“Made-By-China” Super-Héros

CATHERINE COSTE
Ma chronique littéraire
6 min readSep 8, 2018
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Qu’est ce qui distingue une science-fiction du genre fantasy, ou encore des super-héros ? L’engouement pour ce dernier genre se retrouve partout dans le monde, mais rêve-t-on aux super-héros pour les mêmes raisons en Chine ou aux Etats-Unis ? Petit décryptage …

Je mets en ligne les fiches de mon cours de creative writing sur le sujet. Bien entendu, des exemples et contre-exemples devront être trouvés, afin de documenter ou de nuancer ces pistes, et bien sûr d’étayer les réflexions …

En gros, la science-fiction, c’est la classe moyenne qui a du pouvoir sur le monde, à cause d’avancées technologiques projetées sur un futur ou présent (ou passé) imaginaire. Ces avancées peuvent être source d’ennuis, mais représentent aussi une chance. Un nouveau départ, une transformation.

La fantasy s’appuie sur la méritocratie. On ne naît pas ceci ou cela, on le devient, à force de volonté, d’habileté, de travail. La magie ne s’hérite pas, ni ne se transmet de génération en génération. Le coup de baguette magique se fait à l’huile de coude. Bien souvent, il faut d’ailleurs apprendre à se serrer les coudes dans les épreuves …

Les super-héros, voilà un genre à part … Rien ne s’acquiert, tout s’hérite. L’inné compte plus que l’acquis, à l’inverse de la fantasy. Quiconque a de grands pouvoirs se trouve aussi avoir de grandes responsabilités. A l’image d’un monarque de droit divin, né pour le rôle, le super-héros se retrouve dans la peau de quelqu’un qui le dépasse et doit faire de son mieux pour tendre vers un absolu (le bien ou le mal). C’est Monsieur Tout-le-Monde transformé en baguette magique, pour le coup.

Bien sûr, il est très amusant de combiner les trois genres, d’écrire des scénarios au carrefour de ces genres traditionnellement bien distincts, de piocher un élément de ci-de là, et il n’est pas rare que les mangas au japon s’y emploient. Vous avez des idées sur le sujet ? …

Il est amusant de constater que la fantasy promeut souvent les valeurs de la démocratie et méritocratie dans un décor de Moyen-Âge, tandis que les super-héros nous captivent dans un monde certes moderne ou post-moderne, ils n’en représentent et défendent pas moins les valeurs féodales chères au Moyen-Âge. Ils justifie la présence et le règne d’une petite élite (eux), autour de laquelle tout s’organise, dans des liens d’assujettissement (au pire) et de dépendance (au mieux). Iron Man constitue un semi-contre exemple. Il est certes héritier des usines d’armement de sa famille, mais grâce à son intelligence et à son génie d’inventeur et d’ingénieur, il en fait bon usage et fait fructifier l’héritage. Ajouter à cela son charisme de beau gosse … Captain America est peut-être le héros le plus proche du quidam moyen : il n’a rien demandé au départ, mais déploie de méritoires efforts pour se montrer à la hauteur du rôle qu’on lui a imparti sans qu’il n’ait rien demandé — presque malgré lui.

Le super-héros ne laisse pas le Joker (Hitler) rançonner le citoyen moyen en restant les bras croisés. Il promeut l’interventionnisme (américain, lors de la seconde Guerre Mondiale), le Goodwill américain qui veut bien aller combattre Hitler. Il s’agit aussi de lutter contre le communisme, tout en représentant la superpuissance américaine (guerre du Viêt-Nam). Ce faisant, l’idéologie du super-héros glisse lentement, imperceptiblement au départ, du Rêve Américain (le Goodwill, défense de la veuve et de l’orphelin) à la promotion d’une société féodale. Le super-héros est bel et bien là pour justifier la légitimité des élites — valeur qui constitue justement le fondement du féodalisme. Vous avez là, avec le féodalisme, les films de super-héros produits dans l’Amérique d’aujourd’hui. Le Rêve Américain s’est étiolé. Les super-héros ne sont pas là ni ne font rêver pour les mêmes raisons qu’hier, le public a trouvé d’autres justifications à leur présence. Que leurs super-pouvoirs soient le fruit de manipulations génétiques volontaires (auto-infligées) ou héritées, ils doivent eux aussi se cacher. Les X-men de notre époque ne sont pas mieux lotis que Clark Kent. Dans un monde féodal, il n’est pas simple d’être l’élite. Voilà donc en gros ce qui fait rêver dans les chaumières au pays de l’Oncle Sam. Devenir un membre de l’élite, sans avoir à fournir d’efforts. La sueur et le travail, c’est bon pour la méritocratie sauce fantasy. Voyons à présent ce qui fait rêver dans les chaumières de l’Empire du Milieu, tout aussi épris de super-héros. A y regarder de plus près, on va se rendre compte que ce n’est pas tout à fait pour les mêmes raisons …

Il y a ceux qui prédisent l’hégémonie technologique mondiale de la Chine dans les 10 ans à venir. Vrai ou faut, il ne peut être nié ou ignoré que la Chine redevient grande et forte. Elle considère donc que c’est son devoir d’intervenir dans le monde et en Asie — on parle ici d’intervention militaire, et non d’ingérence humanitaire telle que définie par Bernard Kouchner, le médecin français fondateur de Médecins sans Frontières (MSF). Ce devoir d’intervention s’apparente au Goodwill américain : Batman qui défend la veuve et l’orphelin contre le Joker ou Hitler. Hé oui, avec la Chine, on revient aux super-héros de la bonne vieille Amérique réalisant qu’elle dirige le monde … Le peuple chinois n’a pas gagné la seconde Guerre Mondiale, mais il sent que c’est tout comme. Voilà qui justifie à nouveau le devoir d’intervention, cette fois-ci non plus pour les USA et sa population, mais pour les Chinois. Qui se profile en tant que leader mondial dans le domaine de l’Intelligence Artificielle ? La Chine. Ce pays a aussi la première armée au monde en tant que budget investi et importance des effectifs. Quelle est la société qui détient le plus grand nombre de brevets techniques (patents) dans la blockchain ? Alibaba. Or, selon Jean-Michel Billaut, blogueur français, spécialiste de l’économie du numérique, “A.I. et blockchain sont les deux mamelles de l’économie numérique, comme dirait e-Sully.” (Source : mur Facebook de Jean-Michel Billaut, vendredi 7 septembre 2018)

Cette biographie de Jack Ma est aussi disponible en version Kindle. C’était un best-seller à Singapour fin 2017. Dans la même série, vous trouvez aussi la bio de Ma Huateng, le patron de Tencent, et en fait de tous les patrons et patronnes des BATX — Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi — et autres compagnies chinoises ayant connu un grand succès, national et international. On les lira avec profit (en anglais) pour comprendre la culture d’entreprise chinoise.

La phrase célèbre de Sully, Ministre du roi Henri IV : “Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France.”

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CATHERINE COSTE
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MITx EdX 7.00x, 7.28.1x, 7.28.2x, 7.QBWx certified. Early adopter of scientific MOOCs & teacher. Editor of The French Tech Comedy.