Tous les enfants de ma cité et même d’ailleurs,
Et tout ce que la culture a fait de meilleur…

MéméDansLesOrties
Mémé dans les orties
4 min readOct 26, 2016

Si vous croyiez que Zebda est ce que la colère a fait de meilleur à Toulouse, vous pourriez bien être surpris. Quand la culture descend dans la rue, les jeunes font bien plus que tomber la chemise…

Cœur du quartier Bagatelle à Toulouse, entre scooters qui pétaradent et enceintes portatives qui crachent du rap grésillant, entre klaxons de voitures et foule qui sort du métro, entre des accents qui viennent du monde entier, coincés entre deux cités grises, le centre culturel Henri Desbals et son voisin de trottoir, le centre social CAF, se font face. On dirait deux châteaux forts qui défendent leur territoire. Deux pachydermes représentants de la culture. Deux bouées auxquelles on peut s’accrocher si on se sent dériver.

Des jeunes en survêt trop grands entrent et sortent du centre culturel, des mamans avec leur farandole d’enfants, des papas au regard fier. On entend les cris des petits, les rires des plus grands, et les instructions des encore plus grands, ceux qu’on appelle les intervenants, les éducateurs, les assistants sociaux, les animateurs. Ceux dont les gamins connaissent les noms, ceux qui ont le numéro de téléphone de la cité entière, “au cas où”, ceux qui soutiennent une jeunesse de quartier pour qu’elle ne s’y perde pas, dans ce quartier gris, avec ses tentations insidieuses si on traîne dehors tard le soir. Ici, on y vient quand on est petits, parce que papa et maman travaillent, on y reste quand on est plus grands, parce qu’on s’est fait des copains, on y revient quand on est adultes, parce que c’est ici qu’on s’est construits. C’est ce que je comprends en participant à cette fête de quartier, le 19 octobre 2016, pour fêter la fin du dernier ASV du centre.

[ ASV, késako ? Un ASV, Atelier Santé Ville, est un dispositif public qui s’appuie sur les partenaires et professionnels locaux pour travailler autour d’un thème commun et organiser des actions dans les quartiers. Son objectif ; mêler des acteurs sociaux, éducatifs, médico-sociaux, et culturels et traiter par thématique, sur plusieurs mois voire années, des problèmes de santé publique. ]

Plusieurs ateliers se mettent en place à l’intérieur et autour du centre culturel et du centre social ; les partenaires présentent les actions qu’ils ont menées pendant ces deux dernières années via l’ASV sur les écrans, on fait des massages pour les yeux, on décrypte une émission de télé réalité, on fait des battles de rap en langage texto, on joue à des jeux de société, on fait des selfies, on s’essaie à l’improvisation théâtrale en piochant des hashtags. Les représentants de la ludothèque, de l’atelier théâtre, de l’atelier slam, du cours de cuisine ou de l’accompagnement scolaire sont là. En dehors des ASV, le centre socio-culturel, c’est aussi des activités organisées chaque semaine, pour les petits et les moins petits.

Je rencontre Zinedine, un jeune de quatorze ans, qui vient à l’atelier théâtre depuis qu’il a sept ans :

“Je veux devenir comédien. Ici, c’est ma famille. Quand ça va pas, je pense à l’atelier que j’aurai le mercredi suivant, et ça m’aide à aller mieux. Je me sens fier.”

Et c’est bien ça qu’il y a ici, de la fierté. La fierté des parents, qui voient leurs enfants faire du théâtre sur une vraie scène, “Elle est douée ma fille”, la fierté des jeunes qui s’emparent du français comme on ne le leur enseigne pas à l’école, la fierté des petits qui veulent être acteurs “quand ze serai grand, comme Zinedine”, et la fierté des éducateurs qui sont souvent surpris de la lucidité des enfants sur la vie du quartier. Avec, au fond, la fierté d’être tout simplement là, de sortir de son quotidien, d’apprendre à s’en emparer, de cette culture dont on nous parle sans qu’on sache trop ce que c’est. Et puis il y a bien sûr de la solidarité, dans ce quartier où tout le monde se connaît, où tout le monde sait à quel point la vie est dure et à quel point on en a besoin, de cette solidarité, pour s’en sortir. Car c’est bien ça le fond du problème. S’en sortir.

“La culture, c’est ce qui répond à l’homme quand il se demande ce qu’il fait sur la terre”

disait André Malraux. Il est certain que s’il était venu à Bagatelle pendant un atelier d’improvisation théâtrale, André Malraux en aurait vu, de la culture, la culture des quartiers, la culture dont les enfants s’emparent, car c’est bien là qu’elle se joue la culture, chez la jeunesse. Quant aux enfants, ils n’ont pas besoin de savoir qui est André Malraux pour me jouer une pièce de théâtre dont je ressors les yeux pleins de larmes de rire.

André Malraux qui ne comprend pas la blague de Zinedine

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