Foncer droit dans le mur

Le couple

Ariane Picoche
Madrid tout cru

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Javier et Anastasia forment un couple bateau, fatigué, prêt à couler. Les murs mal isolés de leur appartement ne filtrent rien. Rien que des émissions de télé-réalité espagnoles et de rares discussions teintées de reproches — “Where have you been?” étant son petit gimmick à elle, le mutisme orageux, son réflexe à lui. Nos chambres sont mitoyennes et jamais je ne les ai entendus baiser. Ils ont quoi, trente-deux, trente-trois ans ? Peut-être qu’elle regrette d’être restée à Madrid pour lui, loin de la mer et de sa famille slovène. Peut-être qu’il s’est dégoté une maîtresse, parachevant le confort d’un quotidien rythmé par la vente de skates, les matchs de foot et les tubes reggae. Depuis mon emménagement, Javier et Anastasia ne se sont guère montrés accueillants. L’exclusion me rend voyeuse. Je les écoute se désaimer, comblant les ellipses avec des théories abracadabrantesques. Lorsqu’ils se taisent enfin, j’avance sur le montage d’un documentaire traitant de la génération Internet et de sa façon d’appréhender les rencontres et le couple. Je réalise ce projet avec mon ex, Florian, le seul mec dont j’ai été amoureuse, il y a quatre ans. Toujours plus loin dans l’ironie. À l’heure de la récré, en bonne anthropologue, j’abuse de l’appli Tinder, le Tetris des temps modernes. Je me délecte des paradoxes masculins — mince est la frontière entre le je-veux-une-salope et je-veux-ma-maman. Puis, pour contrer l’effet légume, j’amorce la phase introspective… Les sites de dating font-ils ressortir nos mauvais côtés : paresse, déférence et éternelle insatisfaction ? Doit-on voir l’infidélité comme le comble de l’individualisme ou l’incarnation de la liberté ? Existe-t-il des relations apaisées ? Généralement, c’est là que je décide de me refaire l’intégrale Woody Allen.

Originally published at medium.com on November 10, 2014.

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