Parler en classe (lycée) du conflit israëlo-palestinien

CATHERINE COSTE
Ma chronique littéraire
10 min readOct 29, 2023
Les oranges d’Israël : JAFFA

On est partis d’une question un peu plus “frivole” que l’actu un brin plombée : va-t-on continuer à acheter des oranges d’Israël, ou va-t-on plutôt demander à son fruitier des oranges du Maroc, de Tunisie ?

On ne dialogue pas avec des terroristes palestiniens et on ne dialogue pas avec la peur des Juifs d’Israël et du monde (USA)

Je résume ici une discussion ayant eu lieu cette semaine en classe de creative writing avec des élèves lycéens (classe de 1ère) francophones californiens. Nous avons axé notre discussion autour d’un article récent paru dans le magazine MIT Technology Review :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Accords_d'Oslo

L’objet de cet article est de résumer la discussion que nous avons eue en cours, c’est-à-dire que je les ai fait parler sur le sujet, en fournissant juste un peu de contexte historique général.

Déjà, on est partis de ce qu’ils savaient : Israël est l’Etat le plus militarisé au monde, devant les USA (ce qui dit quelque chose) et le chef des armées ou ministre de la Défense est d’extrême-droite : hyper observance des coutumes religieuses juives etc.

Petit constat de base : quand tu nais dans la bande de Gaza en tant que Palestinien, t’as pas d’avenir. Quand tu nais en Israël, tu as un avenir.

Donc les Israéliens sont terrorisés par le fait qu’une bande de va-nus-pieds ait pu faire autant de dégâts dans leurs rangs. La nation la plus militarisée au monde ! De mon côté j’avais suivi l’actualité en cours d’histoire-géographie à l’époque, avec ces accords d’Oslo, en classe de Terminale option économie. On avait bien plus peur de Yasser Arafat que de sa contrepartie d’Israël, ça je m’en souviens bien. Clairement, c’était lui le fauve dangereux et avide de sang qu’il fallait dompter… Avec le recul on s’aperçoit qu’Israël n’a cessé de grignoter +++ des terres, donc la bonne foi lors de ces accords est… questionnable. Oui, avec le recul, face à une carte des territoires aujourd’hui, on se dit que le dangereux et fourbe Arafat a fait beaucoup de concessions, pour la paix. Aujourd’hui, les terres palestiniennes sont minuscules et coupées les unes des autres. La Bande de Gaza indique la plus forte densité de population au monde. Des prisonniers entassés. Désolée mais il faut bien rappeler ces faits de base.

Dans ce pays il y a des méchants et des gentils…

Donc déjà, à la lumière des faits des dernières décennies, la bonne foi du Gentil des accords d’Oslo (Israël) paraît un brin questionnable, tandis que le Méchant palestinien paraît un brin moins méchant que ce qui nous avait été présenté à l’époque. Hashtag “garde-toi tant que tu vivras de juger les gens sur leur mine”, du coup ?

Rappelons le contexte actuel : le statu-quo des accords d’Oslo commençait à être reconnu par tous les pays, au point que même des Etats arabes allaient signer des accords avec Israël ! Sauf que depuis ces accords d’Oslo, rappelons que les terres palestiniennes ont été grignotées +++…

Les Palestiniens allaient donc être reconnus comme ayant des “besoins” et non des “droits”. Cette distinction entre besoins et droits est importante dans le contexte de la polémique actuelle : les événements présents relèvent-ils de crimes de guerre ou d’actes de terrorisme ?

Doit-on parler de crimes de guerre ou d’actes de terrorisme pour qualifier ce qui se passe sur le sol israélo-palestinien ?

Il s’agit là de qualifier les offensives palestiniennes. Il faut savoir que le Hamas palestinien est à la fois une préfecture administrative dans la bande de Gaza et un mouvement terroriste (enfin disons un bras armé). Donc, double visage. Des fonctionnaires tamponnant des visas, notamment pour les journalistes venant faire des reportages dans la bande de Gaza, qui ont besoin pour cela et d’un visa israélien et d’un visa palestinien. Sur le plan juridique, parler d’acte terroriste suppose que le pays n’est pas en guerre, que tout va bien, que la situation est normale. Vous imaginez bien que pour les Israéliens, c’est la terminologie adéquate. Tout baigne, le pays d’Israël se gère, et gère les quelques va-nus-pieds palestiniens, même si cela implique de gérer des terroristes — Hamas. Pas la Préfecture de Gaza avec les fonctionnaires qui tamponnent les visas, hein, pour le coup, on parle bien du bras armé du Hamas. De là on comprend pourquoi Israël est un Etat militaire. Mais ça marche, il y a les accords d’Oslo. Sauf que… l’intérêt du camp adverse est de faire valoir le crime de guerre. Parce que le statu-quo des accords d’Oslo, vu que leurs territoires ont été grignotés et que les Palestiniens sont à présent sur des timbres-poste isolés les uns des autres, pour eux ce n’est pas normal.

Le point central de notre discussion en cours :

Le simple fait de l’existence de cette polémique — faut-il parler de terrorisme ou de crime de guerre pour qualifier les actes de violence commis sur le territoire israélo-palestinien (on va le dire comme ça) — fait voler en éclats le statut quo des accords d’Oslo. Ce que voulait précisément le Hamas.

On se doute que la réponse de l’Etat le plus militarisé au monde face à l’attaque barbare de la bande de va-nus-pieds (Hamas, Gaza) va être barbare +++++ Au point que même des Juifs hors d’Israël (par ex. aux USA) vont craindre que l’opinion internationale soit choquée, au point de faire émerger un courant de sympathie pour les Palestiniens, donc contre Israël… et là, les accords d’Oslo voleraient encore plus en éclat. Mais c’est déjà fait, dans une certaine mesure. Et donc… Que va devenir Israël ? Personne ne peut le dire aujourd’hui avec certitude.

Soit les Palestiniens vont finir par être repoussés en Egypte et Israël deviendra un Etat 100% Juif, débarrassé des Musulmans palestiniens qui seront accueillis par leurs frères égyptiens, donc Israël va sortir de ce conflit encore plus fort en tant qu’Etat. C’est une possibilité. Sinon il se peut que le courant de sympathie envers les Palestiniens trop durement lésés par Israël durant ces dernières décennies fasse boule de neige, notamment aux prochains élections présidentielles aux Etats-Unis d’Amérique. Imaginons que Trump ait intérêt, pour gagner les élections, à jouer sur cette corde de sensibilité anti-Israël. Il ne s’en privera pas ! Si surfer sur cette vague lui permet de remporter les élections présidentielles, il le fera.

Les Juifs d’Israël et ceux hors d’Israël (notamment ceux résidant aux USA) ont peur, font donc pression sur l’opinion internationale pour que les victimes ne soient reconnues que dans un seul camp. Celui d’Israël = Etat de droit. Pas celui de la Palestine = terroristes. Les terroristes ne forment pas un Etat, ni une entité juridique. On ne discute pas avec eux.

On ne dialogue pas avec des terroristes…

Ils ne sont pas reconnus comme un Etat. Je pense que le bras armé du Hamas aurait été jusqu’à se faire hara-kiri pour que le statut quo des accords d’Oslo vole en éclats. Ils n’ont pas eu besoin d’en arriver là. C’est une victoire pour eux.

… et on ne dialogue pas avec la peur

Qu’y aura-t-il après ces accords d’Oslo ayant volé en éclats ? Personne ne peut le dire aujourd’hui. La communauté juive internationale a peur, et on ne dialogue pas avec la peur.

Ajout du 1er novembre 2023 :

J’ai rappelé aux élèves lycéens en classe de creative writing que tenter de décrypter l’actualité n’est pas un mauvais exercice quand on écrit sa propre science-fiction comme nous faisons en cours. En effet, une SF nous tend un miroir, elle parle (toujours ?) de notre époque, au moins un peu, si ce n’est beaucoup. J’accompagne des collégiens et lycéens de plusieurs pays dans cet exercice depuis plus de 10 ans. Polyglotte, linguiste de formation (Sorbonne, Paris, bac + 5 et les concours d’enseignement), MOOCs de biologie, génomique MITx (EdX) de 2013 à 2016, je suis habituée aux différentes cultures et aux différents univers. Nous bénéficions de l’aide et de l’expertise de scientifiques dans différents domaines (informatique, AI, géopolitique etc).

Nous avons poursuivi nos investigations sur l’actu en parlant d’un sujet délicat : la peur des Juifs, et surtout : de la communauté internationale juive. C’est là-dessus que nous avions conclu le dernier cours.

Cette fois-ci j’ai demandé aux élèves si certains souhaitaient partager leurs sources… on a aussi eu l’aide d’élèves en classe de 1ère littéraire option géopolitique. Donc en gros on a parlé de ces reporters et reportages, mais pas que…

… de mon côté j’ai plutôt écouté le dialogue entre élèves filière littéraire et filière scientifique, et en gros voici ce qu’il en ressort :

Notre monde se “droitise” :

Le monde se “droitise”, du moins le monde occidental : USA, Europe, et encore plus : Israël. La population d’Israël est gouvernée par un président qui, pour remporter les élections, a fait alliance avec l’extrême-droite. Comme si Macron et Le Pen gouvernaient ensemble. La communauté israélienne internationale et celle du pays semblent avoir poussé à cette droitisation et même extrême-droitisation de la vie civile et politique. Pendant ce temps en Allemagne et en Autriche, on a les pro-Hitler de l’extrême-droite, Hitler anti-Juifs et les Juifs d’extrême-droite en Israël pour qui un bon Arabe est un Arabe mort… vous voyez un peu l’ironie.

Donc le ministre de l’intérieur en Israël, celui qui commande les armées de l’Etat le plus militarisé au monde, est d’extrême-droite. Les exactions commises par le Hamas ont pu avoir lieu précisément parce que ce ministre avait ordonné aux soldats de respecter les fêtes juives et de rentrer dans leurs familles pour cela, d’une part, et d’autre part, il avait envoyé le reste de ses troupes soutenir les efforts des “colons” israéliens en Cisjordanie. Entendez par là : aider des Israéliens à continuer leur effort de grignotage de territoires arabes par tous les moyens : brûler les terres, chasser les gens de chez eux en pleine nuit et les menacer de les tuer s’ils ne partent pas. Bref, business as usual. Du coup, la bande de Gaza, d’habitude très surveillée par l’armée d’Israël, a vu l’étau de surveillance se desserrer et en a profité pour agir… via le Hamas, plus précisément, via le bras armé (terroriste) du Hamas.

A ce stade j’ai demandé aux élèves de centrer nos efforts autour d’un sujet délicat :

la peur des Juifs dans le monde et en Israël. Une question d’image ou une question de partage ?

Pourquoi cette peur ? Je me suis contentée de poser la question et j’ai attendu les hypothèses des élèves. Quelqu’un a rappelé que la communauté juive dans le monde, où qu’elle soit, peut toujours se dire : “si les choses tournent mal là où je suis, je peux rentrer dans mon pays : Israël”. Les accords d’Oslo (voir début de cet article) dont nous avons parlé au dernier cours ont donné au Juif errant (un mythe traversant l’histoire de la littérature mais aussi et surtout les réalités vécues lors de la Seconde Guerre mondiale) une terre, un pays, une Nation. Nous avons donc émis l’hypothèse que c’est autour de la peur que ces accords d’Oslo soient remis en question que se situe le problème chez les Juifs en Israël, aux USA etc. Mais dans quelles circonstances cela pourrait-il bien arriver ? Eh bien disons que si l’armée d’Israël, super-puissante et orientée extrême-droite, va trop loin, c’est-à-dire extermine tous les Palestiniens de la bande de Gaza par ex. (l’équivalent des fameuses chambres à gaz de Hitler, visant à exterminer tous les Juifs, la fameuse “Solution Finale” nazie de la Seconde Guerre mondiale), l’Etat d’Israël risque de perdre le soutien de la communauté internationale (notamment des USA) dont il bénéficie actuellement. De ce fait, il se retrouverait isolé, entouré de territoires arabes hostiles. Et de plus en plus d’Israéliens dans le monde et même en Israël, sans compter l’opinion publique internationale, redoute que cela arrive car l’Etat d’Israël s’est radicalisé au cours des dernières décennies. Nous pensons donc que cette peur s’articule autour de la perte d’une terre, d’un pays, Israël. Qu’un jour, ce pays n’existe plus car il aura perdu le soutien de la communauté internationale, pour avoir commis des exactions dignes de l’époque nazie, à l’encontre de populations locales avec lesquelles, à l’origine de ces accords d’Oslo, il s’agissait de PARTAGER des territoires, et non de les grignoter par tous les moyens, y compris les moins recommandables.

Quelles oranges va-t-on manger cet hiver ?

Pour conclure, j’ai demandé ce que eux, jeune génération, peuvent faire pour endiguer cette épidémie de radicalisation des sociétés occidentale et israélienne. Plus de science, moins de désinformation. Je résume la réponse des élèves.

La bonne nouvelle, si on voit loin, c’est qu’il y a du boulot. Mais n’oublions pas l’objet premier de ce modeste article bien terre à terre : choisir nos fruits de saison. L’hiver arrive, et le fruit roi de l’hiver, c’est l’orange. Alors, quelles oranges va-t-on manger cet hiver ? Vous avez déjà décidé ?

Catherine Coste, Elon Musk School, CA, USA, creative writing teacher

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CATHERINE COSTE
Ma chronique littéraire

MITx EdX 7.00x, 7.28.1x, 7.28.2x, 7.QBWx certified. Early adopter of scientific MOOCs & teacher. Editor of The French Tech Comedy.