Maia Mater : quand l’entrepreneuriat se mène à la marge

Julien Paris
Maia Mater
Published in
7 min readFeb 15, 2018
entreprendre, ou le cycle “penser grand-casser-recommencer…”

Entre juin et septembre 2017 à Nantes, quand d’aucuns se doraient sur quelque plage ou arpentaient les montagnes ou la campagne, une douzaine de personnes n’ont pas trouvé mieux que de rester en ville, qui plus est dans une caserne désaffectée, et — pis encore — à suer devant des ordinateurs en tentant de faire avancer leur projet entrepreneurial. Autant dire la garantie d’un voyage aux antipodes du farniente estival. Durant près de quatre mois en marge du rythme citadin, durant quatre mois jalonnés de rencontres, de moments d’espoirs, de longues périodes de doute, de réflexions et de programmation informatique, ce petit groupe de personnes s’est composé, recomposé, renforcé, structuré, enrichi… et a surtout beaucoup appris sur l’entrepreneuriat.

Maia Mater est le nom de ce programme estival et original d’accompagnement pour primo-entrepreneurs du numérique. C’est un programme original sous divers aspects :

  • dans son mode de portage(Nantes Métropole et agglomération de Saint Nazaire en financeurs, mais avec une coordination et une animation très indépendante) ;
  • dans son processus de sélection très ouvert privilégiant les porteurs de projets ayant peu de moyens financiers ;
  • dans le dispositif d’accompagnement mis en place. L’accompagnement en question consiste principalement en un hébergement gratuit dans une caserne désaffectée, la mise à disposition de bureaux, des repas le midi en semaine, et des rendez-vous hebdomadaires avec des fondateurs de startup expérimentés.

Je faisais partie de ce petit groupe d’estivants-entrepreneurs hors normes en tant que porteur du projet Solidata, une plateforme à destination des acteurs de l’économie solidaire. Je continue depuis cette aventure aujourd’hui sous une autre forme. Le projet Solidata m’a en effet conduit à devenir Entrepreneur d’Intérêt Général, et mon projet personnel s’est fondu dans un projet plus collectif encore : le “Carrefour des Innovations Sociales / Social Connect”, porté par le CGET et un collectif d’acteurs de la société civile ( je reviendrai à ce projet dans un futur billet).

Tant qu’à expérimenter, autant ne pas se limiter

C’est peu dire que Maia Mater est un programme expérimental. A ce titre nous — c’est-à-dire entrepreneurs comme accompagnateurs — avons découvert en cours de route à la fois les limites mais aussi tout le potentiel d’un tel format d’accompagnement.

Le programme Maia Mater dans sa première année de test a permis de révéler un potentiel, une émergence. Ce potentiel repose à mon sens sur les deux choix stratégiques forts qui ont été fait dès le départ :

  • une 1ère priorité est donnée aux questions matérielles : il s’agit de permettre à des porteurs de projets sans grands moyens financiers de travailler sans se soucier d’avoir à louer des bureaux ni de consacrer un budget à des repas hors de chez soi.
  • une 2de priorité est donnée à des porteurs de projets très motivés : les personnes retenues sont techniquement bon.ne.s dans leurs domaines d’expertise, quel que soit leur niveau de diplôme ou leur âge. Ils sont également prêts à sacrifier leur été ou leurs vacances pour un projet entrepreneurial encore balbutiant, mais pour un projet auquel ils croient de la façon la plus entière.

Ces deux choix structurant ont forgé l’identité propre du programme : à l’image de tous ceux qui y sont passés les maîtres mots durant Maia Mater auront été la résilience et la débrouillardise, l’échange, l’itération.

S’il n’en fallait retenir que deux enseignements de cet été je dirais : 1/ la valeur d’un projet ne réside que dans la personne ou le groupe de personnes qui le portent, pas dans une technologie ; 2/ la résilience des personnes et des projets est accentuée si on crée les conditions d’existence d’un collectif, souple si possible. Ces considérations prises en compte le reste n’est plus “que” du travail : préciser les besoins, trouver des “clients”, se tester autour d’un modèle économique, développer son produit… rien de très original en somme sinon une somme de tâches chronophages. Non, la particularité de ce programme aura été de prendre conscience que nous, porteurs de projets, avons vécu ensemble dans un même lieu ; nous n’avons pas simplement travaillé les uns à côté des autres.

En effet l’une des choses qui aura certainement marqué le plus cette promotion de Maia Mater est que sur la dizaine de projets qui avaient intégré le programme avant l’été 2017 il n’en restait plus que quelques-uns à l’automne MAIS que la quasi-totalité des personnes sont restées soudées tout l’été et se sont parfois “redispatchées” sur de nouveaux projets. Plus encore, les groupes et les projets se sont recomposés au fur et à mesure de l’été, et chacun a toujours trouvé où et à qui proposer ses compétences et ses envies dans un autre projet lorsque le sien battait de l’aile.

Le potentiel qui se dessine derrière cette expérience et ce collectif est encore à explorer, et les étés suivants serviront sans doute à continuer cette exploration active de qui me paraît être une forme d’entrepreneuriat “à la marge”. Il n’en reste pas moins que le programme Maia Mater accouche dans sa première année autant de projets consolidés que d’un réel “pool” de développeurs et d’entrepreneurs, pour la majorité contents d’avoir vécu cette expérience, et en ce qui me concerne conscient d’avoir été soutenu et non embrigadé par les acteurs publics et privés.

Explorer la marge c’est aussi découvrir ses limites

Cela dit il me semble évident qu’à titre de programme expérimental, qui plus est dans sa première année, certains déséquilibres se sont révélés lors de cet été et mériteraient sans doute des ajustements pour les années suivantes.

Je pense notamment à la proportion hommes-femmes parmi les porteurs de projet (même s’il y a pire dans le milieu “tech”), la faible proportion de profils plus techniques (développeurs idéalistes où êtes-vous ?), et le peu de relations avec les autres acteurs du développement économique local en dehors des startups. Des ponts seraient certainement à trouver, créer et à intégrer dans le programme de Maia Mater, avec les Ecossolies par exemple pour ne citer qu’eux.

La communication autour du programme a quant à elle souvent été perçue depuis l’extérieur comme “militaire” ou “ortho-libérale”, à mon avis à tort, le second degré de l’approche échappant parfois au premier coup d’oeil. En effet on retrouvait parmi les projet durant Maia Mater autant d’idées de startup de services purement commerciaux que d’idées d’activités gravitant autour des principes de l’économie sociale et solidaire. A nous côtoyer les uns les autres nous avons d’ailleurs tous appris ou découvert quels principes nous guidaient, et les frontières sont loin d’être hermétiques entre les projets. De plus tous les projets ont gagné à être confrontés aux mêmes problématiques face à nos mentors (modèle économique, changement d’échelle, stratégie de communication…). Maia Mater a été pensé de telle sorte que tous les profils de porteurs de projet pourraient s’y retrouver à la condition d’avoir les compétences et la motivation. Ainsi une communication trop axée et trop ancrée dans l’imaginaire “startup” fait peut-être courir le risque au programme de se priver de bonnes volontés et de profils techniques tout à fait pertinents, mais suspicieuses au vu de la comm’.

Un dernier point à développer serait — mais je serai peut-être le seul à promouvoir cette idée — de repenser la place de l’animation dans le dispositif. Certes les fondamentaux du programme font la part belle à l’auto-gestion et aux aspects matériels (hébergement, repas), mais il m’a paru que le soutien des puissances publiques qui semblent se positionner en catalyseurs / facilitateurs pourrait être plus évident. Avoir, au même titre que les mentors fondateurs de startups, un ou plusieurs mentors émanant de la collectivité serait à mon avis tout à fait pertinent sachant que plusieurs projets cherchaient à répondre à des besoins d’intérêt général. C’est dans cette perspective qu’il me semble que l’animation devrait également intégrer et revendiquer cette part de “délégation de service public” que véhicule ce programme.

Ave Maia, Codituri Te Salutant

Mais rendons à César ce qui est à César, et à Maia ce qui est à Maia : ce programme est exemplaire sur un grand nombre d’aspects.

Il est exemplaire dans sa volonté d’expérimenter de nouvelles formes de développement et de soutien aux startups en émergence, c’est un programme qui s’invente en même temps qu’il se déploie. Il est exemplaire par la confiance des acteurs publics à laisser les bénéficiaires et les organisateurs s’approprier le dispositif et dans le refus d’une approche “scolaire” de l’entrepreneuriat. Il est exemplaire dans son choix de moins privilégier les diplômes que la motivation et les compétences. Il est exemplaire dans la preuve apportée que ce ne sont ni des individus isolés ni des technologies qui créent de l’activité à eux seuls, mais qu’il faut bien créer des rencontres et des moments de friction pour qu’émerge un collectif, que se consolident les idées, et que circulent les bonnes pratiques. Il est exemplaire enfin dans son rôle de tremplin pour les différentes personnes qui y ont participé : chacun a pu à l’automne reprendre son année avec plus de compétences techniques ou commerciales, un réseau élargi d’amis et de partenaires, et surtout des projets consolidés.

L’été, partez à la marge

Maia Mater a été pour moi un lieu où je me suis senti à l’aise car un peu à la marge des dispositifs traditionnels existants. Un environnement chaleureux et stimulant où j’ai pu confronter mes idées avec celles de personnes très différentes, renforcer des convictions, apprendre tant sur le plan technique que commercial, ou encore découvrir l’énergie d’un collectif. J’ai énormément apprécié la possibilité de découvrir cette diversité des parcours, des expériences, et des personnalités.

Monter un projet d’entreprise, qu’il s’agisse d’un projet purement commercial ou dans l’économie sociale et solidaire, est éprouvant et demande aux porteu.rs.ses de s’ouvrir à quantité de problématiques auxquelles ils.elles ne s’attendaient souvent pas : modèle économique, retours d’utilisateurs, problèmes de développement, … Il est essentiel de poursuivre ces projets en se sentant faire partie d’un groupe, de se sentir accompagné, puis de puiser dans ce collectif l’énergie et l’envie de continuer.

Bref Maia Mater est une expérience à recommander aux porteurs de projets exigeants, qui cherchent à sortir de leur zone de confort pour mettre à l’épreuve leurs idées, et qui souhaitent faire partie de ceux qui explorent les zones inexplorées de l’entrepreneuriat plutôt que de bronzer pendant l’été…

Plus d’infos ici :

Maia Mater / infos ou postuler : http://maiamater.com/

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