Écrire des fictions pour la radio

Magnéto
Magnéto
10 min readFeb 18, 2018

--

Entrevue avec François Pérache, auteur de fictions pour Radio France et Arte Radio

Propos recueillis par Marie-Laurence Rancourt | février 2018

Par la série d’articles que Magnéto amorce avec cette entrevue, l’organisme souhaite faire connaître les métiers méconnus du monde de la radio, poursuivant ainsi son objectif de reconnaissance de la création radiophonique au Québec. Parmi les métiers à (re)découvrir, celui d’auteur radio nous apparaît primordial, puisqu’il se révèle en voie d’extinction au Québec comme le suggère une visite sur le site de la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC), où c’est tout au plus une trentaine d’auteurs radio qui y sont recensés. Et si on conduit l’enquête plus loin, on ne peut que constater que la plupart des créations enregistrées précèdent la fermeture de la Chaîne Culturelle de Radio-Canada (2003). S’il y a quelques créations postérieures à cette date, elles sont pour le moins inhabituelles. Enfin, à ma connaissance, personne ne vit actuellement du métier d’auteur radio au Québec à l’heure actuelle (si oui, manifestez-vous!). En somme, le métier d’auteur, faute d’encouragements, est une profession qui s’évanouit peu à peu chez nous. Une raison suffisante pour enterrer le métier? Pas du tout, au contraire! Voilà l’occasion de le déterrer pour lui redonner ses lettres de noblesse et prouver son importante résonance avec notre époque, aussi contemporaine soit-elle.

François Pérache est auteur de fictions pour la radio, mais dans une autre vie pas si lointaine il a été ingénieur, analyste médias pour les services du Premier ministre et coordinateur du marketing de l’ensemble des sites internet gouvernementaux. Rien à voir avec la création radiophonique, auriez-vous tendance à penser ?

S’il se présente comme un auteur atypique venu au métier par les chemins de traverse, après des études de théâtre comme comédien, François Pérache puisera subséquemment beaucoup de son inspiration d’auteur à même ses pérégrinations politiques. Ce n’est pas tout à fait un hasard si un jour, il écrit 57 rue de Varenne pour France Culture: une série qui invite l’auditeur à pénétrer les arrière-cours de tous les lieux de pouvoir où se croisent jeunes loups de la politique et grands serviteurs de l’État. Ce sera le début plus que prometteur de sa carrière d’auteur de fictions pour la radio. Depuis, il a beaucoup fait parler de lui, et ça ne fait que commencer.

MLR: Comment as-tu commencé à écrire pour la radio?

À 30 ans, j’ai commencé à faire du théâtre mon métier. J’ai fais une école de théâtre et donc je suis aussi comédien: je fais ça la moitié de mon temps. Je fais beaucoup de théâtre, un petit peu de télé et des tournages quand je peux. Il y a 5 ans je me suis mis à être comédien pour des fictions radio à Radio France.

Radio France (France Inter et France Culture) — ça ne se sait pas beaucoup même en France — mais c’est le premier employeur de comédiens en France, c’est eux qui emploient le plus de comédiens. Il y a chez France Culture et France Inter une très importante production de fictions.

J’ai fait un stage pour apprendre à être comédien de fictions: juste comédien, pas auteur, mais c’est déjà pas mal ! Dans le cadre de ce stage j’ai rencontré un réalisateur, Cédric Aussir. Cédric savait que j’avais travaillé dans le milieu politique, et un jour il m’a engagé comme comédien pour une fiction. Je faisais le personnage du perroquet.

En quittant le studio, Cédric me dit: toi qui a bossé dans la politique, est-ce que tu voudrais pas nous écrire une fiction sur la politique ?

J’ai dit non, car ce n’était pas mon métier, je n’étais pas auteur. Il m’a dit d’essayer quand même. Et donc j’ai proposé à la direction des fictions de France Culture une fiction politique qui s’appelle 57, rue de Varenne. Ça leur a plu beaucoup. C’est comme ça que ça a démarré; par 57, rue de Varenne. À l’heure actuelle, on est à 3 saisons, et je prépare présentement la 4e. Après les projets se sont enchaînés. Je travaille aussi pour Arte Radio (De guerre en fils) et France Inter (Affaires sensibles).

Tu sais, la production est très différente chez Arte et chez France Inter ou France Culture. Cette production modifie beaucoup l’écriture. L’écriture se transforme en fonction du producteur dont les moyens de productions varient.

MLR: Comment se forme-t-on au jeu pour la radio comme comédien ?

Il faut d’abord se former comme comédien. J’ai donc suivi une formation de trois ans, dans une école privée de théâtre qui s’appelle Claude-Mathieu. En France, il y a plusieurs écoles de théâtre — publiques et privées — mais aucune d’elle, à ma connaissance, ne forme les comédiens à la radio. D’ailleurs, je crois qu’aucune école ne propose de formation à la fiction radio dans le cadre du cursus suivi par les comédiens. C’est donc une formation très spécifique.

À ma connaissance, en France, il n’y a qu’une seule formation offerte pour devenir comédien à la radio. Elle est donc très en demande — mais très peu connue. C’est une association, Les chantiers Nomades, qui, depuis des années, propose un stage par an, d’une durée d’un mois. L’association propose le stage en partenariat avec France Culture: ainsi, elle invite un auteur et un réalisateur de France Culture, et sélectionne une quinzaine de comédiens.

Pendant un mois, les comédiens se forment au jeu au micro — qui est un jeu très spécifique.

Le stage est l’occasion de réaliser un feuilleton qui va ensuite être diffusé à la radio; c’est un stage très professionnel. On travaille des textes qui sont commandés aux auteurs spécifiquement pour le stage; ils ont une visée pédagogique et le nombre de personnages correspond au nombre de stagiaires.

Et puis, il y a plusieurs éléments à considérer quand on enregistre une fiction. Par exemple, est-ce que ça va se faire en studio ou pas en studio ? Dans les studios eux-mêmes, il y a toujours trois types d’espace: les studios classiques — assez grands -, une petite chambre sourde (pièce capitonnée pour faire les extérieurs, par exemple un bord de plage) et une chambre claire où ça résonne beaucoup, pour simuler les grands espaces.

Les dispositifs d’enregistrement sont aussi très différents chez Arte Radio ou à France Culture. Par exemple, à France Culture, il y a systématiquement un bruiteur. Le bruit n’est jamais fait par un comédien à France Culture; c’est le bruiteur qui s’en charge. Chez Arte Radio, les comédiens peuvent tout faire; ils jouent, ils font eux-mêmes les bruits. Là je te parle du jeu, comme je suis aussi comédien, mais il y a tous les aspects qui concernent l’écriture et que je connais à titre d’auteur.

On peut parler d’écriture au sens large, de ce qu’il y a de spécifique comme écriture à la radio ou encore, de l’écriture radio en fonction des contextes de production. En fait, comprendre les moyens de production concrets — quel studio j’aurai; combien j’ai de comédiens; est-ce que j’ai un bruiteur ou pas — tout ça a un impact sur la manière dont j’écris la fiction en amont.

Par exemple, à France Culture, je sais que j’ai des moyens quasi illimités: je peux mettre autant de comédiens et de lieux que je le souhaite, ça ne pose pas problème. France Culture a le temps et les moyens, alors comme auteur on peut faire presque tout ce que l’on veut. Pour France Inter, par exemple, j’ai des moyens limités; pour faire une émission de 30 minutes, nous aurons 6 heures de studio, et on doit limiter le nombre de comédiens, sinon on manque de budget. Alors quand j’écris pour France Inter, je sais dès le départ que je suis limité en nombre de personnages et de lieux dans lesquels je peux les faire évoluer. Et donc ça change l’écriture. Qui plus est, à France Culture, le sujet sur lequel j’écris est très libre; pour France Inter, on me donne un sujet, c’est une commande dont la forme doit être fictionnelle.

MLR: Les producteurs te donnent combien de temps pour écrire une fiction généralement ?

Il n’y a pas de règle. Parfois, les commandes sont très serrées, 2–3–4 mois seulement. Heureusement, l’une de mes qualités, c’est que j’écris très vite.

Pour 57 rue de Varenne, je mets en moyenne un an pour écrire une saison. Ça ne me prend pas un an, mais je le processus va perdurer durant une année.

MLR: Il y a beaucoup d’auteurs radios en France ?

Je ne sais pas du tout, mais je sais que personne n’en vit. C’est payé correctement, mais ce n’est pas suffisant pour vivre. Moi, écrire pour la radio, ça représente environ la moitié de mes revenus; l’autre moitié, ce sont mes revenus de comédien.

MLR: Qui sont les principaux producteurs de fictions en France?

Le plus gros producteur, c’est France Culture. Ensuite, il y a France Inter et Arte Radio — qui fait 2 ou 3 grosses fictions par an. Il y a aussi de nouveaux entrants en podcast: Binge, Slate, etc. Mais je les connais mal; à ma connaissance, ce sont des gens qui font du storytelling et non pas de la fiction. Mais tu as plein de très belles choses là aussi.

Ce qui est intéressant en France actuellement, c’est qu’il y a un vrai renouveau. Par exemple, Canal , qui est une grosse chaîne française de cinéma vient de créer une série uniquement audio. La fiction audio revient à la mode; même la télévision s’intéresse au son !

MLR: Comment as-tu développé ta plume radiophonique?

La première chose que je tiens à dire, c’est que la radio est un médium très libre. Libre dans le sens qu’il y a des formes extrêmement différentes d’écriture qui peuvent s’y retrouver. Par exemple, sur France Culture, il y a des textes qui peuvent être à la limite de la poésie (ce qui n’est pas du tout mon cas!). Il y a des pièces qui sont adaptées du théâtre qui vont se retrouver à la radio. Et puis il y a des choses qui sont écrites spécifiquement pour la radio. Je ne peux parler que de ce que je connais.

France Culture m’a sollicité dès le départ pour des feuilletons très réalistes. Aujourd’hui, je pourrais dire que ma spécialité, c’est l’écriture du dialogue pour la radio. Quand j’écris, je dois très bien connaître mon sujet; je commence par me documenter, c’est la première chose. Ensuite, j’écris à haute voix — j’aime bien cette citation de Valère Novarina qui dit: j’écris par les oreilles. Évidemment, à la radio, c’est hyper important. En tant que comédien de fictions, il faut reconnaître que le texte est super parfois, mais pas du tout écrit pour être dit à l’oral. Dans mon écriture, je fais attention à ce que ce soit le plus facile à dire possible pour les comédiens.

Indépendamment du fond, j’ai aussi des obsessions.

Par exemple, il ne faut jamais que les scènes qui composent la fiction soient des conversations. On se débrouille toujours pour que ce qui est dit soit de l’action. C’est très important; il ne s’agit pas que les comédiens s’agitent, mais dès qu’ils ne font qu’être en discussion, c’est perdu. Il me faut aussi impliquer plusieurs personnages; j’aime impliquer 4–5 personnages en même temps, ça rend le dialogue beaucoup plus actif. On a besoin de ça, je crois, dans le type d’écriture que je fais, qui est très vive et contemporaine, pas du tout poétique. Ce qui est important aussi c’est de raccourcir, densifier le dialogue. Quand on a terminé l’écriture, on révise avec l’objectif de supprimer un maximum de choses. Une fois que la scène est prête on la réécrit jusqu’à ce qu’on ait enlevé tout ce qu’on peut enlever. C’est toujours trop long; c’est toujours trop bavard ! Il faut savoir donner le plus d’information nécessaire à la compréhension de l’auditeur, tout en s’assurant que lui puisse aussi remplir les autres cases…

Une des erreurs classiques en fiction, c’est qu’on écrit trop.

Par exemple, on donne tous les détails plutôt que de commencer directement dans la conversation. Tu dois raconter tout, mais sans le dire. Tu ne fais pas dire aux personnages qu’ils boivent un café ou ouvrent une porte; l’auditeur va les entendre et comprendre immédiatement ce qui se passe. On doit faire comprendre qui parle, d’où ils parlent, quels sont les rapports entre les personnages, etc.: tout ça, sans recourir à l’image! Il faut cacher l’exposition. Tu dois tout raconter, mais sans le dire, sans le formuler explicitement. C’est pas facile!

Pour moi l’écriture pour la radio a ses spécificités.

À la radio, encore davantage qu’au cinéma, il faut pouvoir distinguer et reconnaître les personnages en fonction de leur type de parole. C’est le travail de l’auteur que de s’assurer de les personnifier dans leurs discours. Chaque personnage doit avoir sa propre façon de s’exprimer. Trop souvent, les personnages parlent tous la même langue: la langue de l’auteur. Je crois que chaque personnage doit pourtant parler une langue très spécifique, et non pas parler le même niveau de langue. Il faut caractériser encore plus qu’à l’image l’écriture: dans le rythme, les tics, les obsessions. Il faut pouvoir identifier les personnages très vite comme auditeur.

En cinéma, il y a des plans serrés, rapprochés, il y a des flous: avant même de regarder ce qu’il y a à l’image, le cadre raconte déjà quelque chose. En radio, il n’y a pas de cadre. Alors j’utilise les dispositifs sonores possibles: l’intérieur d’une voiture, en faisant de la course, le téléphone, une boîte vocale, etc. Ça attire l’oreille de l’auditeur et ça lui permet de comprendre des choses. C’est l’auteur qui donne ces indications dans l’écriture du script; pas le réalisateur.

MLR: Est-ce que ça ressemble au théâtre la radio en matière d’écriture?

Mon écriture ressemble davantage à celle pour le cinéma ou la télévision. Je réfléchis aux cadres. Quand j’écris, j’aime bien le faire en pensant au dispositif de réalisation. À France Culture, j’écris les indications nécessaires à la compréhension de l’histoire, mais je ne participe pas à la réalisation ; à Arte Radio, l’auteur participe à la réalisation et fait des recommandations au réalisateur. Ce n’est pas tout à fait la même écriture, encore là. À France Culture, ils achètent mon texte — en théorie, ils ne sont même pas obligés de l’enregistrer. Bref, ils en font ce qu’ils veulent. On est sur l’esprit d’un plan de travail cinéma à France Culture. Chez Arte Radio, les auteurs sont présents du début à la fin: ils participent à la direction des comédiens, au montage, au mixage, etc. C’est très différent.

MLR: Lorsque tu donnes des ateliers d’écriture, comment travailles-tu avec les participants?

Je n’ai donné qu’un seul atelier, et c’était avec Sabine Zovighian ce weekend à Brest ! Ça s’est très bien passé, même si c’était fragile et pédagogique. Mais j’aimerais bien venir donner une formation à l’écriture de fictions au Québec. Si vous m’invitez, je viendrai.

MLR: Cette proposition ne tombe pas dans l’oreille d’une sourde !

--

--

Magnéto
Magnéto

Magnéto se consacre à la conception, à la production, à la promotion et à la diffusion de créations sonores et radiophoniques. www.igg.me/at/magneto