Retour sur le feuilleton des «migrants du campus»

Lyon Solidaire
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5 min readJan 24, 2018

Par LOPPY Hyacinthe

Des étudiants de l’Université Lumière Lyon 2 ont logé dans le campus, du 10 novembre au 22 décembre 2017, une cinquantaine de migrants qui étaient sans abris. Pendant plus d’un mois, un amphithéâtre et deux salles de cours ont été occupés par ces migrants qui ont finalement quitté les lieux le 22 décembre 2017 sous la pression des autorités administratives. Zoom sur un feuilleton qui a tenu en haleine les étudiants, la présidence de l’Université et la préfecture du Rhône.

Le feuilleton aura duré plus d’un mois. Chose inédite. Une cinquantaine de migrants, aidés par des étudiants, ont occupé, pendant plus d’un mois, un amphithéâtre et deux salles de cours à l’université Lumière Lyon 2, au site de Bron. Tout est parti de l’évacuation d’une plateforme à la gare Part-Dieu sur laquelle dormaient des dizaines de migrants venus d’Afrique de l’Ouest dont de nombreux mineurs. C’était une matinée du 10 novembre 2017.

Pendant tout le séjour des migrants dans l’enceinte du campus universitaire, le collectif des étudiants s’est mobilisé pour leur venir en aide, les accompagner. Au quotidien. Jusqu’à leur départ. La présidence de l’Université était tenaillée par affaire ne voulant pas expulser les migrants et se refusant que l’amphithéâtre soit occupé «pendant très longtemps». La préfecture du Rhône a proposé des solutions de sortie de crise aux étudiants, mais elles étaient précaires. Et le collectif des étudiants réclamaient des solutions «durables ou rien». Dans ce bras de fer, la préfecture du Rhône a fini par l’emporter.

10 novembre, début du feuilleton.

Un vendredi du 10 novembre 2017, la police évacue des migrants qui s’étaient installés sur une plateforme à proximité de la Part Dieu. Ils étaient sans abris et sans papiers. Depuis ce jour-là, ils ne savent plus où aller. Ils tombent entre les mains des étudiants de l’Université Lyon2 qui leur trouve un «logement…précaire». Ce sont des étudiants du Collectif des étudiants étrangers de Lyon, sans-papiers et solidaires et du syndicat Solidaires Etudiant.e.s. Un ouf de soulagement. Pour combien de temps ? «Heureusement qu’ils (étudiants) nous soutiennent. Si l’État français pouvait faire ça…Pourquoi la France nous refuse d’étudier, de travailler ? Il y a des gens qui ont des compétences, il y a des mécaniciens, des gens qui ont un diplôme aussi », se questionne un migrant d’origine guinéenne dans Rue89.

C’est à partir de ce moment que des étudiants se sont mobilisés pour accueillir ces migrants dans l’enceinte du campus universitaire. Dans l’amphi C, plus précisément. «Certains étudiants ont assisté à leur expulsion. Ils ont été choqués par la violence avec laquelle cela s’est déroulé. Nous n’avions pas prévu d’occuper un amphi de la faculté, mais nous ne pouvions pas les laisser errer encore dans la rue», explique Yassine dans Lyon Capitale, l’un des jeunes mobilisés pour venir en aide aux migrants. Cela aura plus d’un mois.

21 novembre, le coup de gueule de la présidente de l’Université.

Nathalie Dompnier était entre le marteau de l’administration et l’enclume des étudiants. Elle faisait face à une situation qui s’est révélée très délicate. Laisser les migrants occuper les lieux ou les déguerpir ? Si la présidente décidait de mettre les migrants à la porte, elle se mettrait les étudiants à dos, et si elle décide de les laisser squatter l’amphi, les autorités administratives seraient dans l’obligation de «rétablir l’ordre». Au cours de sa conférence de presse du 21 novembre, Nathalie Dompnier n’a pas condamné l’occupation de l’amphi, mais elle n’a, non plus, encouragé cette occupation dans la durée. D’où son interpellation des autorités compétentes.

Credits : Hiva Nusseibeh

Elle a dénoncé, «l’incurie des pouvoirs publics» en matière de solutions d’hébergement pour les personnes migrantes. La présidente de l’université en a appelé à l’Etat mais a refusé de mettre les migrants à la rue. «Ce qui nous frappe, c’est l’incurie des autorités publiques. Il revient à l’Etat de trouver des solutions d’hébergement et d’assurer l’accueil et le suivi médico-social de ces personnes. Nous en appelons à la responsabilité des uns et des autres pour ne pas rester dans cette situation insupportable, dans laquelle nous ne sommes pas capables de respecter les droits humains les plus fondamentaux », a martelé Nathalie Dompnier sur les colonnes de Rue89.

La présidence de l’Université a choisi de ne pas choisir sur cette question. «L’Université devrait choisir entre mettre à la rue ces personnes et assurer ses missions d’enseignement. Nous ne voulons pas choisir, a-t-elle lancé. Mais l’université n’est pas un lieu pour les accueillir. Cette situation n’est pas satisfaisante car l’université est en dehors de ses missions. Nous ne pouvons pas, nous ne savons pas loger des femmes et des hommes dignement».

La réponse sèche de la préfecture du Rhône.

Ces appels incessants de Mme Dompnier à la préfecture du Rhône n’ont pas donné des résultats probants. Le 115, la métropole, les villes de Bron et de Lyon n’ont pas été en mesure de trouver des solutions d’hébergement pour ces migrants, les centres d’hébergement étant saturés, à la veille de l’hiver.

Contactée par 20 Minutes, la préfecture du Rhône a indiqué que des solutions d’hébergement ne pourraient pas être proposées tant que ces personnes ne se seraient pas fait connaître des services de l’Etat. « Nous devons savoir s’ils sont demandeurs d’asile, réfugiés ou déboutés du droit d’asile pour pouvoir les orienter », indique-t-on à la préfecture. « Mais ce n’est pas parce qu’un amphi est occupé que leurs dossiers vont passer avant les autres », prévient-elle. Pour Nathalie Dompnier, «chacun se renvoie la balle ». Et partout, les réponses sont similaires : les dispositifs d’accueil sont déjà saturés.

Credits : Rue89

La préfecture, compétente sur l’hébergement d’urgence, aurait demandé à avoir un état des lieux des personnes hébergées pour les aiguiller vers les structures adéquates. Pourtant, elle ne veut pas envoyer ses services sur place. Elle aurait même suggéré à Nathalie Dompnier de faire réaliser ce recensement par les assistantes sociales de l’université, dont ce n’est bien sûr pas la mission.

Le quotidien des migrants.

Tout le temps que les migrants ont passé dans le site de Bron, les étudiants ont été à leur côté. Ils étaient des dizaines d’étudiants à se relayer comme des soldats auprès d’eux. Dans un coin de l’amphithéâtre, des dizaines de matelas ont été entassées à côté d’une pile de vêtements et de couvertures apportés par des étudiants et du personnel de la fac. Un petit local technique a été reconverti dans l’urgence en une zone de stockage de nourriture. Devant l’amphi, une cuisine avec quatre plaques de cuisson, des listes aux murs très précises indiquant les matériels et denrées nécessaires et les dates des rendez-vous en préfecture des migrants, ainsi que des assemblées générales quotidiennes.

Par cette organisation, ils ont pu établir de nombreux contacts avec des associations et les collectivités en vue de l’hébergement des migrants. Mais tous les lieux d’hébergement d’urgence sont saturés. Plus chanceuses, les familles avec femme enceinte ou nourrisson ont été logées. Les migrants sont invités à toutes les AG des étudiants pour «donner leur point de vue» du combat. Tous les jours, des dons tombaient, souvent en quantité. Les migrants ont droit à des sorties dans la ville. La cuisine est assurée par les étudiants.

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