Les élans coupés et retrouvés de Flotation Toy Warning
Flotation Toy Warning devrait donner un successeur à l’hallucinant Bluffer’s Guide to the Flightdeck (2004) au printemps prochain. Paul Carter et Sean Bouchard nous racontent pourquoi, cette fois, il faut y croire. Et donc rêver.
“Ce n’est pas une histoire très rock’n roll”. Paul Carter s’excuse avec ses mots et avec son éternel regard de grand enfant. Le leader et chanteur du groupe anglais Flotation Toy Warning aimerait avoir à raconter des histoires de fou pour justifier que Bluffer’s Guide to the Flightdeck, son premier et seul album paru en 2004, n’ait toujours pas de successeur dans le catalogue du label Talitres. Des histoires d’arrangements luxuriants jamais finis. Des anecdotes sur des fichiers perdus pour l’histoire dans un bug informatique. Des récits mythiques sur des bijoux déjà enregistrés mais jamais sortis pour de sombres histoires de droits. Des cogitations d’artistes paralysés par leur art. Mais il n’a rien de comparable à conter. Paul Carter répète sa formule, comme pour dire qu’il n’y a rien à chercher. “Vraiment pas rock’n roll, comme histoire : certains d’entre nous avons fait des enfants, on s’en est occupé, on a gardé nos boulots et on n’avait juste plus le temps.”
Longtemps, Paul a affirmé à tous les fans auxquels il répondait sur les réseaux sociaux, que le nouvel album allait sortir l’année d’après. Il arrêté de le dire quand il a arrêté d’y croire et quand l’histoire n’était plus drôle pour Sean Bouchard, le Français qui leur a donné leur chance, longtemps préoccupé voire exaspéré par la procrastination du groupe. Paul Carter a aussi arrêté de promettre un LP quand il s’est demandé s’il était capable, un jour, de redevenir un artiste avec quelque chose à dire. Quand il a compris, aussi, que c’était une affaire très sérieuse pour quelques milliers de suiveurs inconditionnels et que leur patience avait aussi des limites. La sortie en vinyle de Bluffer’s Guide, en 2015, n’a pas aidé à susciter la patience. Elle a cultivé la splendeur effarante et à peine descriptible des dix morceaux qui encerclent l’impalpable et scintillant Donald’s Pleasance.
Ce n’est pas une histoire très rock’n roll. Mais c’est une vraie histoire d’hommes qui se se sont aimés, défiés, éloignés et ont fini par se retrouver autour de l’étincelle initiale. Flotation Toy Warning fera paraître The Machine That Made Us au printemps 2017. Il n’y a aujourd’hui plus grand monde pour en douter. Le groupe le doit à l’acharnement du patron de leur label, qu’il a suffisamment fait tourner en bourrique. “Je suis très reconnaissant envers Sean d’avoir été aussi patient et d’avoir gardé foi en nous”, affirme Paul Carter. “On peut enfin lui rendre tout ça. C’est toujours bizarre quand quelqu’un se passionne pour ce que tu fais alors que tu as juste écrit cette musique pour te sentir bien. En réalité, je ne comprends pas vraiment pourquoi notre musique lui fait cet effet, mais c’est fantastique pour nous.”
Album à paraître “au printemps 2017, c’est-à-dire entre le 21 mars et le 21 juin.”
Flotation Toy Warning est le “doudou” de Sean Bouchard. L’expression a été soufflée au directeur artistique par un de ses amis et l’intéressé reconnaît qu’elle fait mouche. Pour obtenir une suite à Bluffer’s Guide, il a tout tenté : la patience, la gueulante, l’ultimatum et un investissement financier quasi déraisonnable pour un label indépendant. “Deux fois, il nous a fait une avance pour qu’on s’y remette,“ révèle Paul. “ll l’a fait en 2012, quand on a sorti le 45t When The Boat Comes Inside Your House mais nous ne sommes pas arrivés à finir ce qui était commencé. On a vraiment essayé mais c’était impossible. Puis Sean est revenu en janvier 2016. Il achetait en réalité le temps dont nous avions besoin pour écrire en nous coupant de nos boulots.”
“Nous avons convenu de 15.000 euros et ce sera peut-être plus au final,” confirme Sean Bouchard. “Il fallait une solution pour que ça avance. Ils ont tous un travail, une famille, ne roulent pas sur l’or, n’ont pas énormément de vacances. L’idée de cette avance était de leur donner un confort financier afin qu’ils puissent se libérer, se déplacer, enregistrer. Le montant n’a rien d’exceptionnel. Je peux produire un album avec trois fois moins. C’est l’immobilisation de cette somme qui est problématique pour un label tel que Talitres. Quand on sait qu’après de premier budget, il y aura les frais relatifs au pressage, à la promotion et au reste, il est désormais temps de sortir ce second disque.” L’éloignement des troupes a facilité la léthargie. La moitié du groupe vit toujours à Londres mais Paul Carter s’est isolé au Pays de Galles.
L’album doit paraître “au printemps 2017, c’est-à-dire entre le 21 mars et le 21 juin”, précise Sean Bouchard pour nous prendre à témoin des engagements formels du groupe. “J’ai indiqué à nouveau à Paul combien il était important — pour le groupe, pour Talitres, pour les stratégies promotionnelles, pour les fans — de sortir ce disque en début d’année. Il en est toujours question. Paul m’a redit oui quand je lui en ai parlé à nouveau, mercredi.” “Nous avons maintenant huit chansons complètes et deux autres presque abouties, rassure le chanteur. Il manque un bout de texte sur l’une, et un arrangement sur l’autre.” Sur disque comme dans la vie, Flotation Toy Warning étire le temps. Comment être certain à 100% ?
“J’étais certain que le groupe était terminé”
Si ce bout de texte et ces quelques notes arrivent, Flotation Toy Warning sera un groupe ressuscité, au sens propre du terme. Deux fois, il a frôlé l’implosion définitive. “Oui j’ai pensé que ce n’était plus possible et que ça n’arriverait jamais”, reconnaît Paul Carter. La première fois, c’était en 2005, au moment de la tournée de promotion de Bluffer’s Guide. “Notre amitié s’était rompue, c’était très douloureux”, dit-il en référence à ses partenaires Ben Clay (guitares, basse, co-compositeur), Nainesh Shah (guitares, co-compositeur), Vicky West (claviers, sampler) et Steve Swindon, le batteur qui a succédé à Colin Coxall en 2008. “Pendant longtemps, aucun de nous n’a vu comment ça pouvait se réparer. Lors de mes vacances en France cet été-là, j’étais sûr que le groupe était terminé. Il y avait des blessures réciproques. Cela a pris plusieurs années pour commencer à se rappeler pourquoi on aimait être ensemble.”
Il parle de cette époque comme d’une affaire réglée mais il se souvient de trop de choses que les cicatrices soient invisibles. “Ça a commencé à se dégrader entre Ben et moi. Le groupe s’en est rendu compte pendant le mixage de l’album. Ben et moi étions épuisés, nous n’avions plus rien à donner. Tu ne peux plus penser correctement dans ces situations. Si tu travailles tous les jours non stop, tu finis par le payer. Pendant trois mois et demi, nous n’avions plus aucun jour ni soirée de libre. Il n’y avait que la musique, plus rien d’autre. On a fait l’erreur d’aller tous les jours au studio pendant deux semaines, douze heures par jour. Dans ces situations, tu commences à perdre le sens des choses vraiment importantes et tu te mets à avoir une étrange vision du monde.”
Le coup de blues s’est tassé. Mais l’échec de 2012 a fini, lui aussi, par entretenir l’idée que la suite n’aurait jamais lieu. Pour écrire et enregistrer, il faut avoir des choses à dire. “Ma vie maintenant est très différente de celle que j’avais quand j’avais 25 ans”, constate Carter. “Je suis heureux maintenant. C’est devenu étrange de s’enfermer seul dans une pièce, loin de ma famille et de penser à des choses tristes pour essayer de faire naître des paroles intéressantes. Tu ne peux pas écrire des paroles de type ‘je suis allé au travail hier, j’ai fait des constructions Lego avec mes enfants ce soir’, ça n’intéresse personne. Les gens veulent entendre des morceaux qui vont leur dire des choses sur la condition humaine. J’ai dû me concentrer très fort pour retrouver les sensations que j’avais quand on a écrit le premier disque, dans un entrepôt sans fenêtre. Pour écrire, il faut repousser ta vie de tous les jours loin de ton cerveau.”
“Nous sommes un groupe étrange qui écrit les musiques et se demande ensuite comment il va se débrouiller pour arriver à les jouer sur scène.”
Le 10 novembre à la Maroquinerie, Flotation Toy Warning a joué trois des morceaux qui seront promis à son nouveau disque. C’était sa première scène depuis le 23 octobre 2011, à Paris déjà, au Café de la danse. Controlling the Sea, Driving Under the Influence of Loneliness et I Quite Like It When He Sings permettent déjà de ne pas exclure un improbable scénario : avoir un deuxième disque aussi magique que le premier. Les recettes de fabrication demeurent dans les grandes lignes. “Il y a encore des tas d’arrangements. Nous sommes un groupe étrange qui écrit les musiques et se demande ensuite comment il va se débrouiller pour arriver à les jouer sur scène. J’ai l’impression qu’il y a des chansons proches du premier album mais qu’il y a aussi des choses plus immédiates, pop et rapides. La direction reste cependant la même.”
L’enregistrement et les concerts réalisés dans le cadre du festival Talitres ont au moins eu le mérite de refaire de Flotation Toy Warning un vrai groupe. “Ils étaient ravis de ce retour, de cette attente, de cet accueil”, témoigne Sean Bouchard. “Au-delà de l’émotion humaine et artistique, au delà du fait d’avoir eu l’impression de retrouver des amis chers, leur set avait été réellement préparé. J’ai insisté pour qu’ils acceptent de faire ces deux dates. Ils ne jouent guère, voire pas. Ils ont passé quelques jours pour se retrouver et répéter. Ça s’est vu et c’est important.”
Ne pas usurper ce statut d’artiste qu’on écoute avec intérêt était crucial pour Paul Carter dans le processus de retour. “Je dois être honnête. Quand je me suis remis à écrire, ça a pris plusieurs semaines avant que des paroles intéressantes viennent. Je me suis demandé : ‘Est-ce que je peux toujours faire ça ? Ça fait un bail ! ‘, J’ai passé plusieurs semaines en studio et rien d’intéressant ne se passait. Tu te sens en colère, jusqu’au moment où il se passe quelque chose. Maintenant nous sommes excités et nous réalisons aussi qu’il manquait quelque chose à nos vies.”
L’histoire de Paul Carter n’est peut-être pas “rock’n roll”, elle conserve la puissance d’une révélation intime. “Ado, j’avais l’habitude de me lever en pleine effervescence au milieu de la nuit, se souvient le papa poule et travailleur social. Je pouvais écrire jusqu’au lever du jour. Je n’ai pas commencé à être musicien avant 25 ans. J’étais très timide, je n’avais pas vraiment confiance en moi et je n’avais jamais pensé que faire de la musique était quelque chose de possible. Aucun membre de ma famille de mon entourage n’avait déjà fait ça. L’obsession n’est jamais partie. Au milieu de la vingtaine, j’ai réalisé que si je ne commençais pas maintenant, je ne le ferais jamais. C’était effrayant : tous ceux que je croisais faisaient cela depuis dix ans. Puis j’ai rencontré Ben et Nainesh. Enfin des personnes comme moi. C’était toujours effrayant de faire de la musique mais ça devenait possible.” Le deuxième album de Flotation Toy Warning a lui aussi arrêté de lui faire peur. Une dernière inspiration avant le grand saut et le vertige sera enfin réservé aux auditeurs. •