La littérature noire fait mauvais genre

Lola Dolores
Mémé dans les orties
4 min readNov 28, 2016

Plus de 12000 lecteurs se sont retrouvés, les 7, 8 et 9 octobre derniers, lors de la convention Polar du Sud. Ce festival fait la part belle à la littérature dite « de genre », romans policiers, romans noirs, science-fiction, ou encore fantasy. Des genres qui, malgré leur médiatisation croissante, ont encore mauvaise presse …

Un stand surchargé à Polars du Sud, Crédit photo: Festival Polars du Sud

En France, la littérature « de genre » a beaucoup souffert d’une image élitiste, réservée à une culture de niche se réunissant dans des conventions obscures pour parler sabres lasers autour d’un café. Malgré sa popularité, le genre continue à être boudé par les universitaires et les grands critiques. Et les lecteurs de littérature de genre se disent stigmatisés et pris de haut par les lecteurs de littérature généraliste.

L’association « Fondu au Noir » nous offre quelques éléments de réponse sur ce paradoxe.

« La méfiance du public vient en premier lieu d’une production de masse de la littérature de genre dans les années 60 à 80 qui ont « surcodifié » et « industrialisé » le genre en le rendant lassant et répétitif ».

Les revues « pulp » qui ont vu le jour aux USA à la fin des années 50 sont les premières visées. Quand elles se sont exportées en Europe, la littérature qui y était proposée était très archétypale et normée. Cette production de masse a beaucoup marqué la culture populaire, et ses codes se sont retrouvés très vite dans les jeux vidéos, les films « blockbuster » ou encore, dans les BD. Tant de medias dédiés avant tout aux adolescents, enfermant le genre dans une case immature.

Elles sont autant de revues qui ont contribué à la popularité du genre — mais ont aussi contribué à son aspect commercial et divertissant.

Fondu au Noir nous parle aussi de l’exception Française :

« La France est forte d’un héritage littéraire fort, et on fait chez nous très attention au style, à la recherche d’une belle langue, bien plus qu’aux USA par exemple ».

Or, les genres « noirs » font souvent plus cas du fond que de leur forme. Peu d’auteurs français se lancent donc dans la littérature de genre, périlleuse car discréditée par rapport à une littérature plus étudiée. Et les éditeurs n’aident pas dans le mouvement : plus de la moitié de la la littérature de genre éditée en France est anglo-saxonne.

Rosa Montero, autrice espagnole. Crédit photo : Polars du Sud

Rosa Montero, autrice espagnole de science-fiction, nous donne aussi son point de vue sur la situation.

« ça m’arrive très souvent, en dédicace ou en conférence, que les gens me disent ne pas aimer la science-fiction, parce qu’ils pensent tout de suite à Star Wars et aux vaisseaux spatiaux. Quand on écrit dans un genre, on souffre de stéréotypes à cause de la pop culture, et peu de gens font l’effort d’aller au delà. Je revois souvent les gens qui disaient ne pas aimer la SF, ils reviennent me voir et me disent « Ah j’aime pas la SF mais j’ai aimé votre livre ». Si les gens font des efforts, les à priori disparaîtront.”

Cependant, depuis une petite dizaine d’années, le genre se décloisonne. A la fac du Mirail, une UE intitulée « Réflexions autour du roman noir et de la fantasy » a ouvert ses portes. De nombreux professionnels des milieux d’édition commencent à faire confiance à la littérature de genre. On retrouve ainsi aux Éditions de Minuit des romans de Yves Ravey, qui sont des polars noirs. On peut aussi penser aux grandes maisons d’édition comme Actes Sud ou Gallimard qui ouvrent leur propre collection « noire ». Et de plus en plus d’auteurs grands publics se laissent tenter par la « liberté de ton et d’évocation qu’offre le genre » nous dit Rosa Montero, en atteste le dernier Houellebecq, teinté d’inspiration science-fiction.

De plus en plus de librairies spécialisées suppriment les étiquettes pour proposer des classifications alternatives moins codifiées. On peut ainsi retrouver des auteurs classés par date, par ordre alphabétique ou par pays, plutôt que par genres ou tranches d’âge de lectorat.

De quoi prouver sans doute, comme le scande Fondu au Noir, que « le genre est une littérature comme les autres ».

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