Retour sur 3 ans de développement hardware : changement de stratégie
Clap de fin pour les capteurs Luko !
Enfin, pas tout à fait.
Nous avions commencé à développer des capteurs intelligents pour protéger les maisons : où en sommes-nous maintenant ? Avons-nous atteint notre objectif ? Est-il toujours d’actualité ? Après 3 ans de développement, il est temps de faire le point et de penser aux prochaines étapes.
Retour aux sources
L’histoire de Luko a commencé avec une idée simple. Construire une intelligence artificielle qui protégerait les maisons en prévenant les accidents et en réduisant la consommation d’énergie. De toute évidence, la majeure partie des gens sont rassurés d’être couverts par leur assurance, mais au fond, si on pouvait éviter les pépins d’emblée, cela arrangerait tout le monde. Nous avons donc décidé de protéger les habitations en exploitant les données des logements. Le problème : les données sur les habitations étaient encore assez rares et difficiles d’accès. Nous devions trouver un moyen d’obtenir ces données intéressantes, et nous avons réussi à proposer assez rapidement un MVP à nos premiers utilisateurs qui ont vraiment co-développé les dispositifs avec nous.
Le début de l’histoire : 3 dispositifs pour prévenir les dommages
Il y a quelques années, Benoît a oublié d’éteindre sa plaque électrique avant de quitter son domicile. A son retour, il y avait de la fumée partout et un incendie était sur le point de se déclarer. Heureusement, rien de grave n’est arrivé ce jour-là, mais Benoit était convaincu qu’en analysant les données de sa maison, comme sa consommation d’électricité, il aurait été possible de le prévenir et d’éviter tout autre dommage.
C’est là que Benoit et moi avons ont décidé de nous associer, avec une conviction commune : les maisons devraient vous avertir avant qu’un dommage ne survienne. Un four défectueux peut court-circuiter l’installation électrique avant de déclencher un incendie. Un tuyau qui fuit peut entraîner une facture d’eau salée avant d’inonder votre sol (et le toit de votre voisin par la même occasion). Bien sûr, certains dommages resteront imprévisibles, mais une grande partie d’entre eux pourraient être évités.
Nous avons donc décidé d’exploiter les données produites par les foyers afin de prendre des mesures proactives. Comme les données n’étaient pas facilement accessibles via une API, nous avons dû construire des “dispositifs physiques” pour accéder à ces données. Après avoir effectué des recherches auprès des utilisateurs, nous avons identifié 3 besoins clients auxquels nous pouvions répondre avec nos appareils :
- Luko Elec, pour suivre sa consommation d’électricité
- Luko Door, pour analyser les vibrations et l’activité de votre porte. Pour vous avertir si vous avez oublié de verrouiller votre porte en quittant votre domicile, et également envoyer une alerte si quelqu’un essayait de forcer la serrure.
- Luko Water, pour accéder à votre consommation d’eau en temps réel… afin d’éviter les fuites et la surconsommation.
En tant que jeunes fondateurs ambitieux, cela nous semblait assez réalisable dans un délai raisonnable. Tout le monde dans l’industrie tech nous disait “le hardware, c’est difficile”, et nous pensions que construire une compagnie d’assurance était tout aussi difficile.
Premier MVP et premiers succès
De fait, les premiers MVP sont sortis assez rapidement. Début 2020, nous avons ouvert la liste d’attente pour que nos utilisateurs puissent commander nos capteurs. Pendant ce temps, une phase de bêta-test était en cours avec les “early-adopters” pour :
- Tester la configuration en situation réelle et corriger les bugs des utilisateurs.
- Améliorer l’algorithme des capteurs en demandant aux utilisateurs de “labelliser” les événements détectés par le Luko Door.
- Recueillir des données sur la consommation électrique pour permettre à Luko Elec d’identifier les appareils dangereux laissés allumés.
Parmi nos premiers utilisateurs, le taux d’installation était assez élevé, ce qui nous a permis de lancer de nouvelles versions auprès d’une grande partie de notre communauté. Et surtout, cette phase de bêta-test nous a permis de recueillir de précieux retours de la part de nos utilisateurs. Nous avons procédé à de nombreux tests pour confirmer l’intérêt des utilisateurs et la pertinence de nos capteurs.
L’engagement des early adopters dans la phase de beta-test
En effet, le projet “Protect” n’existerait pas sans nos utilisateurs. La co-construction fait partie de l’ADN de Luko depuis le début.
Lorsque nous avons lancé l’assurance de Luko, nous avons décidé d’ouvrir la souscription uniquement via une liste d’attente. Le produit d’assurance n’était pas complètement construit mais les gens l’attendaient déjà. Pendant plusieurs semaines, nous avons appelé chaque membre de la liste d’attente pour mieux comprendre ce qu’il attendait de son assurance habitation, afin de concevoir le produit le mieux adapté à ses besoins.
Nous avons adopté la même approche lors du développement des capteurs Luko. Parallèlement à la phase de bêta-test, nous avons lancé un groupe Facebook appelé “Lukommunauté” pour nos bêta-testeurs. Ils pouvaient nous faire leurs retours sur les capteurs sur cette page, qui est devenue une sorte de centre d’entraide entre les utilisateurs qui interagissaient les uns avec les autres.
Grâce à l’implication de nos utilisateurs, nous avons pu faire évoluer les versions, corriger de nombreux bugs, implémenter de nouvelles fonctionnalités et adapter nos appareils à leur utilisation et à leurs besoins. Cela a permis à nos capteurs de mieux trouver leur public et de répondre aux attentes de nos utilisateurs. Sur la base de ces premiers dispositifs, nous avons également pris en compte leurs souhaits pour d’autres capteurs et fonctionnalités, en partageant avec les utilisateurs notre roadmap collaborative.
Le hardware, c’est du sérieux
Malgré quelques succès initiaux qui nous ont encouragés à aller plus loin, nous avons dû faire face à des difficultés que nous avions sous-estimées. Le processus d’itération a pris beaucoup de temps, et nous avons eu du mal à atteindre un bon taux d’installation au-delà de nos bêta-testeurs. Nous avons réalisé que nous aurions besoin de beaucoup plus de ressources que nous ne le pensions et qu’à ce moment-là, d’autres capteurs pas si intelligents l’étaient devenus. Au final, nous avons réalisé que le développement de nos propres capteurs n’était pas toujours la meilleure solution pour répondre aux besoins de nos clients.
Le hardware est chronophage
Il faut savoir que nos capteurs sont en cours de développement depuis un certain temps. Avant même que nous lancions notre d’assurance habitation en 2018, puisque nous avons initialement créé Luko pour développer nos capteurs destinés à protéger les habitations. Comme je disais, un premier MVP est sorti rapidement. Nous avons tout de même dû passer par différentes versions avant de passer à la phase de bêta-test.
C’est là que le hardware devient un frein pour les start-ups. Lorsque vous êtes à ce stade précoce comme nous l’étions, vous devez agir rapidement et être flexible. Mais c’est difficilement conciliable avec le développement hardware. Vous voulez concevoir une version améliorée de votre appareil ? Très bien. Mais vous devrez quand même tenir compte des semaines nécessaires pour que vos fournisseurs vous remettent l’appareil en main. Cela ralentit vraiment le processus, et il n’y a pas grand-chose que vous puissiez y faire, aussi frustrant que cela puisse être.
Vous avez besoin de (beaucoup de) données
Il est évident que le développement de “smart sensors” implique que vous aurez besoin de beaucoup de données pour que votre appareil devienne réellement intelligent. C’est là tout l’enjeu des algorithmes d’apprentissage, et nos capteurs Luko n’ont pas fait exception à la règle.
Le besoin de données va de pair avec la nécessité d’avoir suffisamment d’appareils installés pour recueillir les données dont vous avez besoin.
Cela nous amène à notre deuxième difficulté : nous avons eu du mal à atteindre un taux d’installation satisfaisant après notre phase de bêta-test. Ce qui est assez compréhensible d’une certaine manière, puisque cela nécessite des actions et des retours de la part d’utilisateurs qui n’étaient pas aussi impliqués que les bêta-testeurs au départ. Nous ne voulions pas faire payer les capteurs à nos assurés, car nous les avons conçus comme une partie intégrante de notre offre de protection des foyers, mais nous n’avons pas réussi à les inciter réellement à se mettre dans le rôle des bêta-testeurs et à installer et utiliser activement les dispositifs.
C’est un sprint et vous aurez besoin de plus de ressources pour rester dans la course
La troisième difficulté que nous avons rencontrée se situe au niveau des ressources humaines dédiées au projet. Nous avons commencé avec Benoit comme CTO et moi-même comme CEO. Nous avons rapidement réuni une équipe pour développer les capteurs (qui s’est agrandie au fil du développement).
Au fur et à mesure que nos capteurs évoluaient et devenaient plus intelligents, ils nécessitaient également des talents plus spécifiques pour tirer le meilleur parti de notre phase de développement, ce qui nous a amenés à recruter de plus en plus d’experts dans leurs domaines et de chefs de projet pour coordonner nos efforts.
Avec le recul, nous réalisons qu’il nous a fallu environ 3 ans pour constituer cette équipe de choc. Que s’est-il passé pendant ce temps ? Eh bien, pour ne citer que lui, le compteur Linky est devenu intelligent… au point de nous amener à reconsidérer la pertinence de notre Luko Elec.
Et si en fait, concevoir nos propres capteurs n’était pas la meilleure option pour répondre aux besoins de nos clients ?
Les leçons que nous en avons tirées
Est-ce que cela devait se passer comme ça ? Je ne suis pas médium, mais il est certain que le hardware est compliqué à gérer pour une start-up. De plus, inclure gratuitement un produit de grande valeur dans votre offre peut créer un décalage entre l’effort que vous avez fourni et la valeur que vos clients lui accordent. Finalement, nous avons décidé d’arrêter de diviser nos ressources entre 3 dispositifs et de concentrer notre équipe sur le capteur pour lequel la R&D était plus avancée et qui vise à prévenir les dommages domestiques les plus fréquents en France, à savoir Luko Water.
Prendre conscience de ce que représente le hardware pour une startup
Nous ne saurions que trop insister sur le fait que le hardware est difficile (sans blague). Et il y a beaucoup de facteurs à cela :
- Nous l’avons déjà mentionné : le hardware est chronophage. Pas seulement lorsque vous êtes en train de concevoir votre produit et que vous attendez des échantillons. C’est encore plus long lorsque vous en êtes enfin à l’étape de la “production de masse”, car vous devrez attendre que les palettes de votre produit arrivent chez vous. Vous pouvez accélérer le processus en choisissant un fournisseur plus proche de vous (c’est-à-dire en France plutôt qu’en Asie)… si vous pouvez vous le permettre financièrement.
- Lorsque vos produits arriveront enfin, ils passeront par des entrepôts, ce qui représente une autre charge à gérer.
- Maintenant, la meilleure partie commence : vous devrez suivre vos stocks, ce qui appelle une solution de gestion des ressources (car votre feuille excel montrera ses limites à un moment ou à un autre).
- Dernier point, et non des moindres : à l’exception de certains produits spécifiques, vous devez préparer un processus pour permettre aux utilisateurs de retourner vos produits. (Dans l’idéal le pack complet, et en bon état, mais ça c’est une autre histoire).
D’une certaine manière, tout cela prend du temps ET des ressources. On pourrait même affirmer que le hardware est à l’opposé absolu de la recherche de “scalabilité” propre à chaque start-up. Pourquoi ? Parce qu’au début, vous n’aurez pas les moyens d’automatiser ou d’externaliser tout le processus, et vous finirez donc par gérer les tâches liées à l’inventaire par vous-même avec votre équipe. On ne peut pas dire que ce soit un gaspillage de ressources, mais cela peut être assez frustrant.
Bien sûr, soyez prêt à faire face à quelques mésaventures… comme votre prestataire logistique qui envoie deux palettes de vos produits à une autre entreprise. On en rit aujourd’hui, mais croyez-moi, à l’époque nous en riions beaucoup moins.
Trouver le bon équilibre entre vos idéaux et la réalité
Notre mission chez Luko est de rendre les maisons plus sûres, ce qui signifie que notre offre intègre tous les services allant dans ce sens. Cela signifie que nos assurés peuvent avoir accès gratuitement à un rendez-vous en visio-conférence avec nos experts pour les aider à prendre soin de leur maison. Cela signifie également que nous voulons fournir nos capteurs à nos clients qui souhaitent les installer, gratuitement, car cela fait partie intégrante de l’expérience que nous voulons offrir aux assurés Luko.
Néanmoins, offrir quelque chose gratuitement réduit fortement la valeur de cette chose aux yeux de votre client. C’est ce qui s’est passé avec certains de nos utilisateurs qui ont commandé le kit Luko. Cela a eu deux conséquences pour nous :
- Cela nous a empêché d’améliorer l’appareil faute qu’il soit fonctionnel ;
- Et cela a surtout empêché quelqu’un d’autre de la liste d’attente de recevoir un kit et de l’utiliser réellement.
A vous de résoudre ce problème, soit en fixant un prix reflétant la R&D investie dans ces capteurs (les gens ne laisseraient généralement pas dans un placard un ensemble d’appareils qu’ils ont acheté pour de l’argent bien réel), soit en mettant en place des incitations fortes pour que les gens les installent réellement (ce qui est la solution que nous allons favoriser par la suite).
Gardez votre objectif en tête
En fin de compte, l’un des pièges classiques de la vie de start-up est de se disperser en voulant faire trop de choses en même temps. Après avoir effectué nos tests et répondu aux besoins de nos clients (tout en comprenant que le développement hardware n’était peut-être pas le moyen le plus efficace d’accomplir notre mission de protection des foyers), nous avons pris 3 décisions.
- Concernant Luko Elec : les compteurs Linky et Gazpar nous permettant désormais de nous connecter directement à leur API pour récupérer les données pour les utilisateurs, nous avons décidé d’arrêter de les développer et de permettre plutôt à nos utilisateurs de suivre directement leur consommation d’énergie dans leur application Luko. C’est ce que nous faisons depuis juin 2021.
- Concernant Luko Door: nous avons compris que d’autres étaient mieux placés que nous pour développer les meilleurs capteurs pour protéger les maisons des cambriolages et des intrusions. Ce n’est pas grave, tant que nous en tirons parti au bénéfice de nos utilisateurs. Nous avons donc décidé de mettre en pause le développement de Luko Door et d’effectuer des tests avec des capteurs tiers.
- Concernant Luko Water: Les dégâts des eaux sont les sinistres les plus fréquents en France. Il nous a semblé plus pertinent de s’attaquer à ce problème avant de revenir aux autres sinistres tels que les incendies et les cambriolages. Nous avons donc redoublé d’effort sur ce capteur.
Avec ce changement de stratégie, nous comptons prévenir environ 25% des dégâts des eaux en France (qui représentent 60% des sinistres en France). C’est un élément clé de notre proposition de valeur car cela nous permettra de mieux protéger les maisons et d’apporter la tranquillité d’esprit à des milliers de foyers en Europe.
Nous allons bientôt ouvrir la phase de test bêta pour ce capteur et nous visons un taux d’installation de 80% parmi nos assurés avec 98% de réussite. Et comme toujours, nous co-construisons le capteur avec nos clients pour nous assurer qu’il répond au mieux à leurs besoins.
Avec cela, nous construisons tranquillement le futur de la protection de la maison. À nos yeux, cela doit passer par un écosystème complet comprenant :
- Du hardware : le Luko Water est notre proposition clé ici.
- Des services de prévention : notre service de visio permet déjà à nos assurés de parler gratuitement à nos experts et de prendre soin de leur logement ; nous mettons également notre réseau d’artisans à leur disposition pour tous les travaux à effectuer chez eux.
- Des partenaires : avec une proposition unique et à forte valeur ajoutée qui en font le meilleur allié pour accompagner nos assurés.
La combinaison de ces éléments constitue ce que nous appelons l’écosystème des “home services”. Et c’est ce vers quoi tend Luko dans l’optique de protéger les foyers européens.
