La canette de Fatou…

Yaayou Tidiane
Ma vie de Yaayu Tidiane
7 min readJun 11, 2015

Une semaine environ après la trachéotomie de Tidiane, j’ai rencontré dans les couloirs de l’ORL le Dantec une jeune fille de neuf ans environ qui avait aussi une canule dans la gorge. J’étais toujours dans un état de choc car je n’avais pas encore compris ce qu’on avait fait à Tidiane. Je ne savais pas ce qu’il ressentait ni comment il vivait le fait de respirer par un trou dans la gorge. Et c’est là que j’ai vu Fatou. Elle me fit un sourire que je lui rendis avant de lui demander son nom. Elle parla mais aucun son de sortit. Mais en regardant bien le mouvement de ses lèvres je compris « Fatou » ce qu’elle confirma par un signe de tête. Mon premier réflexe a été de lui demander si elle avait mal. Elle me fit non de la tête ce qui me procura un immense plaisir. J’ai continué mon interrogatoire en lui demandant si elle a mal pendant les pansements. Elle me fit « oui » dans un murmure mais avec le sourire. Je pris un billet de 1000fr que je lui tendis mais elle refusa de le prendre et j’entendis presque son rire moqueur lorsqu’elle s’éloigna dans le couloir en courant sans souci pour sa canule.

J’allais à la pharmacie et en entrant dans la boutique qui se trouve à coté j’ai décidé de lui acheter quelque chose. Je ne savais pas ce qu’elle avait le droit de manger par rapport à sa maladie. Dans tous les cas elle pourra boire du lait me suis-je dit et je lui pris quelques variétés de lait avec des parfums différents et je me suis empressé de le lui amener. J’étais pressé d’établir encore une fois la conversation avec une fille qui a une canule comme Tidiane.

Quand je suis entrée dans la salle tout le monde me regardait. Une femme s’approcha de moi et me dit:

  • Comment va ton bébé ? (Tidiane était forcement célèbre car il était le seul bébé à avoir une canule et tout le monde était au courant.)
  • Il va bien il dort. Je cherche Fatou.
  • Il parait qu’on lui mit lui aussi « une canette » ?

Je ris de la façon dont elle parlait avec un accent du sud. Au lieu de canule elle disait « canette » à l’instar de tous les illettrés que je rencontrais. Et moi-même je pris l’habitude de dire « canette » comme pour intégrer leur monde. Pour couper court à la conversation je fis oui de la tête et je me suis dirigé vers Fatou qui s’affairait à enlever les tresses de sa maman. Elle était jolie, sa maman, avec de longs cheveux qui lui tombaient sur les épaules. Encore une fois Fatou me sourit en me voyant approcher. Sa maman fut étonnée de voir que je lui tendais un paquet rempli de bouteilles de lait. Elle hésita un peu et puis elle dit : « Fatou, prends c’est pour toi. Dis merci à tata » Mais elle ne dit rien elle prit le sachet et l’ouvrit immédiatement. Sa maman me dit « merci fallait pas te déranger. Comment va ton fils ?

  • Tidiane va beaucoup mieux. J’ai rencontré Fatou dans les couloirs et je fus impressionné de voir qu’elle avait aussi une canule comme Tidiane
  • Oui, dit elle, ici beaucoup de gens ont une « canette ».

Je sentais sa méfiance ce qui était normal puisse qu’elle ne me connaissait pas. Mais à ma grande surprise elles sont venues me voir tôt le matin et depuis on ne s’était plus quitté.

La trachéotomie de Fatou n’était pas due à une maladie mais à un corps étranger. Elle avait avalé une petite perle qu’on lui avait mise sur ses tresses. Et malheureusement, la perle s’était retrouvée dans son appareil respiratoire. Oumy, sa maman me dit qu’au début les médecins pensaient qu’elle faisait de l’asthme. Ensuite sa respiration devenait de plus en plus instable et c’est un infirmier dont la fille qui avait avalé un corps étranger et qui avait les mêmes symptômes qui l’a amené chez l’Orl. Elle était en détresse respiratoire et le médecin fut obligé de lui faire la trachéotomie.

Nabou, une autre fillette avec une trachéotomie, avait elle aussi avalé un petit ressort qu’on trouve sur les pinces à ligne. Le ressort s’était accroché à son larynx l’étouffant ainsi. Mais la maman de Nafi n’acceptait pas de voir sa fille avec une canule dans la gorge. Elle le cachait avec un foulard qui lui couvrait la tête et le cou. Mais elle était devenu aphone, elle ne parlait plus.

Nafi et Fatou passaient leur journée à courir à l’intérieur du bâtiment et même quelque fois elles sortaient du bâtiment de l’ORL et jouaient dans le jardin près de la pédiatrie où elles s’étaient faites des amies. Elles couraient, riaient, se chamaillaient quelques fois. La canule n’était pas un handicap pour elles. Elles n’émettent pas de son mais elles se faisaient comprendre. L’insouciance qui les caractérisait me faisait très souvent envie. Elles étaient restées à l’hôpital non pas parce qu’elles étaient malades mais pour les soins et la surveillance de la canule, en attendant d’être opérées pour l’extraction du corps étranger. Pour Fatou les médecins n’arrivaient même pas à localiser la perle en forme de poisson qui s’était logée dans ses poumons et qui ressemblait à la forme de ses alvéoles.

Deux fois par semaine elles allaient à l’école de l’hôpital et très souvent Fatou revenait avec des livres de conte que lui prêtait la volontaire qui s’occupe de la classe. Je lui lisais l’histoire en faisant des mimiques et en changeant l’intonation de ma voix en fonction des personnages. Les parents de Fatou sont analphabètes elle ne connaissait pas l’histoire de Cendrillon, de blanche neige… ces histoires racontées dans les livres que lui prêtait l’institutrice qui était une blanche, ne correspondait à son milieu. Yayou Fatou était toujours très attentive quand je lui racontais en wolof des contes du livre et Fatou riait en faisant bouger ses épaules car le son de son rire ne sortait pas. Finalement elle voulait tout le temps que je lui raconte une histoire et moi quelques fois je n’avais pas le temps ou bien je n’avais pas le moral. C’est ainsi qu’on a fixé une heure pour la lecture : entre onze heure et midi trente tous les lundi, mercredi et vendredi. Je respectais mon engagement même quand ça n’allait pas pour Tidiane.

Un jour, alors que Tidiane était au bloc pour une endoscopie, Fatou m’a trouvée assise sur le banc en face du bloc et elle m’a remise un livre de la Comtesse de Ségur. J’étais sur le point de lui crier dessus et de lui dire que ce n’était pas le moment lorsqu’elle mit son doigt sur sa canule et m’a dit clairement avec le son de sa voix : « prend je te le prête jusqu’à ce que Tidiane sorte du bloc ».

Je me suis retourné vers mon mari assis à mes côtés « Comment elle a fait ça ? Elle a parlé ? » Elle me dit « regarde ! Tata Bator me l’a apprise» elle avait juste mis son petit pouce sur le trou de la canule et voilà elle parlait. Toute angoisse en moi se dissipa. Donc Tidiane pourra communiquer avec nous. Je pourrais entendre le son de sa voix en bouchant la canule avec mon doigt. C’était inouï et bouleversant. Bien après un médecin m’a expliqué qu’il y a même des canules parlantes pour adulte. En fonction de la maladie, le patient avec trachéotomie pourra émettre des sons.

Malheureusement ce n’était pas le cas pour Nabou. Ses cordes vocales étaient touchées et sa maman me dit au bord des larmes que les médecins lui ont dit que Nabou ne parlera plus. C’était très difficile d’autant plus que Yayou Nabou n’acceptait pas cette situation. Elle se refusait le handicap de sa fille et de plus en plus elle le manifestait par un repli sur elle-même et elle interdisait à Nafi de sortir de la salle d’hospitalisation et même de jouer avec Fatou.

Au fil des mois je me suis rendu compte que la majeure partie des trachéotomies chez les enfants étaient dues aux corps étrangers. Malheureusement certains même n’y survivent pas. Oui j’ai vu des enfants mourir parce qu’ils ont avalé une bille, un bouton de jean, des piles de recharge, des pièces de monnaie. Le plus souvent on accuse les mamans de négligence mais malheureusement quelques fois l’accident se produit malgré la vigilance des parents, sous le regard impuissant de la maman. Comme le cas de ce bébé de neuf mois décédé après avoir avalé un couvercle de sirop alors que sa maman le tenait dans ses bras.

Lorsque l’enfant ou même la personne adulte avale un corps étranger, l’objet peut passer dans l’appareil digestif pour finalement être évacuer. Mais cet objet peut se coincer dans un organe de l’appareil digestif ou même respiratoire ce qui crée un gêne plus ou moins important en fonction de la nature de l’objet. C’est ainsi que quelques fois le corps étranger obstrue la voie respiratoire de l’enfant qui s’étouffe. Pour lui permettre de respirer en cas d’asphyxie les médecins procèdent à une trachéotomie. Il s’agit d’un acte chirurgical qui consiste à sectionner la trachée artère au niveau du cou et d’y mettre une canule pour dévier l’air qui devait aller jusqu’au niveau des narines. Ainsi la personne respire à l’aide de ce trou.

Généralement après l’extraction du corps étranger l’enfant est décanulé. Mais ce qui se passe quelque fois c’est que l’enfant fait une dépendance à la canule car son cerveau est habitué à respirer par la gorge. Ainsi cette décanulation se fait progressivement : on bouche la canule pendant quelques heures à l’aide d’un bouchon de liège. L’enfant respire ainsi par le nez sous la surveillance des infirmières qui enlèvent le bouchon dès qu’il présente de signe de faiblesse respiratoire. Ensuite l’épreuve du bouchon se poursuit pendant la nuit sous la surveillance des médecins et ce n’est que lorsqu’on est sur que l’enfant respire bien sans la canule qu’on l’enlève.

La perle de Fatou en forme de poisson était difficilement détectable au scanner. Pour l’enlever elle fut amenée en chirurgie thoracique et elle s’est retrouvée avec une grosse cicatrice sur la poitrine. Quelques semaines après on lui enleva sa canule et contrairement à Nabou qui ne supportait pas l’épreuve du bouchon, Fatou n’avait plus qu’une tache noire au niveau du cou et une grosse cicatrice au thorax qui témoignaient de son long séjour à l’hôpital. A cause d’une perle avalée de travers …

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