PODCAST : éthiopiennes et kenyanes, ces pionnières qui montrent la voie

World of Women
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13 min readNov 15, 2019

World of Women est un média d’inspiration dressant des portraits de femmes aux parcours atypiques à travers un podcast, des articles, des vidéos et une newsletter. Nous sommes Isolde Roumy (étudiante emlyon business school) et Selma Gasc (étudiante ESSEC) et pour la première édition du projet, nous sillonnons actuellement l’Afrique à la rencontre d’une centaine de femmes. Voici nos retours sur deux pays d’Afrique de l’Est : Ethiopie et Kenya !

Les femmes que nous avons rencontrées

Samrawit Moges — Une des entrepreneures pionnières en Ethiopie, Samrawit s’est forgée une expertise imbattable dans le secteur du tourisme. Aujourd’hui à la tête du tour opérateur Travel Ethiopia, elle est aussi la toute première présidente du Rotary Club d’Addis Ababa.

Emebet Woledesadik — Touchante par son histoire et son talent, Emebet s’est faite repérer au centre culturel Fendika alors qu’elle était serveuse. Elle est aujourd’hui une danseuse incontournable de la scène éthiopienne et sillonne les festivals du monde entier.

Abai Schulze — Adoptée à l’âge de 11 ans aux Etats-Unis, Abai est revenue sur sa terre d’origine pour participer à l’économie de son pays en créant ZAAF, la première marque mondialement connue exploitant le cuir éthiopien.

Freweini Mebrahtu — Originaire de la région rurale de Mekele, Freweini est partie faire des études d’ingénieur chimiste aux Etats-Unis avant de lancer Mariam Saba en Ethiopie pour casser le tabou autour des menstruations et rendre possible l’accès aux serviettes hygiéniques pour les jeunes filles dans les zones rurales.

Nigest Haile — Présidente de CAWEE, membre fondatrice de ENAT Bank, directrice du Women’s Affairs Department au Ministère de l’Industrie et de l’Exportation : la multitude de casquettes de Nigest font d’elle la garante du succès des femmes exportatrices en Ethiopie.

Sewit Haileselassie Tadesse — Présidente de AWiB (Association for Women in Boldness), Sewit est partisane d’une philosophie de l’apprentissage. Titulaire d’un diplôme en Economie et en Etude du Genre, Sewit explique ses choix par une volonté farouche de suivre sa curiosité.

Teguest Yilma — Novice du journalisme et de l’édition à ses débuts, Teguest est pourtant la directrice d’édition de Capital, le journal anglais le plus lu en Ethiopie. Honorée de l’Ordre National du Mérite et de la Légion d’Honneur, elle est aussi présidente du Comité Polio Place au sein duquel elle s’est battue pour mettre un terme à la polio en Ethiopie.

Tamara Dawit — Tamara est la fondatrice et CEO de Gobez Media, une maison de production musicale et cinématographique. Canadienne, éthiopienne, érythréenne, et ukrainienne, elle explore ses origines à travers un art engagé et résolument jeune.

De gauche à droite : Samrawit Moges, Freweini Mebrahtu et Abai Schulze
De gauche à droite : Sewit Haileselassie Tadesse, Emebet Woledesadik et Tamara Dawit
De gauche à droite : Teguest Yilma, Nigest Haile et Zumra Nuru Mohammad (fondateur d’Awra Amba)

Nos retours

Après une vingtaine de jours en Ethiopie et 2600 kilomètres parcourus, nous ajoutons huit femmes incroyables à notre panorama. Nous avons visité Awra Amba, une communauté prônant une égalité parfaite entre femmes et hommes et avons eu de longues discussions avec les éthiopiens lors de nos 100 heures de voyage en minibus. Même en cette saison des pluies, l’Ethiopie nous a émerveillée par sa beauté et la singularité de sa culture.

Authenticité de la culture éthiopienne

L’Ethiopie semble avoir été aseptisée d’influences extérieures, qu’elles soient africaines ou occidentales. Comme beaucoup d’éthiopiens aiment à le rappeler, l’Ethiopie est le seul pays africain à n’avoir jamais été colonisé, malgré une occupation de courte durée de l’Italie. Les conflits à répétition et les régimes dictatoriaux ont isolé le pays du reste de l’Afrique, un passé qui lui confère une identité bien particulière.

Cette authenticité fait la fierté nationale et nombreuses sont les femmes qui la célèbrent à travers leur activité professionnelle : Abai Schulze en valorisant le secteur du cuir éthiopien, Samrawit Moges en promouvant le tourisme ou encore Tamara Dawit à travers le cinéma.

Patriotisme et solidarité

Ce qui nous marque chez les femmes éthiopiennes, c’est leur patriotisme et leur détermination à prendre une part active dans le développement économique et social du pays. Le « give-back » est le mot phare de nos interviews. À travers leurs métiers, toutes ont à cœur de « rendre à leur pays » en participant à son développement économique et social, que ce soit par la création de nouveaux emplois (Abai Schulze, Samrawit Moges), par l’insertion de l’Ethiopie sur la scène internationale (Nigest Haile), par la promotion de la culture (Emebet Woledesadik, Tamara Dawit), par l’éducation de la nouvelle génération (Freweini Mebrahtu, Sewit Haileselassie) ou encore par la transmission d’informations (Teguest Yilma).

Au-delà de leur réussite professionnelle, ces femmes s’investissent de façon impressionnante dans de nombreuses associations, dont elles sont parfois même les fondatrices. Les exemples sont nombreux : Teguest Yilma a été honorée de l’ordre national du mérite et de la légion d’honneur pour sa contribution à l’éradication de la polio en Ethiopie, Samrawit Moges fut la première présidente du Rotary Club d’Addis Abeba, Niguest Haile a créé CAWEE pour soutenir les femmes exportatrices… Toutes ont eu cette conscience sociale très tôt dans leur parcours et ont su la pérenniser avec l’évolution de leur carrière. Comme nous le rappelle Teguest Yilma, rien ne sert d’attendre pour s’investir dans une cause, « cessez de trouver des excuses et de retarder par manque d’argent, de temps, de compétences, les besoins sont actuels ».

Les femmes sont très connectées : elles s’admirent mutuellement et s’entraident. Celles qui ont réussi à une époque où le pays n’était que très peu développé placent d’importantes attentes dans la nouvelle génération de femmes : « il est plus facile de réussir aujourd’hui », il n’y a pas d’excuses possibles. Le rôle de mentor s’avère être un devoir pour beaucoup d’entre elles : les réseaux féminins se multiplient, à l’instar d’AWiB Ethiopia présidé par Sewit Haileselassie. Être inspirante se pose alors comme un impératif : il faut partager son expérience, ses succès comme ses échecs, délivrer son apprentissage pour mieux préparer la nouvelle génération aux défis qui l’attendent.

Se réinventer perpétuellement

Un autre trait commun à toutes ces femmes est sans aucun doute leur curiosité : curiosité d’apprendre et de se nourrir de connaissances nouvelles, curiosité aussi de mieux se connaître.

Certaines sont partisanes de la construction d’une expertise poussée dans un secteur particulier, alors que d’autres prônent une formation aux compétences plus hétérogènes. Samrawit Moges s’est construit une expertise inégalable dans le tourisme, tout comme Nigest Haile est devenue la personne de référence quand il s’agit de conseiller des femmes exportatrices. Teguest Yilma, au contraire, est passée d’un poste de professeur, puis vendeuse de satellites télévisés, entrepreneure dans le secteur de la communication, avant de développer le journal hebdomadaire Capital et d’en devenir sa directrice d’édition. Selon elle, une bonne éducation — quelle qu’elle soit — suffit pour acquérir une méthodologie d’apprentissage qui permettra de réussir dans n’importe quel secteur. Toujours est-il que chacune d’entre elles suit son instinct et creuse les sujets qui la passionnent et l’animent. Il n’y a donc pas nécessairement de plan stratégique de carrière, il s’agit bien souvent d’instinct, de simple attrait vers un secteur, voire de destinée.

Au fil de leur parcours, ces femmes ont systématiquement remis en question leur système de valeurs en passant par le questionnement régulier sur le sens de leurs actions, sur l’évolution de leur pensée et de leur façon d’appréhender les choses.

Retrouvez l’intégralité de nos discussions avec ces femmes en podcast :

Les femmes que nous avons rencontrées

Ruth Oniango — Première professeur de nutrition en Afrique Subsaharienne, Ruth est lauréate du prestigieux Africa Food Prize 2017 pour la lutte qu’elle a menée contre la pauvreté et la malnutrition dans les zones rurales à travers son ONG Rural Outreach Africa. Membre nominée du 9ème parlement kenyan, elle fut aussi députée pour le Ministère de l’Education, de la Science et de la Technologie. À 72 ans, Ruth continue de mettre à profit son expertise au service des plus grandes institutions — les Nations Unies et la Banque mondiale entre autres — et des comités exécutifs des plus grandes groupes, à l’instar de Nestlé et HarvestPlus. Une grande dame qui marque par sa sagesse et son rire.

Judith Owigar — Lorsque l’on demande une femme dans la tech au Kenya, c’est Judith Owigar que l’on cite. Gagnante du Change Agent ABIE Award en 2011 et nominée à deux reprises Top 40 Under 40 Women in Kenya par le Business Daily, Judith bouscule l’économie informelle kenyane. Avec Juakali Workforce, elle met en relation l’offre et la demande pour aider les travailleurs informels à développer leur activité. Judith se bat pour l’insertion des femmes dans la technologie et elle a ainsi créé AkiraChix, un réseau qui offrant une formation technologique intense à des jeunes femmes de quartiers défavorisés. Conseillère pour UN Habitat, African Girls Can Code ou encore le Japan Centre for Conflict Prevention, Judith fait de la tech un véritable vecteur de développement.

Adelle Onyango — Adelle Onyango est une présentatrice radio incontournable au Kenya. Après neuf ans et demi à animer les plus grosses émissions de Kiss FM (radio kenyane la plus écoutée), Adelle se lance désormais dans le podcasting. Grâce à sa notoriété, Adelle libéralise la parole autour du viol au Kenya et émancipe la femme au travers du storytelling. Elle bouscule les formes d’expression en prônant des espaces de parole plus libertaires et indépendants, libres de toute censure.

Wanjira Mathai — On ne présente plus Wangari Maathai, la première femme africaine à obtenir le prix Nobel de la Paix pour son activisme environnemental. Mais permettez-nous de vous présenter sa fille, la géniale Wanjira Mathai. Elle porte fièrement l’héritage de sa mère : à travers la Fondation Wangari Maathai, le Green Belt Movement et l’Institut Wangari Maathai, elle cherche à accompagner la nouvelle génération de jeunes hommes et femmes vers un pouvoir plus responsable et plus juste. Une belle leçon de continuité pour une femme qui aura côtoyé deux Prix Nobel de la Paix : sa mère et Jimmy Carter, au Carter Presidential Center aux Etats-Unis.

Linet Kwamboka — Où étiez-vous à 22 ans ? La réponse de Linet Kwamboka Nyang’au force le respect. Embauchée par la Banque Mondiale à 22 ans, puis par le gouvernement à 23 ans, elle a travaillé à l’Initiative kényane pour l’Open Data, avec un budget de 7 millions de dollars et toute une stratégie pour inciter le gouvernement à plus de transparence concernant ses données. Désormais CEO de sa propre entreprise, DataScience Limited, elle entreprend des projets avec une curiosité toujours renouvelée et laisse son travail parler de lui-même.

Rose Moses — Sujet sensible au Kenya : la production de charbon. Interdite par le gouvernement en 2017, elle pose le problème de ses alternatives écologiques. Rose Moses a saisi l’opportunité et a fondé Eco Makaa Solutions, qui produit des briquettes de charbon écologique. Coup de Cœur Féminin du Total Challenge 2018, l’entreprise a conquis les kényans et réalise désormais plus de 10 millions KSH de chiffre d’affaires annuel. Comment les briquettes sont-elles produites ? Comment une femme peut-elle percer dans le secteur énergétique kényan ?

Florence Gatome — Florence a une détermination à toute épreuve. A peine sortie du lycée, elle a décidé qu’elle ferait carrière en comptabilité, au sein d’un des mastodontes du Big Four. Et c’est chose faite : après 15 ans chez PwC, elle peut se targuer d’être la seule femme parmi les 6 Senior Country Partners de PwC Afrique de l’Est. Plus encore, elle a à son actif l’ouverture du premier bureau PwC au Rwanda. Florence décrypte pour nous sa méthode infaillible pour atteindre ses objectifs, à base de plans à 20 ans et d’exercices d’équilibre. Une consistance et une concentration à applaudir !

De gauche à droite : Judith Owigar et Adelle Onyang’o
De gauche à droite : Rose Moses, Linet Kwamboka et Florence Gatome
De gauche à droite : Wanjira Mathai et Ruth Oniango

Nos retours

Nos trois semaines au Kenya ont été rythmées par la rencontre de sept femmes d’âge et de milieux bien différents. Au fil de nos 700 kilomètres en auto-stop et 1200 kilomètres en minibus, nos discussions ont participé à notre appréhension du pays et de sa culture.

Prendre garde à la dispersion

Un conseil qui revient au fil des interviews est celui de ne pas se disperser. Le développement technologique et l’urbanisation au Kenya mais plus largement dans le monde amènent son lot de nouvelles sources d’informations, de nouveaux types de médias et de nouvelles distractions. Cela peut s’avérer positif ou négatif selon l’usage qui en est fait.

C’est Ruth Oniang’o qui nous donne comme premier conseil de « rester concentrées ». Pour elle, notre génération est plus que jamais confrontée à un nombre incalculable de distractions qu’il faut savoir limiter. « Il est tellement facile de se détourner de l’objectif qui nous tient véritablement à cœur », nous rappelle-t-elle. Ancrer un objectif sans son esprit et s’y tenir, c’est ce que Florence Gatome a fait pendant plus de 20 ans. En commençant comme stagiaire dans l’un des Big Four, elle a gravi un à un les échelons pour atteindre le poste de directrice de pays qu’elle convoitait. Lorsqu’on la questionne sur ses prochaines années, ses échéances sont bien claires et définies et son chemin paraît tout tracé. Sans dire qu’il est nécessaire de décider de son destin 20 ans à l’avance, il nous paraît essentiel de se projeter un minimum : Quelles sont les femmes que j’admire aujourd’hui ? Quelle est la femme que j’aspire à devenir ? Quelle est la position à laquelle je souhaiterais me projeter dans 5 ans ? Des questions — certes difficiles — auxquelles il est nécessaire de réfléchir pour être capable de définir des objectifs.

Si Linet Kwamboka s’accorde avec ces femmes sur la définition d’objectifs, elle nous rappelle aussi à quel point la curiosité peut être positive. C’est d’ailleurs Judith Owigar qui s’est retrouvée dans le secteur de la tech « par curiosité et ignorance ». Formez-vous sur un sujet qui vous intéresse, lisez le plus possible, rencontrez le plus de monde qui pourra vous rendre compétent dans un domaine donné. La dispersion, si elle est contrôlée, peut être positive.

En conclusion, il semblerait qu’il faille s’accorder un temps pour tout : un temps pour nourrir et ouvrir son esprit, attiser sa curiosité et un temps pour prendre du recul, se poser et prioriser ses objectifs.

Saisir les opportunités, s’engager dans des brèches

Une grande majorité des femmes que l’on a rencontrées se sont bien souvent engagées dans des secteurs où on ne les attendait pas, elles ont su saisir des opportunités là où d’autres ne les voyaient pas.

Judith Owigar a tiré profit de l’émergence de la tech au Kenya pour devenir l’une des références féminines dans le secteur. Ruth Oniang’o a identifié un savoir essentiel et pourtant peu étudié, celui de la nutrition, pour devenir la référence en matière de lutte contre la famine et la malnutrition au Kenya. Rose Moses a vu l’interdiction de la production de charbon par le gouvernement en 2017 comme l’occasion rêvée de créer une entreprise produisant du charbon écologique. Linet Kwamboka s’est emparée du secteur très technique et méconnu de l’open data pour en faire son fer de lance. Aujourd’hui, Adelle Onyango s’attelle à faire du podcasting une source d’information nouvelle au Kenya, bouleversant le secteur de la radio dont elle provient.

Bref, tant d’exemples qui prouvent qu’en gardant ses yeux et écoutilles ouverts sur les changements qui s’opèrent, des opportunités peuvent se présenter sans qu’on s’y attende. Encore faut-il oser s’engager dans la brèche et endosser le rôle de pionnière !

Faire de sa minorité une force

Un conseil qui nous marque particulièrement est celui de Linet Kwamboka. Nous étions très curieuses de savoir comment Linet avait su s’affirmer en tant que femme — très jeune qui plus est — dans des secteurs très masculins : à la World Bank, au gouvernement, dans le secteur de l’open data, etc. Linet nous répond du tac au tac : c’est une aubaine ! Effectivement, il n’est pas facile de prendre la parole au sein d’une réunion 100% masculine, de parler plus fort que la tablée et d’être prise au sérieux à juste titre. Mais être une femme qui s’affirme et prend position parmi une audience majoritairement masculine, c’est aussi une forme de différenciation. On se souviendra plus facilement de la femme qui a pris la parole, de la « jeunette » qui a osé abordé les points qui titillent. Linet a très vite compris cette force et elle a su en faire bon usage en brillant par son travail et sa pertinence.

Cette histoire se révèle aussi particulièrement vraie pour Judith Owigar ou pour Rose Moses, qui se sont faites un nom dans des secteurs traditionnellement masculins, respectivement celui de la tech et de l’énergie. Elles brillent incontestablement par leur travail et leur expertise mais c’est aussi le fait d’être des femmes pionnières qui font d’elles des références incontournable dans leur secteur.

Retrouvez l’intégralité de nos discussions avec ces femmes en podcast :

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