Arona, petit chenapan Peulh

Yaayou Tidiane
Ma vie de Yaayu Tidiane
10 min readMay 28, 2015

Après quelques mois d’hospitalisation je m’étais habituée et je me plaisais même à cette vie à l’hôpital. J’avais mon rythme et mes repères. Je connaissais tout le monde : malades, accompagnants, infirmières, médecins, professeurs, vigils et femmes de charges, boutiquiers et autres vendeurs. Et tous me connaissaient. J’étais Yaayou Tidiane l’amie de tout le monde. C’était le moyen le plus efficace que j’avais trouvé pour m’adapter à cette vie de Yaayou Tidiane. Et pourtant au début je faisais tout pour préserver mon intimité et celle de Tidiane. Mais comment avoir une intimité dans cette grande salle de l’ORL où certains malades avait deux accompagnants. Une salle où cohabitaient toute sorte d’ethnies, de couches sociales, chacun avec son caractère et ses habitudes. Après une semaine d’hospitalisation j’avais compris qu’ici on n’a pas le droit de développer le culte de soi. Il faut oser la fraternité. Oui j’ai vu se développer une forme d’entraide particulière. Des gens différents socialement qui se respectent et se comprennent car ils ont des choses en commun: la fragilité de la vie, la maladie, la souffrance.

C’est dans cet élan de solidarité et de fraternité que Je me suis faite beaucoup d’amis, peut-être même un peu trop d’amis, durant mon long séjour à l’hôpital. J’avais une affection particulière pour les enfants. Au début je m’approchais surtout des enfants avec une trachéotomie. C’est ainsi que je suis devenue ami avec Fatou et Nafi, deux jeunes filles avec des canules de trachéotomie comme Tidiane. Au début c’était pour savoir ce qu’elle ressentait car Tidiane ne pouvait pas parler (trois mois) ensuite je fis un transfert et je les aimais comme mes propre filles.

Par contre je vous assure que tous les enfants avec une trachéotomie ne sont pas aussi adorables et attachants que Fatou et Nafi. Je pensais que tous les enfants mignons étaient des anges jusqu’au jour où je fis la rencontre de Arona, un Peulh de six ans, tout mignon avec son petit visage ovale et ses traits fins. Pourtant, sous son air d’ange se cache un véritable démon.

La nuit avant de se coucher sa maman prenait un long foulard qu’elle attachait à son pied et à celui d’Arona, et lui il se débrouillait toujours pour défaire le nœud et partir en pleine nuit ou au petit matin. Finalement une autre accompagnante lui a montre un système : au lieu d’attacher le pied d’Arona avec le bout du foulard, elle le faisait au milieu du foulard et les deux autres bouts étaient attachés sur le rebord du lit. Ainsi il ne pouvait plus se détacher lui-même et ses cris et pleurs ne servaient à rien puisque personne ne les entendaient car sa trachéotomie le rendait aphone.

Et pourtant j’ai beaucoup pleuré le jour où l’ambulance l’a amené. Tous les médecins ont accouru vers lui car il ne respirait pratiquement plus. Sa maman pleurait et son père ne semblait pas comprendre le Wolof. Il parlait Peulh. L’ambulancier qui venait de Louga a expliqué au médecin que l’enfant avait été mordu par un âne au niveau du cou la veille et depuis il avait de plus en plus de mal à respirer. On avait amené l’enfant directement au bloc opératoire et on lui fit une trachéotomie en urgence.

Au moment de faire le dossier Dr E. m’a appelé pour que je serve d’interprète car lui-même ne parlait pas bien Wolof et l’infirmière de garde ne parlait pas Peulh. . Et c’est avec la voix nouée et le cœur rempli de peine que je dû expliquer à ce jeune couple que leur fils unique respirait dorénavant par un trou dans la gorge, avec une canule. Apparemment ils ne semblaient pas comprendre. Je me suis répétée plusieurs fois mais ils semblaient perdus dans ce que je disais. Les parents d’Arona n’acceptaient simplement pas la situation. Il ne pouvait pas concevoir que leur unique enfant respire par une canule. Il fallait qu’ils comprennent le principe pour les soins et pour sa sécurité dans la vie quotidienne tout court. Je compatissais à la douleur des parents surtout que la maman était très jeune, vingt ans à peine alors qu’Arona en avait six.

L’accident de cet enfant m’avait beaucoup touché jusqu’au jour où j’ai compris que c’est lui qui avait provoqué l’âne. Je ne sais pas ce qu’il avait fait à cet âne mais je suis prête à jurer que c’est lui le fautif. Combien de fois ai-je eu envie d’assassiner cet enfant. Je pèse bien mes mots « assassiner ».

Tidiane dormait vers 21 heures. Ensuite je rangeais mes bagages, nettoyait la chambre et je me prélassais de lire un bon livre. Un jour alors que j’étais au beau milieu d’une intrigue de Douglas Kennedy, la lumière fut éteinte. Ce n’était pas une coupure de courant puisque la lumière du couloir était allumée. Je me suis levée et à ma grande surprise on avait éteint la lampe avec l’interrupteur. Je sortis dans le couloir et ne je ne vis personne. Je me suis dit que c’est surement quelqu’un qui me faisait une farce. J’ai rallumé la lampe et j’ai repris la lecture mon roman. Quelques minutes plus tard j’ai juste vu une petite main sur l’interrupteur et le temps que je me lève il avait disparu.

Je l’ai poursuivi et au bout du couloir le docteur me confirma qu’il venait de rencontrer Arona qui courait seul en direction de la grande salle. Je l’ai trouvé couché près de sa mère en train de faire semblant de dormir comme tout le monde dans la salle. J’ai alors renoncé à lui donner la fessée et je suis retournée dans ma chambre en prenant la peine cette fois de bien fermer la porte. Je pris mon livre et après quelques pages j’ai entendu des coups sur la porte. C’est lui. Je ne réponds pas. Les coups se faisaient de plus en plus forts. Ensuite ce n’était plus sa main qu’il utilisait mais un objet plus lourd. Surement sa chaussure. J’ai alors décidé de l’ignorer. Mais ma patience a des limites et au bout de cinq minutes je me suis levé d’un bond avec l’intention ferme de lui donner une bonne claque. Mais dès que j’ouvris la porte il avait disparu. Je l’ai poursuivi jusqu’à la grande salle et encore une fois je l’ai trouvé sur son lit faisant semblant de dormir. Toute la salle dormait. Que faire ? Alors j’ai décidé de jouer à son propre jeu. J’ai fermé la porte de ma chambre et je l’ai attendu à l’autre bout du couloir. Mais il n’est pas revenu.

Le lendemain après la visite je fis part de son attitude à Aissata sa mère, qui ne savait pas quoi me dire tellement elle était embarrassée. Tout en parlant je le vis marmonner quelque chose. J’ai essayé de me concentrer pour comprendre ce qu’il disait mais il parlait rapidement. Le son ne sortait pas, on entendait plus son souffle. Mais j’étais sure qu’il me faisait des injures. Et mes doutes ont été confirmés par la gifle que lui donna sa maman. Il riait et se moquait de moi car il roulait les yeux et faisait des grimaces. En vérité il imitait les manières que je faisais en parlant à sa maman. Et il le faisait tellement bien que je ne pus m’empêcher de rire.

Une autre fois alors que j’allais en ville le vigile de la porte de l’hôpital me dit : «Où est la fiche de sortie pour l’enfant? Il ne peut pas sortir sinon? « Non mon enfant n’est pas sorti je vais juste en ville je reviens. » « Et lui ? »

En me retournant je vis Arona qui me faisait un large sourire. Moi j’étais très énervée de devoir retourner jusqu’au bâtiment de l’ORL qui se trouve derrière la pédiatrie pour le ramener. Mr Saï-Saï lui en a décidé autrement. Il ne voulait pas bouger. J’ai eu beau lui parler il refusait de me suivre. Je lui ai hurlé dessus et tout le monde me regardait d’un air de «Comment oses-tu parler sur ce ton à un enfant aussi mignon avec une canule dans la gorge !!!!». J’ai alors appelé mon mari pour qu’il demande à sa maman de venir le chercher à la porte.

Et je ne vous parle pas de la course poursuite entre Arona et les infirmières au moment de lui faire son pansement. Tous les matins c’est le même scénario. Assise sur mon lit j’aperçois Arona qui filait comme une flèche et quelques minutes après je vois l’infirmière essoufflée qui lui court après en le traitant de tous les noms et en promettant de lui donner une bonne correction. Et tous les jours Arona trouvait une nouvelle ruse pour s’échapper de la salle d’hospitalisation juste avant l’arrivée des infirmières.

Et la mésaventure de Ndeye Diop ! Une femme super gentille qui accompagnait sa belle mère opérée récemment. La veille Arona avait disparu toute l’après midi. Tout le monde le cherchait et sa maman ne cessait de pleurer. Certains lui reprochaient sa négligence et son manque de vigilance vis-à-vis de son fils. Et pourtant elle veillait sur lui, elle s’occupait de lui. Il était toujours propre et bien habillé. Mais il ne restait pas en place. Même en parlant il sautillait comme si il avait des ressorts sur la plante des pieds. Il courait dans tous les sens et donnait une claque au passage à ceux qu’il rencontrait. Et ce jour là, alors que accompagnants, malades, infirmières, médecins, vigiles, cherchaient Arona. Il était dans la salle de soin, occupait à fouiller les tiroirs et à ouvrir les boites. Tout le monde cherchait Arona sauf Pa Ndiaye qui gardait une rancune contre lui puisqu’il me dit après « on a retrouvé le petit là. J’avais espéré qu’il s’était noyé… »

Ainsi le lendemain Ndeye Diop avait trouvé Aissata tôt le matin, et lui dit : «Aissata tu es trop fatigué il faut que tu te reposes. Tout à l’heure après la visite je viendrais prendre Arona et je vais veiller sur lui le temps que tu dormes un peu.» Aissata accepta avec plaisir.

La belle mère de Ndeye Diop avait une cabine individuelle. Ndeye Diop avait mis un matelas par terre et y installa Arona. Elle pensait pouvoir le calmer avec quelques biscuits et des boites de jus. D’abord il prit le paquet de biscuits et l’utilisa comme une voiture en jouet. Il le faisait rouler par terre et avançait en rampant et il rentra ainsi sous le lit. Ndeye Diop le sortit et le gronda pour qu’il reste tranquille. Profitant de l’inattention Ndeye Diop il s’empara d’un paire de ciseau posé sur la table de chevet. D’abord il cisela le drap et ensuite il coupa les lacets qui retenaient sa canule et d’un coup vif il enleva sa canule. Ndeye Diop n’avait rien remarqué jusqu’au moment ou Arona commença à suffoquer et à tirer fort pour respirer. « Qu’est ce que tu as ? lui dit — elle. Tu es malade ? » Pour seule réponse Arona lui montra la canule qu’il tenait entre sa main. Les cris de Ndeye Diop alertèrent tout le monde. Le temps que le médecin arrive Arona s’étouffait et se débattait par terre. La majore qui arriva en première essaya de remettre la canule mais l’enfant était trop agité et le trou s’était refermé. Ce jour là on dû le ramener au bloc pour lui remettre la canule et la pauvre Ndeye Diop qui pleurait de chaudes larmes devant le bloc priant de toutes ses forces pour que l’enfant qui était sous sa responsabilité ne succombe pas.

On a bien rit Oumy et moi en se racontant cette histoire et pour la tester je lui dit le lendemain «Ndeye Diop , je veux partir en ville pour faire quelques achats pour Tidiane. Tu pourras le surveiller pour moi juste une heure je ne serais pas longue.» « Quoi moi et Tidiane seuls pendant une heure. Et il parait qu’il fait des crises. Je suis désolée mais je dois faire le linge pour Tabata. Demande à Oumy. D’ailleurs depuis l’histoire avec Arona j’ai decidé de ne plus garder d’enfant malade. »

Elle avait les larmes aux yeux mais je ne pus m’empêcher de rire aux éclats. Et lorsqu’elle s’est remise de ses émotions Ndeye Diop nous a avoué qu’en vérité ce n’était pas elle qui criait à la vue de la canule de Arona mais c’était Tabata (surnom donné à sa belle mère à cause de sa ressemblance avec une sorcière du même nom, dans une série diffusée il y a quelques années sur la RTS). Après son opération elle refusait de parler. Les médecins avaient certifié à ses enfants que rien ne l’empêchait de parler. Mais Tabata s’obstinait à tuer sa voix et exagérait sa maladie surtout en présence de ses enfants. Mais avec l’épisode d’Arona elle a belle et bien parlé et elle racontait à qui voulait l’entendre et en exagérant un peu leur mésaventure avec ce petit Saï Saï comme elle l’appelait dorénavant.

Et pourtant le jour de son opération tout le monde prenait de ses nouvelles. Même Pa Ndiaye s’était assis sur le banc devant le bloc chapelet à la main. Il avait tardé à se réveiller et il n’a pas été bien toute la semaine. On était tous très tristes de le voir couché sur ce lit, calme, alité et dormant beaucoup. Mais, quelques jours plus tard je suis venue le voir tôt le matin avant la visite pour prendre de ses nouvelles. J’ai discuté un peu avec Aissata et au moment de partir, Arona tira mon habit, je me suis retourné et il a tiré bien fort sa langue ensuite il murmura quelque chose. J’ai fait semblant de ne comprendre ce qu’il disait mais je savais bien qu’il m’avait dit un gros mot.

Je riais en retournant dans ma chambre car malgré tout ce qu’il m’a fait j’adorais ce petit.

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