Max Cooper, la science du rythme

Thomas Schwoerer
Magic RPM
Published in
5 min readJan 13, 2017
Max Cooper (DR)

De sa banlieue de Belfast jusqu’aux bancs de l’université de Nottingham, Max Cooper était promis à un tout autre destin. Il y a dix ans, fraîchement diplômé en biologie moléculaire assistée par ordinateur, il a fait un grand saut qui ne manque ni d’éclat, ni de logique. De la science aux musiques électroniques, il établit désormais des correspondances qui l’inspirent plus que jamais, comme sur son second album Emergence, sorti fin 2016, qu’il porte sur scène (ce samedi 14/01 à l’Elysée Montmartre à Paris), tout seul à travers le monde.

Si la pop moderne au sens large épouse depuis plusieurs décennies des formes bien paradoxales, le chemin mené au départ par les musiques électroniques n’a pas été des plus clairement balisés, d’épiphénomènes en sous-genres, qu’il s’agisse de courants passagers ou de pierres fondatrices. Max Cooper a évolué au moment de cette épique valse des étiquettes, plongé dans le bain bouillonnant de la house à la rave, jusqu’au breakbeat et la techno, sans oublier quelques passages par le hip-hop ou la soul et le funk. D’une mère pianiste dont les leçons à domicile lui laisseront un souvenir de gammes ininterrompues qui ont peut-être tué dans l’œuf sa première approche de la musique à travers un violon qu’il appréhende sans passion, Max se laisse une bonne fois pour toutes émanciper dans sa découverte des clubs, dans l’effervescence du milieu des années 90 en Angleterre. Au sortir d’une adolescence bercée par ce qu’il appelle poétiquement “la pureté des formes synthétiques” écoutées par une sœur fan de New Order ou Depeche Mode, il devient progressivement dj. Dans l’espace confiné derrière les platines, il trouve un remède à sa timidité naturelle. “Je ne suis pas naturellement celui qui est au centre de l’attention. J’ai toujours détesté les performances en public, les pièces de théâtre à l’école, mais là, c’était différent, je trouvais ça réellement excitant.

D’un genre musical à l’autre, Cooper s’attache à trouver sa voie, alternant boucles électroniques et études scientifiques. La biologie moléculaire assistée par ordinateur, plus précisément, qu’il étudie jusqu’au PhD, puis au travail de recherches dans la génétique : “On peut utiliser les ordinateurs pour simuler les complexités de la vie, et étudier comment son évolution fonctionne, comment nous avons changé à travers ces millions d’années, partant d’une simple cellule sur un laps de temps très long.”
Sur ses multiples écrans, il étudie puis se met à composer, cherchant autant à théoriser les mystères de la nature qu’à donner du sens à ses recherches de créations musicales. “Faire de la musique est en quelque sorte assez similaire dans l’acte, je dispose d’outils qui me permettent d’explorer un système, mais cette fois de façon plus intuitive”.
A un moment, il doit pourtant faire face à un choix : “Je suivais la voie universitaire traditionnelle, mais j’ai voulu me focaliser pleinement sur l’une de mes activités pour ne pas échouer dans les deux, et j’ai choisi la musique.” Les premiers pas signifiants de Cooper sur microsillon datent déjà d’il y a une bonne dizaine d’années. Alors qu’elle reste encore campée dans un format classique de techno minimale aux boucles liquides, sa conception s’imprègne déjà de l’équation inaltérable entre l’influence de Radiohead et de l’electronica made in Sheffield du labed Warp et ses artistes phares, Autechre et Boards Of Canada.

Très productif dans les premières années de sa carrière, Cooper multiplie les sorties vinyle, notamment sur des labels comme Traum Schallplatten à Cologne. La suite se dessinera en s’éloignant de ce format LP quatre titres dans lequel il se sent un peu à l’étroit. Human (2014), son premier album, est alors une véritable émancipation : “C’était ma façon à moi de me libérer des contraintes d’une musique designée pour les pistes de danse, de trouver une identité musicale propre en tentant d’autres choses. Des voix, des vrais instruments, j’ai voulu ouvrir mon champ musical au maximum.” Plus émotionnelle, il peaufine une forme extrêmement élaborée et esthétique, cinématique à chaque instant, et peut-être parfois un peu trop parfaite de sa musique électronique. Deux ans plus tard, son travail trouve un nouvel élan à travers un second album, Emergence, dont le sujet est en lien direct avec son passé dans la recherche génétique. “Je suis parti sur l’idée dingue et très ambitieuse de parler de l’histoire du développement de l’univers, de la façon dont des choses extrêmement complexes comme les êtres humains ont été créés à partir de l’immatériel par l’action de simples lois.”

Max Cooper — Emergence (Mesh, 2016)

Le principe était cette fois d’associer l’image aux compositions de Cooper. “Dans cette épopée incroyable qu’est la chronologie de la création, j’ai voulu dédier un chapitre de l’histoire pour chaque morceau, avec un artiste vidéo différent à chaque fois.” Au fil des mois, Cooper part à la recherche des artistes spécialisés en animation graphique, qu’il déniche parfois le plus simplement du monde, comme le Grenoblois Maxime Causeret, dont le travail était en ligne sur Vimeo.

Avec Emergence, Cooper parvient cette fois à une forme de beauté immédiate, qui happe instantanément. Fluidité des accords, pureté des lignes, précision des textures, il construit en grand angle une partition sur le fil tendu d’une émotion palpable. Si certains titres comme le fiévreux Distant Light flirtent encore avec les rythmiques binaires chères à ses années techno, il explore les contrées ambient avec tout autant d’inspiration sur une belle partie de l’album. Plus encore, le travail des artistes vidéo a donné une dimension supplémentaire à son idée. En illustrant une représentation de la biogenèse en lieu et place d’un futur fantasmé généralement incarné visuellement par les musiques électroniques, il évite les clichés inhérents au genre, puisant son inspiration dans un matériau bien plus puissant et universel, l’histoire de la création. Sur scène, Max Cooper est seul, simplement entouré de deux laptops, l’un dédié à l’image, l’autre au son. “Pour certains morceaux, j’ai plus d’une centaine de petits clips vidéo de simulations de structures de cellules en développement, que je peux assortir avec mes pistes de son. J’interagis aussi sur les effets visuels et sonores, parfois je cartographie la salle pour y installer mes projections de façon optimale. C’est à chaque fois une nouvelle création.” Et s’il reste un garçon plutôt terre à terre et discret dans la vie, Max Cooper profite de ses heures creuses pour s’ouvrir l’esprit… en lisant des ouvrages scientifiques. Histoire de ne pas couper avec la continuité de sa propre histoire.

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Thomas Schwoerer
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