PODCAST : marocaines et égyptiennes, ces militantes qui se battent pour leurs droits

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10 min readSep 28, 2019

World of Women est un média d’inspiration dressant des portraits de femmes aux parcours atypiques à travers un podcast, des articles, des vidéos et une newsletter. Nous sommes Isolde Roumy (étudiante emlyon business school) et Selma Gasc (étudiante ESSEC) et pour la première édition du projet, nous sillonnons actuellement l’Afrique à la rencontre d’une centaine de femmes. Voici nos retours sur deux pays d’Afrique du Nord, les premiers de notre périple : Maroc et Egypte !

Les femmes que nous avons rencontrées

Mounira Bouzid El Alami : Présidente de l’association Darna à Tanger, elle sort les enfants de la rue pour les remettre à l’école et leur offrir un avenir professionnel. Elle impressionne par la force de son caractère, par la puissance de ses convictions et par l’assurance qu’elle dégage. Elle nie l’adversité et clairement, il n’y a pas de ‘non’ qui tienne face à elle.

Khadooj Boutaarit :Dirigeante d’une coopérative 100% féminine dans le Moyen-Atlas, elle est une figure incontournable de l’agriculture dans la région. On s’en souviendra pour son imposante prestance. Elle a infiltré le genre masculin et a gagné leur amitié et leur respect. « Elle vaut 100 hommes », vous dira l’un d’eux.

Mouna Mnouar : Elle est la présidente de l’association Sais pour le Développement et la Solidarité, qui soutient les femmes d’un quartier défavorisé de Fès à travers des séances d’écoute, des formations professionnalisantes et des espaces pour leurs enfants. D’une patience admirable, elle respire la confiance et pose un regard maternel sur les femmes qu’elle soutient. Elle pèse ses mots pour ouvrir une fenêtre d’espoir à ces femmes qui arrivent la corde autour du cou.

Aicha Ech-Chenna : L’idole de bien des femmes au Maroc : elle a dédié plus de 50 ans de sa vie au militantisme associatif. Sa cause : les mères célibataires et les enfants abandonnés. Elle a forcé tout un pays à ouvrir les yeux sur un sujet qui reste encore tabou aujourd’hui, recueillant la sympathie des autorités et faisant bouger les choses. Cette femme avait un destin à accomplir, et dès son plus jeune âge elle ne s’est jamais posée de questions : elle a agi, elle ne s’est jamais tue face à l’injustice.

Leïla Benhima Cherif : 20 ans à la présidence de l’Heure Joyeuse, institution phare de la lutte contre les nouvelles formes de misère en facilitant l’accès à la scolarisation et au monde du travail. De nature extrêmement chaleureuse et dynamique, elle incarne bienveillance et sincérité. Son unique exigence dans toutes ses actions : l’engagement.

Sana Afouaiz : Du haut de ses 25 ans, Sana a déjà écrit un livre sur les femmes au Moyen-Orient, fondé Womenpreneur, un réseau de 10 000 femmes entrepreneures et co-fondé Womenquake, un mouvement mondial de réflexion autour des questions de genre. Elle est aussi conseillère aux Nations-Unies. Sana nous a charmées par son charisme travaillé au service d’une force de persuasion impressionnante, et par son ambition, nourrie par le questionnement constant des normes et idées préconçues qui l’entourent.

Khadija Boujanoui : Directrice financière et du contrôle de gestion du groupe 2M, 2ème chaîne télévisée du Maroc, mais également Présidente du Comité de Parité et Diversité du Groupe, Khadija porte les deux casquettes avec une aisance déconcertante. Elle a su se forger un personnage qui impose le respect, tout en subtilité et autorité. Son fer de lance : la volonté et la persévérance à toutes épreuves, qui lui permettent d’affronter n’importe quel défi avec sérénité.

De gauche à droite : Aïcha Ech-Chenna, Khadooj Boutaarit
De gauche à droite : Leïla Benhima Cherif, Mounira Bouzid el Alami
De gauche à droite : Khadija Boujanoui, Sana Afouaiz, Mouna Mnouar

Nos retours

Au Maroc, nous avons cherché à comprendre la dualité entre mœurs conservatrices et libéralisme. Des lois archaïques subsistaient encore récemment au Maroc concernant les femmes. Si l’on considère notamment l’Article 475 qui permet à un violeur d’épouser sa victime pour échapper à la prison, celui-ci n’a été abrogé qu’à la suite du scandale provoqué par le suicide d’Amina Al Filali en 2012, mariée de force à son violeur. On peut également mentionner la loi toujours très restrictive sur l’avortement, qui ne l’autorise que dans les cas de mise en danger de la santé (physique) de la mère, de viol ou de malformation. Cette loi est d’autant plus dramatique quand on sait qu’entre 600 et 800 avortements clandestins ont lieu chaque jour. Une autre loi condamne les relations extra-conjugales et considère donc de fait les femmes ayant des relations hors mariage comme des prostituées. C’est précisément la raison pour laquelle Aïcha Ech-Chenna a été accusée d’encourager la prostitution en luttant pour la cause des mères célibataires. Bref, il est clair que dans le rapport de force homme-femme, la femme est encore coupable vis-à-vis de la loi.

Nous parlions jusqu’ici de loi écrite et officielle. Celle-ci se complète et même se subordonne à la loi implicite et officieuse de la hchouma (dont le sens oscille entre la « honte » et la « pudeur ») .Il s’agit de règles non écrites mais bien connues de l’ensemble des familles marocaines de toutes classes sociales confondues : c’est la hchouma de divorcer, de s’habiller comme ça, de sortir le soir, d’être amie avec des garçons, de rigoler trop fort, etc. La parité n’existe pas dans la hchouma : un homme se promène torse nu dans la rue, il divorce comme il l’entend, etc.

Le portrait que nous dressons est relativement noir. Ce n’est qu’une partie du Maroc que nous décrivons ici, et il suffit de faire quelques recherches, écouter les paroles des femmes que nous avons rencontrées, pour se rendre compte que le Maroc est un pays en constante évolution, qui tente de faire face à ses problématiques et changer la vie de ses habitants pour le mieux. Il est important de justifier ce tableau noir par notre expérience de quelques semaines au Maroc : nous avons été plongées au cœur du travail de femmes qui luttent tous les jours contre les discriminations auxquelles font face les femmes. En effet, Mounira, Leila, Aicha, Mouna, toutes se sont investies corps et âme dans des associations, indispensables au développement du Maroc, notamment parce qu’elles viennent pallier aux manques de l’Etat et le forcer à ouvrir les yeux.

Ce qui nous a surtout frappées, c’est à quel point leur travail, au jour le jour, consistait en du cas par cas. Leila nous dit : “je suis incapable de globaliser une population”. Il ne s’agit pas de créer des programmes, lever des fonds pour apporter de l’aide à des théoriques masses de personnes. Il s’agit plutôt de ne pas fermer les yeux face à des problèmes de tous les jours, de personnes qu’on croise tous les jours, et de tout faire, sortir les grands moyens, pour retrouver les parents de tel enfant, pour sortir telle femme de prison, pour trouver un logement d’urgence à cette mère…

Autre point, ces femmes se sont concentrent sur une problématique particulière (les enfants des rues pour Mounira, les mères célibataires pour Aïcha…), et commencent par une sous-problématique bien spécifique. Au fur et à mesure de leurs avancées, elles se sont rendues compte que leur action ciblée n’était pas suffisante. Et, très terre à terre, elles remontent ou descendent la chaîne de valeur, pour évaluer en amont ou en aval ce qui va avoir plus d’impact sur les vies des personnes qu’elles tentent d’aider. Par exemple, ce sera Mouna qui ne se contentera pas d’offrir des cellules d’écoute psychiatrique à des jeunes femmes en difficulté, elle lancera des ateliers de formation professionnelle pour les rendre indépendante, puis des crèches pour leurs enfants, puis des ateliers de confiance en soi, etc, etc.

Les femmes que nous avons rencontrées

Aya et Mounaz Abdel Raouf : À 21 à peine, les deux sœurs ont lancé Okhtein, marque de sacs et accessoires qui s’inspire de l’artisanat traditionnel égyptien. Leur très grande ambition, couplée à leur débrouillardise ont fait d’elles des femmes d’affaires au sens stratégique affûté.

Ghada Wali : Classée parmi les 30 designers les plus influents d’Europe par Forbes, Ghada est pionnière du design graphique en Egypte. Fière de son identité, elle célèbre et donne une place nouvelle à la culture arabe. Sincère dans son travail, elle est capable de délivrer des messages forts dans ses œuvres.

Ingy Abdelkarim : Ingy est la première femme égyptienne à devenir ingénieure maritime. Par sa persévérance et son travail acharné, elle a réussi à intégrer une filière jusque-là inaccessible aux femmes. Maître de son destin, elle a refusé de se conformer aux règles.

Suzanne Wissa Wassef : Suzanne dirige le centre d’art Wissa Wassef qui accueille des enfants de milieux ruraux pour en faire des artistes. Dans ce microcosme, chacun est libre d’exprimer sa créativité et c’est cette philosophie qui essaime à travers le monde.

Heba Ali : Managing director d’Egypt Ventures, fonds de capital-risque visant à développer l’écosystème entrepreneurial égyptien, Heba a su se frayer un chemin dans un domaine naissant en faisant entendre sa voix et en s’étant forgé une expérience inégalable dans le secteur.

De gauche à droite : Ingy Abdelkarim, Suzanne Wissa Wassef
De gauche à droite : Ghada Wali, Heba Ali, Aya et Mounaz Abdel Raouf

Nos retours

En Egypte, nous nous sommes intéressées aux retombées des printemps arabes. Une chose sur laquelle s’accordent toutes les personnes rencontrées en Egypte, que ce soient les femmes que nous avons interviewées ou celles rencontrées dans les trains, les bus, les restaurants, est que le printemps arabe en Egypte porte un goût amer. Nous avions souvent mis le sujet sur la table, interrogeant nos hôtes sur les conséquences de la Révolution, sur ses effets concrets sur la vie de tous les jours. Le désenchantement est prégnant dans les réponses : si les événements de 2011 ont au mieux, maintenu le statut quo, pour beaucoup il a déstabilisé le pays et fait fuir les capitaux étrangers. En effet, l’espoir intense amené par le mouvement collectif de soulèvement populaire a rapidement laissé place à un état de déception désabusée.

Et la situation des femmes dans l’équation ? Toutes insistent sur la nécessité de redorer l’image des femmes en Egypte, et cherchent absolument à apporter des nuances à l’image véhiculée par les médias étrangers. Elles s’entendent à dire que la situation des femmes a évolué pour le mieux dans la dernière décennie, avec plus de libertés, non pas accordées aux femmes, mais prises par celles-ci. Que ce soit dans les métiers qu’elles exercent (on le voit bien avec Ingy, première femme ingénieure maritime, qui a ouvert la voie à beaucoup d’autres femmes dans ces professions plutôt masculines) ; ou dans l’occupation de l’espace public (les rues, les plages, les cafés).

Les égyptiennes aiment à nous rappeler leur héritage, celui de femmes puissantes, de femmes historiquement connues comme étant les plus émancipées au monde. Lorsque l’on se plonge aux temps de l’Egypte Antique, la place des femmes y est surprenante de modernité : rares sont les civilisations antiques où les femmes occupent des rôles aussi importants que ceux occupés par les femmes égyptiennes, et en particulier celui de la fonction suprême, celle de pharaon.

Raviver ces traditions antiques pour insuffler un souffle émancipateur, c’est ce que les femmes égyptiennes s’attellent à faire aujourd’hui. En remettant cet héritage au cœur de leur activité professionnelle (comme le font Ghada, les soeurs Abdel Raouf ou Suzanne) ou au cœur de leur philosophie de vie (Ingy particulièrement), les femmes égyptiennes donnent une dimension nouvelle à cette puissance ancienne.

Finalement, ce que l’on retient du parcours de ces femmes d’exception, c’est l’absolue nécessité pour elles de se forger une identité propre, de s’affirmer en tant que personnalités individuelles, tout en intégrant les éléments caractéristiques de leur éducation. Cela implique de joindre un héritage culturel très fort, teinté de reines pharaoniques et de dynasties puissantes, à une culture musulmane omniprésente (notamment dans le style vestimentaire), et à des touches d’occidentalisation portées par l’ouverture qu’Internet implique.

Retrouvez l’intégralité de nos discussions avec ces femmes en podcast :

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