J’ai participé à un symposium de chercheurs qui « hackent » la recherche et j’ai aimé ça

Valérie Jobard
makerstories
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8 min readFeb 1, 2019
© Jean-Christophe Benoit

Quand Julie Fabbri, professeur en management de l’innovation, co-fondatrice du collectif RGCS (Research Group on Collective Spaces) m’a proposé de me joindre à la troisième édition de leur symposium annuel, j’ai pensé que ce genre de colloques académiques risquait d’être trop ardu pour une non spécialiste comme moi. « Pas du tout» me dit Julie. « Notre collectif privilégie une approche ludique et collaborative de la recherche, on est loin de l’image du chercheur isolé dans sa bibliothèque et des conférences arides entre spécialistes». Le thème de cette édition : « Creativity and (co-) creation in changing cities: Collectively organizing for new modes of production and innovation », qui fait particulièrement écho à l’écosystème Early Makers d’emlyon business school, achève de me convaincre. Destination Barcelone -il y a pire comme destination-pour assister au symposium RGCS 2019 organisé par les coordinatrices du chapitre barcelonais de RGCS, Montserrat Pareja-Eastaway(University of Barcelona) et Héloïse Berkowitz(CNRS, TSM Research).

Mon objectif : observer ce collectif de chercheurs en action expérimenter de nouveaux modes de partage et d’analyse.

Jour 1 « Pechakucha style » marathon

Nous avons rendez-vous à la faculté d’économie de l’université de Barcelone pour une journée, a priori classique, de présentations et d’échanges entre pairs autour d’articles ou de projets d’articles académiques. L’intitulé choisi m’interpelle : « Academic (un)conference ». Peut-être pas si classique que cela finalement.

Créé en 2014, le collectif RGCS a rapidement grandi et est aujourd’hui actif dans plus de 20 villes dans le monde sur trois continents. Pour le symposium 2019, une soixantaine de chercheurs et doctorants en sciences de gestion (entrepreneuriat, innovation, systèmes d’information, etc.) et sciences sociales (urbanisme, architecture, sociologie, économie, etc.) sont venus de toute l’Europe, et même de Californie. De Berkeley, Technische Universität Berlin, London University of Arts, Paris Dauphine, ou d’ailleurs, ils et elles s’intéressent aux organisations innovantes, au futur du travail ou encore aux mouvements des Makers et des Hackers. Les sessions ont des intitulés alléchants- « Transformer la cité », « Repenser l’entrepreneuriat et l’innovation » ou « Nouvelles formes de travail », qui nous questionnent tous. La présence d’autres « curieux », étudiants, acteurs des mouvements collaboratifs locaux et acteurs publics me rassure un peu sur la technicité des présentations qui vont se succéder. Malgré tout, aux yeux d’une néophyte telle que moi, le rythme parait hallucinant.

Keynote by Andreea Gorbatai (UC Berkeley)« Collaborative movements: Lessons for co-creating a better world »

Après une introduction inspirante sur « Les mouvements collaboratifs : leçons pour co-créer un monde meilleur », pas moins de 39 présentations organisées en deux ateliers parallèles vont se succéder avant une table ronde finale. Avec une contrainte formelle : la présentation de l’article doit être réalisée sous la forme Pecha Kucha. Si les formats « Ma thèse en 180 secondes » ou Tedx sont désormais connus du plus grand nombre, je n’avais jamais entendu parler de Pecha Kucha. Initié au Japon par des designers et architectes en réaction aux présentations PowerPoint trop souvent interminables et soporifiques (Pecha Kucha signifie bavardage en japonais), le principe est simple : 20 slides x 20 secondes, soit environ sept minutes de présentation synchronisée. Sur chaque slide, une image et le moins de texte possible. Le diaporama passe en continu contraignant l’orateur à la fluidité et à un sens certain du rythme. La plupart des intervenants n’avaient jamais expérimenté ce type de présentation mais tous se prêtent à l’exercice. Les présentations se suivent tambour battant alternant avec les questions et commentaires. Pour le groupe de recherche, ces échanges constituent un feedback précieux sur le terrain d’étude, la méthodologie choisie, etc.

En flux continu, les interactions sont partagées en live sur Twitter avec le hashtag #RGCS2019.

Une pause déjeuner et ça repart ! Le contenu est dense, les présentations tout en anglais, langue académique globale et je dois me concentrer pour ne pas en perdre une miette : Qui sont les slashers ? Le SDF, ultime entrepreneur ? La ville connectée en tant qu’écosystème open data ; La fab région ou la construction d’un modèle d’innovation territorial basé sur les fablabs ; L’impact de l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies sur la forme des projets urbains (tiens ce sujet résonne particulièrement avec le projet du futur campus d’emlyon business school à Gerland) … Tout est passionnant !

À l’issue de cette (non)conférence, je sors un peu étourdie par tant de stimulation intellectuelle, mais ravie. Une version, allégée et adaptée, de la journée constituerait un excellent format pour faire découvrir au grand public le lien fort, mais trop peu visible, entre la recherche en management et les enjeux de société tels que le vivre ensemble.

« Stronger together: Collectively enhancing hybrid organizing at a social entrepreneurship coworking space »

Jour 2 Expédition OWEE [Open Walked Event-based Experimentations]

Ce matin nous nous retrouvons à la Ca L’Alier, sans savoir ce qui nous attend, c’est l’un des principes des learning expeditionsdu groupe RGCS. Cette ancienne fabrique, située au cœur du quartier Poblenou,en pleine réhabilitation, accueille la maison de l’innovation urbaine. David Martinez, directeur de la fondation de l’institut de technologie de Barcelone revient pour nous sur la genèse du projet 22@ou la transformation d’un ancien quartier industriel, moribond à la fin des années 90, en un « smart district » qui soit à la fois un lieu de vie, de travail et d’apprentissage.

Pour le collectif, le projet présente un grand intérêt par son choix d’une démarche participative à toutes les étapes, la volonté de tous les acteurs — entreprises, habitants du quartier, associations, académiques et politiques — d’une co-construction basée sur la recherche de l’intérêt commun.

Ca L’Alier, prototype de bâtiment auto-suffisant, intelligent et zéro émissions.

Oh oui !

Cette entrée en matière sert de fil conducteur à notre déambulation dans le quartier selon le protocole OWEE pour Open Walked Event-based Experimentations. L’approche OWEE, développée par le collectif lui-même, se montre particulièrement adaptée à l’objet de leurs recherches et à l’observation des espaces collaboratifs, nouveaux espaces de travail et d’urbanisme. OWEE ou le protocole méta-collaboratif : il y a un côté exaltant à l’idée de voir comment le collectif RGCS applique à lui-même le mode collaboratif au cœur de ses recherches. Répartis en petits groupes accompagnés par des guides, nous découvrons la réalité concrète du projet 22@. La déambulation selon OWEE a été conceptualisée pour sortir les chercheurs de leurs labos, favoriser les discussions, casser les barrières entre les académiques et d’autres acteurs s’ils sont présents, qu’ils soient praticiens, entrepreneurs, représentants d’institutions ou journalistes. Elle accentue la dimension émotionnelle et co-construite de l’analyse.

Le 22@, quartier mixte mêlant habitat ancien et moderne, entreprises, lieux culturels, friches d’artistes et faculté.

Collage collaboratif

Pour la deuxième phase du protocole, nous repartons (sans guide cette fois), seul ou à plusieurs, à la recherche d’éléments concrets d’urbanisation correspondant à six thèmes comme la mobilité, l’habitat, les espaces publics ou l’innovation. Dans une démarche ludique et co-créative très originale, l’idée est d’utiliser twitter comme un nouvel outil de méta-écriture dans l’esprit des collages surréalistes (cf. la présentation d’Héloïse Berkowitz sur ce sujet). Le procédé peut sembler superficiel a priori et pourtant le résultat se révèle bluffant de pertinence. Combinant situations, perceptions personnelles et instantanéité, il évoque les performances d’artistes. Comme l’expliquent François-Xavier de Vaujany, professeur à l’Université Paris Dauphine et président de RGCS, et Laetitia Vitaud, experte du futur du travail et de la consommation, dans un billet dédié à la démarche OWEE, les réseaux sociaux jouent un grand rôle dans le procédé. Ils constituent les nouveaux rituels du monde moderne qui cimentent la relation entre les participants, qu’ils soient académiques ou non. Ils « horizontalisent » les relations au sein du groupe incitant chacun à partager son expérience OWEE et à en devenir l’ambassadeur.

De retour à Ca L’Alier, la finalité de notre « walk & talk » réflexif se matérialise sous la forme d’un mur social co-créé par tous les participants, synthèse des posts partagés pendant la journée.

La deuxième journée se conclut avec une table ronde, animée par Ignasi Capdevila, auteur d’une des premières thèses sur les espaces et mouvements collaboratifs soutenue à HEC Montréal en 2014. Entrepreneurs, experts et animateurs d’espaces de coworking ont contribué à la réflexion par leurs expériences concrètes et leurs perceptions sur l’évolution de ces tiers lieux depuis leur apparition.

Sans remettre en cause les protocoles de recherche classique, le collectif RGCS propose, avec l’organisation de tels évènements, de tester de nouvelles manières de travailler et de co-produire du savoir pour les chercheurs, professionnels, acteurs du monde associatif et activistes.

Le rendez-vous annuel du symposium représente un temps fort dans la vie du collectif, un temps pour se connecter, partager les travaux en cours, tester la démarche OWEE sur de nouveau espaces, ouvrir et diffuser la réflexion auprès de tous les acteurs. À l’issue du symposium, je suis convaincue qu’une recherche ouverte sur le monde est possible. Participative, interactive et ludique, c’est une recherche vivante, impliquée dans les transformations technologiques et sociétales que nous vivons.

Rendez-vous est donné en janvier 2020 pour la quatrième édition du symposium RGCS qui se tiendra à Lyon. Je ne sais pas pour vous, mais moi j’y serai!

Photo finish mardi 15 janvier 2019 à Ca L’Alier, Barcelona. End of #RGCS2019…

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