Data visualisation : la forme, meilleure amie du fond

SiaXperience
Makestorming
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6 min readApr 23, 2019

Nous vivons entourés de données, d’informations et de leurs mises en images : statistiques, graphiques, data visualisations et infographies sont omniprésents dans nos quotidiens. Leurs codes nous sont devenus tellement familiers que les détourner peut devenir un jeu — comme le fait avec humour Jessica Hagy dans son blog. Mais ces images peuvent aussi influencer notre jugement : retour sur quelques cas pratiques pour exercer votre regard !

Mélange réussi des genres pour les graphiques du blog This is indexed de Jessica Hagy, où les diagrammes tracés à main levée soulignent les dissonances de nos vies contemporaines.

1. Les chiffres ne mentent pas. Mais…

Chacun se retrouve régulièrement en situation de lire et d’interpréter des données (ou informations) mises en image pour en faciliter la lecture. Mais attention ! Face à cette explosion de data visualisations, il devient primordial d’aiguiser son esprit critique. Car lorsque l’image que vous regardez est partiale, les informations que vous pourrez en tirer seront forcément biaisées.

Le raisonnement (souvent inconscient) « visualisation de données = image mathématique = science = réalité » est bien évidemment faux, mais se déclenche presque par réflexe dans nos cerveaux face à un graphique. Histogrammes, courbes, barres… font en effet partie de l’imagerie scientifique : les qualités associées traditionnellement à cet univers (rigueur, vérité, rationalité) déteignent donc facilement sur de tels visuels.

Or une image n’est jamais neutre, une infographie pas plus qu’une autre, contrairement aux apparences !

Regardons ce graphique, publié par le South China Post en 2011, à l’occasion du retrait des troupes américaines d’Iraq. Cette visualisation proposait de faire le bilan de leurs pertes humaines, en donnant à voir le nombre de soldats morts par mois depuis le début du conflit en 2003.

Le sanglant “Iraq’s bloody toll ” de Simon Scarr — South China Morning Post, 2011

L’image créée par Simon Scarr est extrêmement puissante (cette infographie a d’ailleurs remporté un prix aux prestigieux Malofiej de 2012, l’équivalent des prix Pulitzer pour la visualisation d’informations. Oui oui, ça existe.)

L’auteur joue avec trois éléments clefs pour créer cette saisissante métaphore : la couleur ; l’orientation du graphique ; et le titre. Il ne « tord » pas pour autant les données, qui sont tout à fait correctes. Mais il les donne à lire avec un parti pris certain.

Pourtant, la plupart d’entre nous ne percevront pas immédiatement cette image comme un avis subjectif - à l’inverse d’un article écrit ou d’un édito - car il nous parvient sous la forme d’un diagramme : donc une image “mathématique”, que nous avons tendance à percevoir instinctivement comme neutre… Peu habitués à contester les chiffres (ils parlent d’eux-mêmes, n’est-ce pas), nous interrogerons moins ce point de vue que si nous l’avions lu quelque part !

“Il y a trois sortes de mensonges : les mensonges, les foutus mensonges, et les statistiques,” aurait dit Benjamin Disraeli. (Ou Mark Twain. On ne sait pas bien.)

Que nous apprend cet exemple ? Qu’au-delà de donner à lire, comparer, comprendre des données, une visualisation peut faire passer mille autres messages et peut aussi exprimer une opinion.

D’ailleurs, si on s’amuse à changer les 3 éléments clefs de l’image, comme le fait Andy Cotgreave dans cet article, on peut proposer une toute autre vision et interprétation de ces mêmes chiffres.

Le bilan de la guerre en Irak, version période bleue, par Andy Cotgeave — Infoworld, 2016

Aucune de ces deux images ne ment : chacune propose simplement son point de vue sur des faits. Dans un monde de plus en plus data-centré, il est donc très important de rester vigilant et d’exercer son esprit critique à chaque graphique rencontré.

Bien sûr, ces jeux de mise en forme servent aussi à retenir l’attention des lecteurs : on pense évidemment aux impressionnantes “dataviz”, souvent extrêmement détaillées et complexes, qui fleurissent un peu partout sur le web. Mais on peut aussi user de procédés plus simples, en jouant avec des graphiques standards pour proposer de très belles choses (après tout, la visualisation de Simon Scarr n’est “jamais que” un simple bar chart !…) et faire parler les informations.

2. Mettre les formes pour raconter des histoires

Le feu, ça brûle, les livres aussi, par Samuel Granodos — Courriere della Serra, 2016 (Courrier International pour la version française)

Dans l’infographie ci-contre, là encore un léger changement d’orientation et un jeu de couleurs rend l’image globale porteuse de sens.

Le lecteur visualise immédiatement le sujet (les autodafés) grâce au graphique central qui dessine une flamme. L’effet de style permet d’arrêter l’attention du lecteur et l’encourage à se pencher plus en détails sur la page.

”If the world were a village” de Toby Ng — série de posters, 2008

Autre exemple : reposant sur le concept d’imaginer le monde comme un village de 100 habitants, cette série d’illustrations rend d’autant plus parlantes les statistiques mondiales présentées qu’elles sont très imagées.

Incarnés sous la forme d’une icône, en lien avec le sujet correspondant, les chiffres se mettent à raconter une histoire : ils sont plus accessibles, plus frappants et plus mémorisables. Si les proportions des visuels ne sont pas parfaitement justes, l’objectif recherché ici est autre : il s’agit bien de donner envie aux lecteurs de regarder, de partager et de commenter ces données.

Allô Maman Bobos ou “Les blessures de Michael Ballack”, par Ole Häntzschel — ZEITmagazin, 2010

Par ailleurs, vous n’avez pas forcément besoin de données chiffrées pour rendre une information plus visuelle, comme nous le prouve l’image ci-contre.

La liste exhaustive des blessures d’une icône du football allemand est ainsi rendue bien plus digeste et efficace qu’une énumération en “bullet points” grâce à une répartition spatiale sur le corps du sportif.

Notons, au passage, le malin recours à la croix rouge (symbole universel de l’univers médical), détail qui permet à lui seul de comprendre le sens du visuel sans maîtriser la langue de Goethe.

3. Envie de poursuivre sur cette lancée ?

Voici quelques conseils pour continuer l’aventure :

👉La première étape va consister à aiguiser votre regard en décortiquant les graphiques qui vous entourent (dans les journaux, à la télé, sur vos applis, au travail) avec plus d’attention. Demandez-vous, par exemple, si l’auteur a fourni un effort particulier ; a-t-il utilisé une couleur ou une forme précise ? Quelle est la première information que vous lisez dans cette image ? Quels sont les différents niveux de lecture (ce que vous regardez en deuxième, en troisième…) Qu’est ce qui a arrêté (ou pas) votre regard ? Y a-t-il un ton, une émotion qui se dégage ? Est-ce au contraire très “froid” ?… En vous demandant à chaque fois quelle était l’intention (consciente ou non) de son auteur.

👉Ensuite, lorsque vous voudrez partager des informations à vos collègues, pourquoi ne pas essayer de les mettre en image à votre tour ? En gardant les questions précédentes en tête et en les appliquant à vous-même, vous pouvez commencer très simplement : un changement de couleur de diagramme sur power point ; une différente typologie de graphique ; le choix d’une image parlante au lieu d’une illustration… en fonction de ce que vous voulez montrer.

👉Et pour ceux qui souhaitent continuer à s’inspirer, je ne saurais que trop vous recommander de : regarder les vidéos du regretté Hans Rosling, véritables ballets de données ; d’explorer le blog (en anglais) de l’excellent Alberto Cairo (récémment interviewé dans Libération) ; et de suivre les publications toujours pointues de l’équipe “visualisations” du New York Times.

Bonne exploration !

Un article écrit par Lucile Erbs, spécialiste en didactique visuelle et directrice du pôle Formations chez nod-A ; challengé avec amour par Lydia Di Rosa ; relu avec patience par Juliette Soubrier ; et apprécié par… vous ? (on l’espère du moins !)

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