De l’air, on étouffe!!!!

Yaayou Tidiane
Ma vie de Yaayu Tidiane
10 min readJun 18, 2015

Aujourd’hui à l’hôpital, j’ai entendu des patients se plaindre à cause du manque de compresse et de seringue. Ces matériaux de première nécessité manquent souvent dans nos hôpitaux. Ils se plaignent car ils sont obligés de sortir et d’aller en acheter à la pharmacie. Mais qu’en est-il lorsque l’hôpital manque de cardiologue alors que ton enfant a besoin en urgence d’une échographie cardiaque. Qu’en est-il lorsque l’hôpital manque de ce qui est essentiel pour la vie et qu’on ne trouve pas en pharmacie : de l’oxygène.

Au début de la maladie de Tidiane avant sa trachéotomie, alors qu’il avait à peine deux mois, il était en permanence sous oxygène. Lorsque les médicaments faisaient de l’effet et que sa respiration était moins bruyante et plus stable on arrêtait l’oxygénation.

Un jour, après trois jours sans oxygène il avait commencé à présenter des signes de détresse respiratoire. Je savais qu’il n’était pas bien et toute la nuit je n’avais pas fermé l’œil. Sa respiration était rapide et il était très pâle. J’ai appelé à plusieurs reprises l’infirmière qui malgré mon insistance refusait de le mettre sous oxygène et même d’appeler le médecin de garde.

Le lendemain le pédiatre m’a trouvé devant sa porte. Je tenais Tidiane qui respirait difficilement et je pleurais. Il me prit par les épaules et tout en me questionnant pendant qu’on se dirigeait vers ma cabine. Il m’a demandé de coucher Tidiane pour qu’il l’examine. « Je vais voir si je peux lui trouver de l’oxygène. En attendant il faut s’asseoir confortablement et le tenir en position semi assise pour lui permettre de mieux respirer ».

J’ai fait de mon mieux et j’ai attendu. Une heure de temps après il n’est toujours pas revenu et je n’ai vu aucun des infirmiers. Je pris mon téléphone et j’avisai mon mari de la situation. Il me promit de venir au plus vite mais lui aussi se fit attendre. Je pris mon mal en patience et je me suis concentré sur l’émission qui passait à la télé. Après plus de deux heures d’attente je décidai d’aller voir le pédiatre. Son bureau était juste au bout du couloir mais il n’y était pas. Je m’avançai vers la salle des infirmières où j’ai trouvé la majore qui remplissait des bulletins. Lorsque je lui fis part de la situation elle me dit d’un ton neutre « il n’y a pas d’oxygène, on est en rupture ».

Cette phrase je l’ai reçu comme une gifle.

Je suis restée car je ne pouvais plus bouger. « l’ambulance est allé à Touba pour en chercher il faut attendre ».

Oui attendre je n’ai fait que ça depuis ce matin. Attendre de l’oxygène pour que mon fils puisse mieux respirer. Comment un hôpital régional pouvait manquer d’oxygène. Du coup je me suis rappelé qu’en réanimation sa bouteille d’oxygène n’était pas finie. J’ai trouvé mon mari dans la chambre et lorsque je lui ai annoncé la nouvelle il était sans voix. Je suis allée rapidement en réanimation pour voir avec Doc Séne mais il n’était pas là. Heureusement l’infirmier de garde m’a reconnu et quand je lui ai demandé si je pouvais amener la bouteille d’oxygène pour Tidiane il a accepté et m’a même aidé à le transporter avec une sorte de chariot à deux roues. Au moment où il branchait le tuyau sur le compresseur je pris le masque et le nettoya avec une lingette imbibée d’alcool pour le désinfecter. On n’est jamais prudent et ce n’était vraiment pas le moment de choper une autre maladie.

Ce fut encore une journée très agitée. Je surveillais Tidiane. Encore et encore je guettais ses crises. Dés qu’il commençait à s’agiter je le prenais et le berçais doucement. Je le retournais environ toutes les quinze minutes cherchant la meilleure position pour qu’il respire au mieux. Mon mari était très pris par son travail, il avait des engagements à honorer donc il fut obligé de retourner au travail mais il m’appelait tout le temps et je me gardais bien de lui dire que Tidiane n’allait pas bien et que moi aussi j’étais mal en point.

J’étais à bout de force. Toutes mes articulations me faisaient mal. Au moment où j’allais m’allonger l’infirmière rentra accompagnée d’un homme d’une quarante d’année qui ne quitta pas du regard Tidiane avec tous ses fils. Il ne dit rien. L’infirmière m’expliqua que le fils du Monsieur faisait lui aussi une détresse respiratoire et qu’il a besoin d’oxygène. Ils sont venus voir s’il pouvait partager avec Tidiane l’oxygène. Elle me mit dans une situation délicate car comment pouvais-je refuser de l’oxygène à un enfant devant son père. Mais moi je n’avais pas envie de partager ni l’oxygène de mon fils ni ma cabine. Je tenais vraiment à mon intimité. Pour seule réponse je lui dis « Comment on fera si l’oxygène fini ?» «Je sais mais quand même laisse moi amener l’enfant on l’oxygène un peu et ensuite on trouvera une solution »

On était vendredi et j’étais sûre que l’hôpital ne pourrait s’approvisionner en oxygène que le Lundi. Mais je n’eu autre choix que d’accepter.

L’enfant avait environ cinq ans et la cadence de sa respiration était effectivement très rapide. Pour ne pas qu’elle le mette sur le lit de Tidiane je lui ai donné la chaise. L’infirmière dit à la maman de s’asseoir et de prendre l’enfant. Elle voulut enlever le masque de Tidiane pour le mettre à l’enfant et je m’y suis opposé. Tidiane n’allait quand pas partager le même masque avec un autre enfant dont je ne connaissait pas la maladie. Je dis à l’infirmière d’aller lui chercher un autre masque.

En voyant que je marchandais le papa dit « combien coûte une bouteille comme çà je vais en acheter c’est plus simple ». Il le dit me regardant droit dans les yeux. Ou disons il le dit en me regardant comme si j’étais un monstre qui refusait de permettre à un enfant de mieux respirer.

- ne le prenez pas comme ça mon fils a une coqueluche qui est une maladie très contagieuse. Je ne veux pas qu’il contamine votre fils ».

Je n’avais presque pas menti puisque un médecin stagiaire avait bien écrit dans son dossier médical « suspicion d’une coqueluche avec surabondance de sécrétion » (et le pédiatre avait bien ri en voyant son diagnostique). Je ne sais pas si le papa m’a cru mais l’infirmière elle prit la peine de mettre un masque de protection en revenant. Cela me fit rire de l’intérieur mais le père lui fut terrifié. Il regardait Tidiane et je sus exactement ce qu’il pensait « Est ce que mon fils va finir dans cette état ». Et moi qui cherchait à être humaine avec lui et il ne me le rendit pas. Il dit sèchement à l’infirmière « S’il y a risque de contamination je préfère sortir mon fils d’ici, ramenons le dans sa chambre.» « Monsieur, sort de la chambre va attendre dans le couloir ou sur les bancs, lui dit sèchement l’infirmière ».

Elle installa le masque et le mit directement à l’enfant. Je regardais ses gestes et j’ai vu qu’elle ne maîtrisait pas du tout ce qu’elle faisait. Le matin j’ai bien observé Saliou, l’infirmier qui était en réanimation. Je l’ai bien regardé lorsqu’il placé à Tidiane le matériel d’oxygène. A l’aide d’une compresse humide il a d’abord nettoyé le masque en silicone. Sur le mur il y a une prise sur lequel est branchée une sorte de pot qu’on rempli d’eau et qui sert sûrement d’humidificateur. Un tuyau raccordé à la bonbonne d’oxygène est branché sur l’embout bas du pot et un autre tuyau est branché sur l’embout en haut du pot est relié au masque. En fait l’oxygène qui quitte la bombonne transite par cet humidificateur avant d’arriver sur le masque du patient. Un genre de baromètre appelé débitmètre place au dessus permet de régler le débit d’oxygène. Saliou avait pris la peine d’ajouter de l’eau à l’humidificateur et avait vérifié sur la fiche de traitement de Tidiane le débit prescrit par le pédiatre avant de le régler. Ensuite il a ouvert la bonbonne, et il a bien pris la précaution d’attendre un peu pour voir comment l’air sortait du masque avant de le mettre à Tidiane.

Mais avec l’infirmière, j’ai vu qu’elle n’a même pas réglé le débit d’oxygène. L’enfant devait voir environ 25 à 30 kg et Tidiane en avait à peine 4 kg. Ils ne pouvaient pas avoir le même débit. De plus elle a placé le masque à l’enfant et ensuite elle a ouvert la bonbonne. Et si par mégarde le baromètre était au maximum.

La mère de l’enfant était terrorisée. On n’a pas du lui expliquer ce qu’on faisait à son enfant. Je ne me suis pas retenue pour lui faire la remarque « Tu as vérifié sur la fiche de l’enfant le débit d’oxygène qu’on doit lui administrer, j’ai vu que tu n’as pas réglé le débitmètre. Et aussi tu ne vas pas partir en me laissant avec le malade. Tu attends qu’il finisse.» «Quel débit ? Attend je vais demander au major, elle ne m’a pas parlé de débit. J’arrive ».

L’enfant lui était très calme, il ne dit rien. Il n’a même pas réagi quand on lui mettait le masque contrairement aux autres de cet âge qui refusaient catégoriquement de le mettre en général. Il n’était pas bien. « Comment il s’appelle?» demandais-je à sa mère pour rompre le silence et surtout pour la divertir. «Abdou Lahat me dit-elle avant d’enchaîner, ça fait plus d’un mois qu’il est enrhumé, il tousse toute la nuit et depuis deux jours qu’il n a rien mangé.» «Massa ça ira, on va bien le soigner ».

Elle se tourne vers Tidiane et elle me dit « Tu as enjambé un chat qui dormait pendant ta grossesse. C’est pourquoi ton fils ronfle autant. »

Elle se retourna vers son fils et elle lui dit avec une immense tendresse « Baye Lahat tu vas mieux ?». L’enfant ne dit rien. Il a ferme les yeux, les a ouverts et la cadence de sa respiration était de plus en plus rapide. Comme moi elle comprit qu’il n’allait pas bien. « Lahat, Lahat, Lahat répond à ta mère ! » sa voix tremblait et dans un sanglot elle dit « Baye Lahat ne me laisse pas seule, ne t’en va pas ».

Elle le tenait sur ses genoux comme on tient un bébé mais il débordait et je le voyais comme un grand bébé à cause de Tidiane qui semblait encore plus minuscule. J’avais comme des picotements au niveau du bas ventre et mes mains étaient moites. Comme pour l’épargner je soulevai Tidiane du lit et je le serrai très fort contre moi. Je suis sortie en courant, mon bébé dans mes bras, et j’ai entendu une infirmière m’appeler « Yaayou Tidiane qu’est ce qui se passe ?».

Elle accouru vers moi et tendit les bras pour me prendre Tidiane. Je ne pouvais pas parler tellement j’avais la gorge nouée. Je fis un effort pour lui dire « L’enfant qui est dans ma chambre est très fatigué, va appeler le médecin. ». Elle me suggéra d’aller voir si le pédiatre était dans son bureau, elle allait voir ce qui se passait. Quand j’ai ouvert la porte du pédiatre il m’accueillit de la même manière que l’infirmière. Il voulut me prendre Tidiane car il pensait qu’il avait encore fait une crise. Il me dit « Il n’a pas d’oxygène ? «Si, c’est un autre enfant qui est dans ma chambre il est fatigué! »

Il prit son stéthoscope à la volé et me devança dans le couloir. Je décidait de ne pas rentrer dans la chambre et de les laisser s’occuper de l’enfant. Quelques minutes plus tard je vis la mère sortir en sanglot. Je m’approchai d’elle ne sachant quoi lui dire. L’infirmière sortit en courant et ramena un brancard sur lequel on mit l’enfant et on l’amena. Je les ai regardé longer le couloir et tourner à gauche et j’ai compris qu’ils l’amenaient en réa. La mère suivait le chariot les mains sur les hanches la démarche dandinant. Mais je savais qu’on n’allait pas la laisser entrer.

Je suis rentrée dans ma chambre. J’ai mis Tidiane sur son transat, j’ai éteint le climatiseur, j’ai ouvert les deux portes pour aérer la pièce, j’ai changé les draps du lit avant de coucher Tidiane. J’avais un matelas par terre pour moi, je me suis couchée et j’ai fermé les yeux. Je les fermais pour que mes larmes ne coulent pas. Mais qui peut l’empêcher. J’étais sur le point de craquer. Je n’avais qu’une seule envie : hurler, de crier. Mais encore une fois je pris sur moi et me suis retenu.

Du coup je me suis sentie très seule. Je pris mon téléphone et j’ai appelé mes sœurs.

Tidiane s’était réveillé et commençait à pleurer. Je me suis levée avec beaucoup d’effort pour le prendre. Je lui ai préparé son biberon ou disons j’ai mélangé le lait dans son biberon pour respecter la graduation et nombre de cuillère de lait. Ensuite je versais le lait sur un bol et je l’alimentais à l’aide d’une seringue de gavage à travers sa sonde naso-gastrique. Ma plus grande crainte était qu’il perde son réflexe de suçons. Après l’avoir gavé, je le remis sous oxygène en prenant bien sur la peine de changer le masque, oui je l’ai fait toute seule sans l’aide d’aucun infirmier. Moi qui suis professeure des écoles de formation, je me retrouve à faire les soins infirmiers pour mon enfant.

J’avais à peine couché Tidiane que j’entendais des cris au dehors. A travers cris et sanglots j’entendais dire « Baye Lahat pourquoi tu m’as fait ça. Pourquoi tu es parti. Non mon fils n’est pas mort. Dites moi qu’il n’est pas parti. » Elle hurlait et ses cris me perçaient le cœur. Moi je n’ai pas bougé. Je ne suis pas sortie pour la consoler comme l’ont fait les autres mères de la pédiatrie. Je suis restée sur place le cœur meurtri et l’image de l’enfant ne me quittait pas.

Je ne pouvais pas affronter le regard de la mère. Je ne l’aurai pas supporté. J’ai pris Tidiane et je suis restée là à pleurer toutes les larmes de mon corps.

Depuis que je suis à l’hôpital je côtoie la mort quotidiennement. Chaque jour, ce calme, ce silence est rompu par des cris, des pleurs et moi ce qui me touchait le plus c’était quand j’entendais une mère pleurer son enfant. Je sais que vous me direz tout décès fait mal que se soit la mère, le père, le frère. Les pleurs d’une mère qui a perdu son enfant sonnent toujours différemment. La perte d’un enfant constitue une épreuve exceptionnelle qu’on vit de façon inédite, il n’y a pas de modèle chacun le vit à sa manière. Ou peut être je faisais un genre de transfert en disant que cela pouvait m’arriver d’un moment à l’autre. Mais comment justifier la souffrance d’un petit innocent. Comment une vie pouvait-elle s’achever à peine avait elle commencée? Et dans cette douleur, dans cette souffrance seule la foi en Dieu nous aide à surmonter cette épreuve.

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