« Il n’y a aucun transhumaniste chez les politiques. »

CATHERINE COSTE
Ma chronique littéraire
8 min readSep 30, 2018
Le personnage d’Evam dans la science-fiction “Genomics Asteroid”

Comment je suis devenue prof de creative writing (une matière qui n’existe pas en France).

Je donne des cours privés de “creative writing” à des étudiants et élèves francophones dans le monde. Nous écrivons depuis 2016 une science-fiction, “Genomics Asteroid”, qui sera publiée en français.

La page Facebook “Genomics Asteroid”

J’ai été ballerine professionnelle, ce qui veut dire que très jeune on se trouve confrontée à une âpre sélection, des infos confidentielles et pointues sur sa santé — j’attends que le séquençage de mon génome m’en apprenne autant que les médecins de l’Opéra de Paris quand j’avais 12 ans — et on côtoie des gens célèbres régulièrement, alors qu’on n’a pas 15 ans. Roland Petit, Maurice Béjart, Patrick Dupond et son pote de l’époque le chanteur Francis Lalanne, Rudi Nureyev, Margot Fonteyn etc, tout ce beau monde faisait irruption en coulisses, en cours, à la cantine, en classe. Bref le gratin du milieu du ballet d’antan. Bien sûr on les voyait aussi sur scène, souvent.

Il y a quelqu’un qui a joué un rôle dans ma vie de ballerine et après, et c’est bien Maurice Béjart. Je crois que c’est avec lui que j’ai commencé à vivre l’aventure transhumaniste qui m’intéresse aujourd’hui, par l’écriture … Béjart, bien que ni biologiste ni scientifique, a été un hacker de la première heure. J’avais 12 ans et on l’entendait nous expliquer (été 1980, Avignon je crois): “Aujourd’hui, il y a la mondialisation. Vous savez ce que ça veut dire ?”

Nous, les gamines du corps du ballet de l’Opéra de Paris :

“ — Non…” C’était bien la première fois que nous entendions ce mot. La mondialisation.

“ — Eh bien ça veut dire que si on cueille une rose à Téhéran, on pleure en Afrique.”

Béjart a compris très tôt le phénomène de la mondialisation et a travaillé sans relâche à appréhender ce phénomène aux conséquences incalculables.

On l’a regardé avec des yeux ronds, on n’y comprenait rien. Le reste était à peine plus clair. Lui voyageait déjà beaucoup. Inde, Tibet, Chine, Russie, Afrique, USA, Mexique, Egypte, Japon, toujours avec sa voix chaude et ses expressions de Marseille. Nous, on faisait banlieue (notre maison) — conservatoire (à Paris) — école de danse (Paris, rue Scribe, et Nanterre, puis Paris à nouveau), ballotés par les parents qui se relayaient pour faire chauffeur, ou en métro/RER. J’étais alors scolarisée dans un collège et lycée privé à Chatou (le Bon-Sauveur), certaines de mes compagnes de classe suivaient elles aussi un cursus de danse classique et gym artistique à haut niveau. Béjart a compris très tôt le phénomène de la mondialisation et a travaillé sans relâche à appréhender ce phénomène aux conséquences incalculables pour nous les inculquer, dans la danse, qu’il a (un brin) déverrouillée et décoiffée.

Les querelles épiques entre les Anciens et les Modernes, les “1.0” et les “2.0”, l’Opéra de Paris aseptisé et ne faisant aucune place à la nouveauté (aujourd’hui encore…), parfois en clash direct avec Béjart. Les clash entre titans, d’ordre privé et professionnel — Nureyev versus Béjart, se battant parfois jusqu’au sang ... J’ai donc imaginé dans “Genomics Asteroid” deux frères jumeaux, tous les deux de grands scientifiques. L’un est transhumaniste ; l’autre pas.

Mon compte twitter, fin septembre 2018

La presse était friande de ces querelles entre deux monstres sacrés de la danse, elle en faisait des compte-rendus à mon avis très romancés, stylisés et aseptisés, car ces affrontements étaient bien plus brutaux, parfois sournois et sordides, mais il fallait tenir sa langue. Deux personnalités brillantes, toutes deux nos enseignants, mais que tout opposait, à part le goût et la passion de la danse.

Le pianiste, l’air impassible, plaquait des ritournelles ultra-classiques quand on avait Nureyev qui venait nous faire répéter. Les coups de bâton volaient dans les “jarrets” non tendus (c’est bien connu, les ballerines sont des veaux). Quand Béjart débarquait, on avait des musiques venues d’ailleurs — Inde, Portugal, Egypte…, il les rapportait dans ses bagages — et qui nous rendaient folles, nous les gamines de la région parisienne. On s’évanouissait tellement c’était beau, nouveau, on avait des crises de larmes, de nerfs. Avec Rudi, on avait aussi des crises de nerfs, mais pour d’autres raisons que les musiques venues d’ailleurs qui affolaient nos sens ...

J’ai voulu rendre cette opposition entre les deux Titans du petit monde du ballet de l’époque en mettant en scène, dans “Genomics Asteroid”, deux scientifiques aussi brillants l’un que l’autre, des frères jumeaux, mais que tout oppose. Hugo (Béjart) et Mortimer (Rudi).

Nalini, l’infortunée Bangladeshi tiraillée entre les deux, ce peut être moi, pourquoi pas, jeune ballerine dont toute la vie se déroulait entre le pôle Nord (Rudi) et le pôle Sud (Béjart). Gare aux courants d’air … Mais je sens bien que ce n’est pas seulement moi. Pour moi, Nalini, c’est le personnage qui “tend vers l’universel” (quelque chose de si cher à Béjart).

Rudi c’était toujours un courant d’air, très agacé par les ballerines demandant de la pédagogie (chose dont il était dépourvu il s’en glorifiait d’ailleurs) et n’ayant pas une allure de danseuse du Bolchoï des pieds à la tête. Béjart faisait instantanément le calme autour de lui, tel Bouddha, et clamait haut et fort qu’il cherchait de très bonnes ballerines n’ayant surtout pas l’air de ballerines. Mais dans le calme le plus plat, il pouvait piquer une colère épique et virer sans préavis quelqu’un qui n’était pas sur la même longueur d’onde, comme ça, en moins de deux, “pour l’intérêt du ballet”. Une fois, il m’a dit :

“ — Toi, tu prends sa place.”

Il venait d’éjecter une première danseuse de l’opéra (le grade juste avant danseuse étoile !!), “trop conne” pour comprendre là où il voulait en venir. Il nous disait : “un artiste qui ne comprend pas et qui ne vit pas ce qu’on lui fait danser est une serpillère, pas un danseur.”

Imaginez ensuite l’ambiance (les rivalités) entre élèves etc. Une protégée éjectée, et pour prendre à la place, une anonyme bourrée de défauts. Oui, je me suis retrouvée avec des épingles dans mes chaussons de danse (et je ne suis pas la seule à qui c’est arrivé).

Nalini, jeune femme citoyenne du Bangladesh, se retrouve sélectionnée in extremis pour aller sur l’astéroïde DRD4, pour des raisons assez mystérieuses. Hugo décide de la choisir.

Une fois je me suis vue épinglée par un contrôleur dans le métro. J’avais pas mon ticket, il allait me mettre une amende. Rudi (comme surgi de nulle part) a fait irruption en disant : “C’est bon, c’est une élève de l’Opéra de Paris, je me porte garrrrant pour elle à vous.”

Je l’ai regardé comme un extraterrestre ; il trouvait normal d’aider une élève de son cours qu’il avait reconnue. Une fois, il est venu me saluer aux Puces (où il passait pas mal de temps d’après les journalistes, mais en vrai je ne sais pas) et a fait le baise-main à ma mère qui a failli tourner de l’oeil. “Quel priiiiince !!”

Très chevalier sans peur et sans reproche envers ses élèves, le Rudi …

Quelques années plus tard :

A 19 ans je suis invitée à dîner par Béjart (donc dans tous mes états), j’étais alors au désespoir car pas prise pour continuer à l’opéra de Paris (problème d’ouverture de hanche et autres fragilités à ce niveau), je le savais depuis quelque temps déjà mais ne savais vraiment pas comment rebondir. Pour moi la danse c’était toute ma vie, depuis mes 8 ans. Qu’est ce qui m’intéressait à part ça ? La réponse était toute trouvée : rien.

“ — L’écriture”, m’a t-il dit. Et il a tendu les doigts pour me toucher le bras, juste du bout des doigts, et il a dit :

“ — Ecris. Tu as de l’écriture au bout des doigts de l’âme.”

C’était dans un café à Paris.

Quand il s’est levé et est parti, je suis restée longtemps à me demander comment j’allais passer de la danse à l’écriture …….

Pour moi, les biohackers ou les grands veilleurs sont des passeurs …

“Genomics Asteroid” imagine ce passeur, ce biohacker pionnier, Evam (Adam plus Eve) comment il vécut, comment il est mort. Il fait office de figure religieuse sur DRD4. Je veux dédier ce livre à la mémoire de Maurice Béjart, mon ancien professeur.

Mon compte twitter, fin septembre 2018
Le personnage de Hugo dans la science-fiction “Genomics Asteroid”
Le personnage de Nalini dans la science-fiction “Genomics Asteroid”
Moi, juillet 2018 (Pyrénées). Je suis fan de tout le courant récent de science-fiction chinoise : Liu Cixin, traduit par Ken Liu en anglais, lequel écrit aussi de la science-fiction …

Et, parce que bien sûr nous avons sélectionné un manuel scientifique pour nous guider dans notre apprentissage, tout en écrivant de la fiction :

Très pratique : je suis en contact avec l’auteur sur twitter (pour pouvoir relayer nos questions au cas où) …

Une des fiches de mon cours (septembre 2018)
Une des fiches de mon cours (septembre 2018)

Cette aventure est passionnante. Je remercie Isabelle Provost, enseignante universitaire en région parisienne (coopération internationale et histoire-géographie), Jean-Michel Billaut et Patrick Merel (Portable Genomics, San Diego) pour leur aide et leur regard bienveillant. Sans ces synergies, ce projet un peu fou n’aurait jamais vu le jour …

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CATHERINE COSTE
Ma chronique littéraire

MITx EdX 7.00x, 7.28.1x, 7.28.2x, 7.QBWx certified. Early adopter of scientific MOOCs & teacher. Editor of The French Tech Comedy.