Les organisations sont des systèmes complexes — pourquoi ne pas adopter une perspective plus globale pour tenter de les comprendre ?

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5 min readMay 23, 2019

Par Su-Lyn Cheng, étudiante Ph.D à emlyon business school, et Ruthanne Huising, professeur de management et organisations à emlyon business school

La performance d’entreprise est le fruit d’une interaction complexe entre la stratégie, la structure et l’environnement concurrentiel de l’entreprise. Bien qu’ils reconnaissent cette complexité, les chercheurs, les consultants et les décideurs stratégiques se focalisent souvent sur les effets isolés de facteurs individuels pour prévoir et analyser les performances. Il existe un décalage entre les méthodes utilisées pour comprendre la performance organisationnelle et la manière réelle dont cette performance s’accomplit. Les recherches initiales en management menées par Henry Mintzberg et Danny Miller ont démontré que les organisations étaient des systèmes complexes, composés d’une combinaison d’éléments interdépendants. Toutefois, ce cadre analytique a perdu en influence lorsque la recherche a évolué, s’attachant à comprendre non plus la configuration d’éléments interdépendants mais les relations linéaires entre des variables facilement mesurables.

Cependant, ce cadre analytique a perdu de sa puissance motrice, à mesure que la recherche passait de la vision d’une configuration d’éléments indépendants à des relations linéaires entre des variables aisément mesurables. Ceci a entraîné un glissement dans la conception du choix managérial, des systèmes organisationnels et dans la manière dont la dynamique organisation-environnement s’imbrique. C’est ainsi que les débats sur la configuration des facteurs liés à la performance — et comment ces mêmes configurations pouvaient différer d’une entreprise à l’autre, même pour celles évoluant dans le même environnement — ont été délaissés.

Afin de mieux comprendre la performance d’entreprise, les décideurs devraient considérer les ressources courantes favorables à l’entreprise (telles que la segmentation du marché, le transfert de connaissances et le capital humain) comme un ensemble holistique et non comme des éléments isolés. Pour cela, il est possible de faire appel à l’Analyse Comparative Qualitative ou ACQ[JV1] . La méthode ACQ capture la complexité causale d’un phénomène tel que la performance d’entreprise à travers une compréhension approfondie de trois aspects : la causalité conjoncturelle, l’équifinalité et l’asymétrie.

Causalité conjoncturelle

Qu’ils soient positifs ou non, les indicateurs de performance peuvent rarement être attribués à un seul et unique facteur, comme l’illustrent des exemples tels que celui d’Uber, qui a récemment changé de PDG et continue malgré tout à perdre des recettes et accuser du retard pour son entrée en bourse. Même si l’on peut s’empresser de pointer du doigt le PDG, les difficultés que connaît actuellement Uber sont probablement dues à une combinaison d’autres facteurs. La diversification de son portefeuille (livraison de repas, logistique, trottinettes), ses plans d’expansion ambitieux et une concurrence plus rude pourraient être des facteurs contributifs, parmi tant d’autres. L’approche AQC permettrait à Uber de se pencher sur la combinaison de facteurs à l’origine du fléchissement des ventes, en identifiant la configuration du problème à une échelle plus fine.

Équifinalité

La stratégie ou le modèle économique d’une entreprise pour obtenir des résultats positifs ne se compose pas d’une seule combinaison d’éléments. La notion d’équifinalité implique que la présence comme l’absence de facteurs spécifiques peuvent entraîner une croissance similaire du chiffre d’affaires. Prenons l’exemple d’une société A, qui choisirait d’investir dans le capital humain plutôt que dans les connaissances ou les ressources financières. La société B, quant à elle, déciderait de privilégier les ressources financières. Pourtant, malgré ces approches différentes, les deux entreprises peuvent parvenir simultanément à une excellente performance d’entreprise. Autrement dit, tous les chemins mènent à Rome. Pour mettre à profit cette notion, les entreprises peuvent utiliser plusieurs modèles économiques qui se complètent, comme dans le cas d’Uber avec ses services de transport et de livraison de repas.

Asymétrie

L’approche ACQ permet d’établir que les facteurs contributifs de la réussite et de l’échec d’une entreprise ne sont pas des images en miroir se reflétant l’une l’autre. Une augmentation du budget marketing peut entraîner une augmentation des revenus d’une entreprise. Cela ne signifie pas pour autant qu’une diminution du même budget marketing entraînera une diminution des revenus. Les décideurs doivent considérer la performance et la non-performance comme deux résultats distincts, et ne pas partir du principe qu’une lacune d’un facteur spécifique de « réussite » entraîne nécessairement l’échec. Cela nous ramène au concept de causalité conjoncturelle, selon lequel les résultats de performance dépendent des relations qui existent entre ces éléments et d’autres attributs de l’entreprise.

En résumé, ces trois notions encouragent les décideurs à conceptualiser et à analyser la performance d’entreprise comme un schéma unique de facteurs pertinents. Une entreprise n’existe pas en vase clos. Il est donc temps de revenir aux sources afin d’adapter nos méthodes de compréhension de la performance aux complexités du monde qui nous entoure.

Su Lyn Cheng est une étudiante Ph.D. en entrepreneuriat et organisations à emlyon business school. Ses recherches portent sur les défis auxquels les nouvelles entreprises sont confrontées dans des conditions très incertaines, des demandes concurrentes et des ressources limitées. Son objectif est de mieux comprendre la manière dont les nouvelles entreprises gèrent ces tensions et trouvent leur place dans un environnement organisationnel complexe.

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En tant que professeur de management et des organisations, Ruthanne Huising se considère comme une ethnographe du travail et des organisations. Elle étudie la manière dont les organisations réagissent aux pressions externes les incitant au changement ainsi que les implications de ces changements sur la maîtrise et l’expertise professionnelles. Elle est également directrice du AIM Research Center for Work and Organization.

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