Un croissant pour tous!

Ramadan Moubarack

Yaayou Tidiane
Ma vie de Yaayu Tidiane
5 min readJul 16, 2015

--

Après quelques jours de Ramadan à l’hôpital je n’étais plus stressé et j’étais organisée pour assurer convenablement la rupture du jeûne.

Couché sur mon lit, je regardais Jack Bauer faire des prouesses pour déjouer une bombe qui allait anéantir l’Amérique d’un moment à l’autre.

Je le regardais mais mon esprit organisait le Ndogou* que je prendrais dans exactement 1H45mm. Tidiane dormait après avoir pris son bol de Blédine au gout biscuité, bien sur. Fatou entra et se coucha derrière moi. Je voulais lui dire de partir et de me laisser tranquille mais je n’avais même pas la force parler. Elle regardait le sachet contenant des croissants et autres pâtisseries que mon frère m’avait envoyé, et que j’avais posé en évidence sur la table de chevet. Mais puisque je ne comptais pas partager mes croissants je mis le sachet entre le lit et le mur sur la valise contenant les habits de Tidiane et je mis même la couverture de Tidiane dessus. Fatou me regardais faire et je lui dis « je t’en donnerai mais à la rupture du jeûne ». Elle sortit et revint avec sa tasse rose avec un dessin de princesse que lui avait offert une infirmière et qu’elle mit sur la table. J’ai compris qu’elle s’était invitée à mon Ndogou tant préparé. Je me suis dis ce n’est pas grave c’est qu’une gamine. Bientôt le va-et-vient des autres malades ou accompagnants allait commencer. Puisque j’avais longtemps séjourné à l’hôpital, je m’étais installée, j’avais beaucoup de choses, surtout j’avais tous les ustensiles et puisque tout le monde le savait c’était tout le temps:

« Yaayou Tidiane prête moi ton couteau, Yaayou Tidiane tu peux me prêter un bol pour laver la mangue, Yaayou Tidiane prête moi des pinces à ligne ».

Et mon réchaud était très prisé car il était bien pratique. Généralement les malades achetaient des chauffe-eaux. Moi j’avais une plaque chauffante qui permettait de réchauffer le repas et même de faire du thé. Donc à partir de 19h, les gens venaient soit pour chauffer de l’eau, ou bien de la soupe (et certains sentais vraiment bon), du riz au poisson, de la viande rôtie, du poulet… Donc finalement je connaissais exactement ce que chacun prenait pour la rupture du jeûne.

A ma grande surprise je ne reçus que la visite de la maman de Fatou . Elle me dit : « Yaayou Tidiane, tu ne descends pas. Il y a de l’ambiance en bas. Il y a des gens devant la pédiatrie qui distribuent de la nourriture. » Je me suis levé, j’ai laissé Tidiane à la garde de Fatou (je sais c’est pas sur) et j’ai suivi Oumy. Ce n’était pas par gourmandise mais par curiosité.

Devant la pédiatrie, j’ai trouvé des jeunes hommes portant des Tshirts verts avec des pantalons larges en Wax style Baye Fall, qui procédaient à la distribution de sachet contenant , pain, lait, café, datte, beurre, marmelade, thé… en portion individuelle. A coté ils ont installé des gazinières et des femmes vêtus aussi de t-shirt vert servaient l’eau, du lait , du Kinqueliba ou du café Touba bien chauffé. Derrière, à coté du service de facturation, j’avais remarqué qu’il y avait une grande affluence autour d’un mini car. Je me suis dit qu’ils doivent servir de bonne chose là bas. En m’approchant j’ai vu qu’effectivement il distribuait une chose très prisée en ce mois béni de Ramadan, en cette chaleur estivale : de la glace. Des sachets d’eau glacée, qu’on vend à 150f (au lieu de 50f) devant l’hôpital, et qu’il faudrait commander depuis le matin pour en avoir à 19 h. Cette denrée rare était distribuée gratuitement. Une dame qui venait d’en recevoir, après bousculade, disait au jeune homme « mon fils, en ce mois béni de Ramadan, qu’Allah vous rétribue en bien et qu’Il te donne douceur et satisfaction dans toutes entreprises comme cette eau glacée qui étanchera ma soif. »

Oui j’avoue, un peu de gourmandise, car je suis revenu avec non un mais des sachets remplis de lait, café, mini tablette de beurre, confiture, des pains au lait, bouteille d’eau, de jus de fruit…

A cinq minutes de la rupture du jeûne, j’ai eu honte de sortir ce sachet de croissants joliment dissimulé pour ne pas le partager, même pas avec mon amie Fatou. Alors que le Ramadan est par essence un mois de solidarité et d’entraide. Partout on assiste à des moments de partage car tous les cœurs sont à la solidarité : nourrir un démuni, lui donner un repas chaud et décent pour la rupture du jeûne, tel est le credo de tout bon musulman. Partout, dans la rue, dans les maisons, dans les familles, dans les groupes et associations, envers les plus démunis, envers les prisonniers… partout et surtout à l’hôpital. Et c’était ainsi durant tout le mois. Les infirmières nous apportaient toutes sortes de mets : beignets, lait, pâtisserie, biscuits…issus de cet élan de générosité, venant de gens que tu ne connais même pas mais qui te connaissent car ils ont conscience des difficultés qu’on peut avoir pour rompre le jeûne lorsqu’on accompagne un proche à l’hôpital.

Même le personnel s’associe à cette convivialité en aidant à la distribution des sachets et en veillant à servir en premier non pas les plus malades, mais les plus démunis. Ceux là qui à la rupture du jeûne attendent patiemment qu’on les invite à se servir du café chaud ou à prendre une datte. Ceux là qui viennent d’être admis en urgence et qui n’avait pas prévu de rompre le jeûne à l’hôpital.

Et Pa Ndiaye, lui, partageait avec nous son savoir religieux. Après chaque prière, il nous retenait par sa belle voix qui récite tellement bien le Coran et il nous parlait des hadiths sur le Prophète (PSL). Finalement tous les jours à la prière de cinq heures je sortais Tidiane je le mettais sur son transat, et j’écoutais Pa Ndiaye et je laissais Jack Bauer à Fatou .

Et moi, les jours suivants, à l’heure de la rupture du jeûne je sortais ma natte, me rapprochais des autres et partageais mes croissants et mon Yassa poulet*…

*Ndogou: Rupture du jeûne *Yassa poulet: Sauce d’oignon citronnée au poulet

--

--