Bengal
Low-tech Lab Stories

L’aventure au service de l’innovation I Low-tech Lab I Jute Lab I Nomade des Mers I Agami