Elle Était Une Fois… Dans Un Royaume

Un regard critique sur l’existence insidieuse de la culture du viol et de la misogynie.

Ibtissame Betty Lachgar
MALI Maroc
5 min readSep 11, 2017

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Conte de fée ou compte de faits (“divers”) ?

La version de la Belle au Bois Dormant des frères Grimm ou la métaphore d’une agression sexuelle — Le prince embrasse la princesse sans son consentement. Le prince considère que son désir pour la princesse lui donne un droit de l’embrasser sans qu’elle puisse exprimer son consentement.

La Belle et la Bête, une princesse, un prince, une histoire d’amour ? — Une histoire de violence ! Celui-ci séquestre et maltraite l’héroïne mais ce n’est, au fond, pas sa faute, juste sa nature, son instinct « bestial » de mâle. Ses domestiques l’ont pourtant averti : « Dominez votre caractère maître ! ». Cette histoire nous explique qu’un homme se doit de lutter avec lui-même afin de ne pas être violent. Ainsi, l’homme qui ne violente pas son épouse devient presque un héros à congratuler pour cet exploît.

Un royaume fort fort “puritain”…

Au Maroc, les manuels scolaires, comme le système éducatif dans son ensemble, ont de véritables représentations qui normalisent et banalisent discriminations, sexisme et violences masculines. Pour simple exemple, les filles et jeunes femmes sont « incitées » à porter une blouse afin de cacher ce corps, cet objet de tentation, que ne saurait voir le sexe opposé.

Credits to the artist Zaki Mohammed

La partie flottante de l’iceberg

D’un été à l’autre, une grande majorité de Marocain-e-s en vacances, nous nous tournons un peu plus vers les médias sociaux et la presse. Et d’où l’intérêt porté (ou non) à des séries de crimes médiatisés tant bien que mal. Des crimes qui ne sont qu’un échantillon d’une bien plus grande misère sociale et sexuelle dont les premières victimes sont les femmes. Retour dans le temps :

Été 2017 — Un tollé autour d’une agression sexuelle en réunion dans un autobus. Une vidéo qui circule. On y voit la jeune femme déshabillée par un groupe de jeunes voyous, victime d’attouchements sexuels, tandis que les petits prédateurs en puissance se marrent. Aucune réaction des passagers, ni du chauffeur de bus qui continue tranquillement de rouler.

Été 2016 Une affaire de violence sexuelle contre une femme vire au drame. La jeune victime, 17 ans, a succombé à ses blessures après s’être immolée par le feu. L’adolescente aurait commis ce geste désespéré après avoir appris la libération des huit hommes qui l’avaient enlevée et violée à la fin de l’année 2015.

Été 2017 — Une jeune femme se suicide par pendaison suite à l’acquittement de ses violeurs.
Lors de sa nuit de noces, une autre jeune femme s’est jetée du balcon suite à la culpabilisation et l’humiliation subies. « Dénoncée » par son époux en raison « accusée » de ne pas être vierge.

Été 2016 — Quatre mois de prison ferme. Tel était le verdict du procès intenté à une jeune femme qui avait refusé de se marier à un homme imposé par sa famille. Au cours du procès, suite à une plainte déposée par son père, la fille a déclaré à la Cour et sa propre famille qu’elle ne regrettait pas son geste. Saluons son courage, qui la rend « coupable » d’avoir dit non à un mariage forcé, à savoir échapper à une série de viols.

Été 2017 — Épousée à son violeur en 2015, une autre femme victime d’injustice demande le divorce. Elle est violentée par son bourreau et défigurée à l’arme blanche.

Le viol conjugal est l’expression la plus extrême de la domination masculine au sein du couple et de la société; l’Etat en est garant, le légitimant en le considérant comme devoir des épouses. Mais…

Un viol conjugal RESTE un viol.

Été 2017 — El Jadida. Une mineure de 16 ans a été assassinée par son époux. Mariage certainement forcé d’une mineure ou le viol légal et halal. S’étant aperçu, au moment des rapports sexuels, que la jeune femme avait ses règles, l’homme l’a étouffée.

Un système judiciaire complice

La justice et la société marocaines réduisent les femmes à des objets sexuellement disponibles, en se faisant, de plus, complices de ces violences sexuelles sous prétexte de pulsion fantasmée d’un « instinct bestial » que seuls les hommes connaîtraient. INDIGNONS-NOUS contre la culture du viol !
INDIGNONS-NOUS face au déni de justice, cette justice patriarcale par son inversion de la honte et de la culpabilité, une justice qui libère, voire ne poursuit guère, des personnes qui agressent et qui violent, mais condamne des personnes ayant des rapports sexuels consentis.
INDIGNONS-NOUS et appelons à condamner fermement les criminels sexuels, les pédocriminels et leur complices.

Été 2015 — Inezgane. Un procès s’est tenu le 6 juillet dont le verdict a été rendu la semaine suivante. Il innocente totalement les deux jeunes femmes qui avaient été arrêtées en juin, après avoir été harcelées dans le souk par une foule jugeant leur tenue, des jupes, inappropriée.

Été 2016 — Le tribunal de première instance de Tétouan interdit aux femmes l’accès aux salles d’audience et d’écouter les verdicts en raison de leur « forte émotivité ». Les tribunaux du royaume interdisent en général la mixité dans les salles d’audience.

Nous devons dénoncer ces attitudes sexistes des autorités et des institutions masuculinistes, qui, au lieu de garantir le respect des droits des femmes, ont recours à l’intimidation, à la violence ou à la menace pour non seulement exclure les femmes de l’espace public mais aussi les victimiser, en ne prenant peu ou prou en considération ni leurs plaintes ni leur oppression.

Les violences contre les femmes ne devraient jamais être justifiables et demandent un ferme engagement des autorités politiques et juridiques dont le devoir est d’offrir sécurité et justice à l’ensemble des citoyen.ne.s.

J’aurais souhaité conclure cette première partie d’une série d’articles avec : Elles vécurent heureuses et eurent beaucoup de libertés et de droits. Hélas, j’ai le pressentiment qu’il faudra du temps et des luttes pour que cette phrase soit vraie.

N’hésitez pas à recommander l’article sur Medium et à le partager si vous êtes du même avis ;)

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Ibtissame Betty Lachgar
MALI Maroc

Human Rights Activist. Sexual and Reproductive Rights. M.A.L.I. Alternative Movement of Individual Liberties. Clinical Psychologist/Criminologist/Victimologist