Montréal vu d’Italie

CRIEM CIRM
L’Urbanologue | The Urbanologist
4 min readJun 18, 2020

Écrit par Anna Giaufret

Toute communauté a besoin de se regarder elle-même, de s’analyser et de se comprendre, mais parfois un regard venant de l’extérieur peut être très éclairant.

Mon intérêt pour le Québec a commencé avec une boite de livres envoyée à l’Université de Gênes par la Délégation du Québec à Rome et s’est poursuivi au fil des bourses de recherche pour se focaliser sur Montréal. Du point de vue linguistique, ce qui me passionne, c’est la vitalité du français au Québec et encore plus à Montréal, une ville qui est traversée par des clivages et des contrastes: une grande vitalité culturelle et économique, une forte capacité d’innovation et de création, la cohabitation de plusieurs communautés linguistiques, parmi lesquelles une majorité de francophones, une importante communauté anglophone et de nombreuses autres communautés.

J’ai choisi pour mes analyses deux terrains qui constituent, à mon avis, des observatoires privilégiés des dynamiques linguistiques: la bande dessinée et les mouvements d’agriculture urbaine.

La BD

Cette ligne de recherche vise à analyser les représentations de l’espace urbain montréalais et les représentations de la langue parlée par les jeunes adultes montréalais dans les bandes dessinées des jeunes auteurs francophones travaillant à Montréal.

Il faut considérer tout d’abord que, depuis la fin du XXe siècle ou le début du XXIe, Montréal est devenu un centre éditorial important pour le médium de la bande dessinée grâce à la présence de nombreuses maisons d’édition spécialisées francophones, mais aussi anglophones, d’événements rassembleurs, de librairies spécialisées, d’expositions et de critiques et théoriciens s’exprimant dans les médias, traditionnels et numériques.

J’ai donc constitué un corpus de bandes dessinées parues au XXIe siècle et travaillé sur deux volets: l’espace et la langue.

Le volet linguistique tente essentiellement de répondre à une question principale : la représentation du français parlé dans ces bandes dessinées correspond-elle à ce qui ressort des analyses des deux grands corpus linguistiques du français montréalais parlé (réalisés en 1984, Thibault et Vincent, et 1995, Vincent, Laforest et Martel)? D’après mes analyses, il semblerait en effet que la bande dessinée représente de manière assez réaliste les grandes tendances du français montréalais et que ce médium constitue un bon support pour des analyses linguistiques et pour avoir une idée de l’évolution de la langue parlée (avec, bien sûr, toutes les limites d’un corpus écrit qui représente l’oral). Autour de cette question principale se sont greffées d’autres questions, notamment celle de la porosité entre la communauté francophone de bédéistes et celle des anglophones, ainsi que la question de la traduction des albums francophones en anglais pour atteindre un marché beaucoup plus vaste.

La représentation de l’espace dans la bande dessinée est d’autant plus intéressante qu’elle se produit par l’articulation de deux espaces, car la planche (la page d’un album) est, elle aussi, un espace. Il est donc intéressant de voir non seulement quels sont les lieux symboliques de Montréal, mais aussi par quelles techniques plus ou moins photographiques ou réalistes la ville est représentée, à partir de quelle perspective (frontale, zénithale, etc.) et comment l’espace est problématisé. Sans oublier la question de la relation entre centre et périphérie, thème central pour une grande ville d’Amérique du Nord.

C’est cette question de l’espace qui va nous conduire à ma deuxième ligne de recherche montréalaise.

L’agriculture urbaine

Les mouvements urbains de promotion des espaces verts ont pris au cours des dernières décennies de plus en plus d’ampleur. Naissance de collectifs, groupements de rue, ruelles vertes : les initiatives se multiplient, impliquant des travailleurs sociaux, des artistes, des activistes. Cette recherche se situe du point de vue méthodologique dans le cadre théorique de l’analyse du discours et vise à comprendre comment les discours produits par les activistes ou par la presse et les médias en ligne construisent l’image et l’ethos de ces mouvements. Je me suis concentrée en particulier sur la «Guerrilla Gardening» ou «Guérilla du jardinage», un mouvement qui pratique l’occupation (même illégale) des espaces urbains par des interventions au cours desquelles des végétaux sont plantés dans des espaces abandonnés. J’ai choisi ce mouvement, assez circonscrit, parce qu’il est né dans le sillage de deux ouvrages théoriques, publiés par un Britannique (Richard Reynolds) et un Canadien de Vancouver (David Tracey). J’étais donc curieuse de voir comment ce mouvement avait pris racine à Montréal, dans quelles communautés linguistiques il s’était davantage implanté, si le groupe traversait les clivages entre anglophones et francophones. Dans les articles publiés sur ce sujet, je me suis intéressée aussi à la construction de l’éthos du guerrilla gardener, puisque ce mouvement se fonde sur la contradiction (peut-être apparente) entre esprit guerrier et pacifisme écologique, se nourrissant aussi de racines nord-américaines remontant à Thoreau.

Pistes pour l’avenir

Je compte continuer à travailler sur le discours numérique autour de l’espace public. Quant à la bande dessinée, j’aimerais me concentrer davantage sur la traduction et l’autotraduction des bandes dessinées francophones en anglais. Montréal reste un terrain de recherche passionnant!

Ce billet n’engage que la responsabilité de son auteur·e.

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CRIEM CIRM
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Centre de recherches interdisciplinaires en études montréalaises | Centre for interdisciplinary research on Montreal