De l’Afrique du Sud au Mozambique, ces femmes qui bousculent les codes

World of Women
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7 min readJan 16, 2020

World of Women est un média d’inspiration dressant des portraits de femmes aux parcours atypiques à travers un podcast, des articles, des vidéos et une newsletter. Nous sommes Isolde Roumy (étudiante emlyon business school) et Selma Gasc (étudiante ESSEC) et pour la première édition du projet, nous sillonnons actuellement l’Afrique à la rencontre d’une centaine de femmes. Voici nos retours sur deux pays d’Afrique australe : Afrique du Sud et Mozambique !

Les femmes que nous avons rencontrées

Melanie Verwoerd — Verwoerd. Ce nom évoque les horreurs du passé de l’Afrique du Sud, en référence au Premier Ministre Hendrik Verwoerd considéré comme l’architecte de l’apartheid. Et pourtant, Melanie Verwoerd lui donne une autre connotation. Enrôlée très tôt dans l’ANC, le parti de Nelson Mandela, elle devient à 27 ans la plus jeune femme à être élue au Parlement. Elle a participé à la reconstruction du pays pendant 8 ans, notamment avec la rédaction de la nouvelle Constitution, pour ensuite passer en diplomatie, en tant qu’Ambassadrice d’Afrique du Sud en Irlande, et enfin devenir Directrice d’UNICEF Irlande. Désormais analyste politique de renommée, elle écrit des livres et partage son parcours exceptionnel avec nous.
Emma Hosking et Kim Bloch Emma et Kim sont les fondatrices de Umthunzi Farming Community. Leur objectif : émanciper économiquement les petits agriculteurs issus des bidonvilles de Cape Town. De façon hebdomadaire, elles récoltent leurs légumes pour les livrer partout à travers la ville. Nous nous sommes rendues dans le bidonville de Nyanga pour assister à l’une de ces récoltes.
Nompumelelo Mqwebu — Elle est l’une des chefs culinaires les plus en vue du continent africain : Nompumelelo Mqwebu aka Chef Lelo. De la création d’un restaurant éphémère, à celle d’un festival panafricain de cuisine, en passant par la rédaction du livre Through the Eyes of an Africain Chef, Nompumelelo donne un souffle nouveau à la cuisine sud-africaine en la propulsant sur la scène internationale. Elle nous livre son parcours.
Thabi Leoka — Thabi Leoka est l’une des économistes les plus respectées d’Afrique du Sud. Née à Soweto, son ambition était de devenir la première femme présidente de son pays. Elle s’est finalement dirigée vers la banque, où argent et pouvoir sont légion. Elle fait ses classes chez Barclays à Londres puis à la Standard Bank à Johannesburg, où elle compare ses journées à des matchs de rugby où elle affronte les traders avec agressivité et fermeté. Désormais à la Société Publique d’Investissement (le plus grand gestionnaire de fonds du pays, avec plus de 3 trilliards de rands sous gestion), elle travaille au sein de la Commission d’enquête sur les cas de corruption, de mauvaise gestion et de manque de transparence au sein de l’Institution. Une femme de poigne qui n’a pas peur de montrer les crocs.
Thabiso Mahlape — La littérature sud-africaine prend un nouveau tournant avec Thabiso Mahlape, la première femme noire à la tête d’une maison d’édition en Afrique du Sud. Incubée par Jacana Media, Thabiso a lancé BlackBirds Books, une maison d’édition pour les écrivains noirs contemporains. De stagiaire à directrice d’édition, Thabiso nous raconte son ascension dans le monde très concurrentiel et discriminatoire de l’édition.
Michelle Henley — Michelle Henley a dédié sa vie à la sauvegarde des éléphants en Afrique du Sud. Michelle Henley, lauréate du prix national de la Société pour la Faune et l’Environnement en 2013, rêvait déjà à 5 ans de devenir garde forestière. En 2003, elle a fondé Elephants Alive, organisme œuvrant pour la conservation de l’espèce en Afrique du Sud.
Les Black Mambas Black Mambas, c’est la première unité anti-braconnage au monde à être composée à 100% de femmes. Lancé en 2013, l’idée du projet est à la fois de lutter contre le braconnage mais aussi créer du lien dans les communautés locales en insistant sur les bénéfices de la conservation plutôt que du braconnage. Leur conviction, c’est que la lutte contre le braconnage ne se gagnera pas avec des armes, mais en incluant les populations locales dans la bataille et en se concentrant sur l’éducation des plus jeunes.
Miriam Altman — Économiste de renom, fine stratège des grands groupes, activiste sociale… Miriam est une travailleuse insatiable. Après sa lutte contre l’apartheid, elle joue un rôle majeur dans l’élaboration des politiques liées à l’emploi et la réduction de la pauvreté en Afrique du Sud. Trois années lui suffisent pour redresser Telkom en prenant la tête de la stratégie entre 2013 et 2016. Comme son travail professionnel, son engagement civique ne connaît pas de limites : Amnesty International, Fondation Tiger Brands, Youth Initiative Program, etc. Son leitmotiv est simple : générer un impact positif économiquement et socialement.

Nos retours

Ne pas se limiter aux codes dit « féminins »

En Afrique du Sud, les femmes sont là où on ne les attend pas. Dans la brousse, les Black Mambas risquent leurs vies pour défendre les rhinocéros des braconniers, le tout sans le moindre armement. Même chose pour Michelle Henley à qui on a pourtant martelé qu’une femme ne pouvait pas devenir ranger. Elles ont bien su prouver le contraire ! Michelle Henley le dit : il faut suivre son instinct, croire en ses convictions et se montrer implacable pour les défendre. Et évidemment, savoir se remettre en question dans les situations difficiles.

Dans la sphère familiale la cuisine est souvent l’apanage des femmes alors que dans la sphère professionnelle, elle devient une affaire d’hommes. Chef culinaire et femme, Nompumelelo Mqwebu a réussi le tour de passe de propulser la cuisine sud-africaine sur la scène internationale. Nompumelelo en est convaincue : rien ne peut s’opposer à une passion lorsque le travail est à sa hauteur.

Autre exemple : le monde de la finance est connu pour être dominé par des hommes blancs âgés mais Thabi Leoka a fait sa place. Après plusieurs tables rondes et conférences, elle a su faire entendre sa voix et gagner sa légitimité. Même chose pour l’économiste Miriam Altman que le CEO de Telkom est venu débaucher pour définir la stratégie de l’entreprise dans une phase de déclin rapide.

On place régulièrement les femmes dans des carcans. Traditionnellement, certaines professions se veulent plus « masculines » que « féminines » et vice-versa mais les codes se bousculent. Toutes ces femmes sont autant d’exemples qui réussissent malgré les préjugés. Fini les brimades, fini l’autocensure.

Assumer son ambition

Dans certaines oreilles, « être ambitieuse » peut avoir une connotation péjorative. Trop carriériste, trop compétitive, trop prétentieuse. Pourquoi faire de l’ambition une tare lorsqu’elle est féminine ? En tout cas, les femmes que nous rencontrons prouvent qu’il n’y a pas de honte à être ambitieuse.

Alors que personne n’aurait misé sur elle, Thabiso Malhape est devenue la première femme noire sud-africaine à la tête d’une maison d’édition. Nompumelelo Mqwebu s’est fixée l’objectif audacieux de faire connaître la cuisine sud-africaine sur la scène internationale. Malgré son nom de famille, Melanie Verwoerd a eu le courage de s’engager à l’ANC et faire tomber l’apartheid. Avec le rêve de devenir Présidente de la République, Thabi Leoka s’est finalement tournée vers la finance pour avoir un train de vie confortable. Et elle n’a pas honte de le dire.

Pour elles, ambition rime avec audace, dynamisme, motivation, prise d’initiative, confiance en soi. Soyez fières de vos ambitions.

Les femmes que nous avons rencontrées

Sofia Dias Cassimo : Sofia est la présidente du département dédié aux femmes au sein de la Confédération des Associations Economiques du Mozambique, l’équivalent du MEDEF français. Et ce n’est pas son unique casquette ! Après près de 10 ans d’études de médecine, elle décide finalement de ne pas devenir praticienne. Elle se lance dans l’entrepreneuriat social et crée SamSara le premier cabinet mozambicain alliant conseil et investissement à impact social. Son futur objectif : développer un hub entrepreneurial à Maputo pour accompagner les start-ups de A à Z.
Daniela Santos : « Où vous voyez-vous dans 5 ans ? » : la question que personne n’aime s’entendre poser en entretien. Et pourtant Daniela nous jure qu’elle est essentielle dans le développement d’une carrière. Définir une stratégie est indispensable et pas seulement sur 5 mais 10 ans, mais comment faire ? Celle qui a fait plus de 11 ans en finance et dans le secteur bancaire est désormais Directrice Adjointe de Planification, Comptabilité et Gestion à la BCI, l’une des banques les plus importantes du Mozambique. Elle nous explique, pas à pas, comment construire un plan de carrière. Mais pas seulement : elle nous confie ne jamais avoir compris ce que ça voulait dire, le ‘leadership masculin’, nous parle de la difficulté de passer d’une équipe de 10 à 100 personnes, et partage sa stratégie de management, alternant entre autoritarisme et esprit démocratique.
Mody Maleiane : Dès l’âge de 17 ans, Mody commence à travailler pour subvenir aux besoins de sa fille. Dotée d’une fibre entrepreneuriale, Mody ouvre plusieurs salons de coiffure et une agence de mannequinat à Maputo. Avec la volonté d’émanciper les femmes, Mody créé ICEF, un cabinet de conseil et de micro-crédit dédié aux femmes entrepreneures au Mozambique. En seulement trois ans, 150 femmes ont déjà été financées.
Neusa Marcelino : Maersk, Safmarine, CMA-CGM : les grands noms du transport maritime figurent tous sur le CV de Neusa Marcelino. Elle est aujourd’hui directrice de la région Mozambique de CMA-CGM, leader mondial en transport maritime. Pour grimper les échelons, il lui a fallu surmonter le fait d’être jeune et d’être une femme, montrer ce qu’elle pouvait apporter à l’industrie. Elle a fait des choix contre-intuitifs, prête à accepter des emplois moins prestigieux pour se former techniquement. Car sa stratégie est simple : son degré de compétences est son meilleur atout pour s’imposer dans le secteur.

Nos retours

Des femmes aux postes de direction : tout un programme

Le Mozambique a une histoire complexe : après des décennies de guerre, beaucoup de mozambicains partis à l’étranger ont décidé de rentrer au pays pour participer à sa reconstruction. Cette ambition habite toutes les femmes que nous avons rencontrées : il est indispensable pour elles d’apporter leur pierre à l’édifice. Et la première étape pour avoir un impact sur leur propre pays a évidemment été de déceler les manques à gagner : Sofia Cassimo, par exemple, s’est lancée dans la fondation de Samsara pour compenser l’inexistence de fonds d’investissement finançant les entreprises sociales dans le pays. Mody Maleiane, quant à elle, s’est donné comme objectif de dynamiser l’entreprenariat féminin avec ICEF Microcrédit, pour offrir de nouvelles opportunités aux femmes du secteur informel, largement laissées pour compte.

Et la tâche n’est pas facile. Car ces femmes cumulent deux ‘faiblesses’ : elles sont femmes et elles sont jeunes. Neusa Marcelino décrit très justement cette problématique en évoquant ses débuts dans le secteur plutôt masculin du transport maritime : pour être prise au sérieux, elle a dû travailler son apparence, se donner des airs plus âgés, pour asseoir sa légitimité. Daniela Santos, après 11 ans dans le secteur bancaire et financier, explique que la meilleure façon de se faire respecter par ses pairs est d’être absolument irréprochable sur ses compétences et ses connaissances : il faut faire dix fois plus et dix fois mieux pour n’avoir rien à se reprocher.

Mais la tendance est à la présence croissante des femmes dans des métiers où elles étaient traditionnellement absentes, notamment grâce au travail d’hommes ayant pris conscience des avantages conséquents de plus de diversité dans les entreprises. Daniela a été poussée par ses deux mentors, qui lui ont appris tout ce qu’ils savaient, et à son tour tente d’aider les femmes à accéder à des postes plus importants. Comme le dit Mody Maleiane, « la réussite ne peut pas être uniquement personnelle : je veux que les autres femmes réussissent ».

Cela signifie également que les femmes ont une responsabilité à ne pas reculer devant les postes de direction et à trouver leur propre style de gestion. On a tendance à avoir une vision très fermée de ce qu’est une femme manager, et il est urgent de se défaire de ces carcans : une femme peut être directe, autoritaire, elle n’est pas obligée d’être empathique et compréhensive. Ces préjugés sont des chaînes qui empêchent les femmes managers de réaliser leurs pleins potentiels.

Du défi de construire une carrière cohérente

Beaucoup de conseils nous ont été dispensés tout au long de ces entretiens. Le premier : nos études ne nous définissent pas. Sofia Cassimo a bien fait des études de médecine, pourtant elle a bifurqué en économie et en finance. « Avec Internet, on est capable d’étudier à Cambridge sans jamais y mettre un pied ». Il suffit d’avoir une vision nette de ce qu’on est capable de faire et y aller au culot. Mody Maleiane, par exemple, est devenue une présentatrice radio en vogue par le seul fait de toquer à la porte d’une chaîne de radio et lui proposer un programme.

Une autre composante pour une carrière cohérente avec ses envies, c’est d’être curieuse dans le choix de ses emplois, et ne pas hésiter à en tester de nombreux pour découvrir ce qui nous anime. Mody avait commencé par ouvrir une chaîne de salons de coiffure, puis une agence de mannequinat, pour enchaîner dans l’événementiel, la radio et enfin lancer une banque de microcrédit.

Neusa nous apprend également qu’il ne faut pas hésiter à accepter des emplois moins côtés, s’ils permettent d’acquérir des connaissances indispensables pour la suite. Descendre l’échelle pour mieux la remonter est une stratégie payante, car notre valeur ajoutée réside dans notre degré de compétences.

La clé pour mettre les différents conseils énumérés en œuvre, c’est d’avoir un plan de carrière clair. Daniela Santos insiste sur l’importance de la construction d’un plan sur 10 ans pour son futur professionnel. Il s’agit de définir ce qu’on veut apprendre, quelle position on veut avoir dans 10 ans, puis établir des étapes-clés à atteindre pour se rapprocher de son but. Si cela a l’air plutôt complexe à mettre en place, c’est la condition sine qua non pour tendre vers une carrière dont on sera fière.

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